Chanson pour elle

Non, je ne porterai pas de fleurs à ma petite morte
Qui repose là-bas
Elle les aimait trop pour que je lui en porte
Maintenant qu'elle ne vit pas

Elle jouait avec des minutes entières
Et des fleurs à leur tour s'allumaient dans ses yeux
Elle remplissait d'eau de grands vases de verre
Où elle disposait des bouquets merveilleux
La chambre s'égayait de cent mille couleurs
Un parfum de printemps montait jusqu'au plafond
Elle s'en imprégnait, elle en oubliait l'heure
Comme elle aimait alors respirer bien à fond

Non, je ne porterai pas de fleurs à ma petite morte
Qui repose là-bas
Elle les aimait trop pour que je lui en porte
Maintenant qu'elle ne les sent pas

Les vieilles peaux fanées qui vont au cimetière
Avec des chrysanthèmes en pot dans leur cabas
Et qui roulent sans fin sous leurs doigts de rentières
Des graines de Pater et d'Ave Maria
Ces vieilles peaux fanées s'indignent de ne voir
Ni gerbe ni bouquet sur la tombe où je vais
Mais comment témoigner d'un humour assez noir
Pour fêter un regard éteint à tout jamais

Non, je ne porterai pas de fleurs à ma petite morte
Qui repose là-bas
Elle les aimait trop pour que je lui en porte
Maintenant qu'elle ne les voit pas

Mais voici que je dors et des tiges d'oeillets
Entrent dans une ronde où elle les invite
Elle rit aux dahlias, chante pour un bleuet
Se coiffe de lilas, s'orne de marguerites
Puis elle devient fleur, c'est elle la plus belle
Celle dont la corolle a le plus vif éclat
Celle qui sent meilleur, celle que j'aime, celle
Que je vais effeuiller cette nuit dans mes bras

Non
Non, je ne porterai pas de fleurs à ma petite morte
Qui repose là-bas
Elle les aimait trop pour que je lui en porte
Maintenant qu'elle ne m'aime pas