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Alexis Michalik : « Alexandre Dumas, l’ultime ‘porteur d’histoire’ »

 

Le jeune auteur dramatique Alexis Michalik multiplie les succès avec en particulier sa pièce Edmond consacrée à l’écriture de Cyrano de Bergerac par Edmond Rostand. Sa toute première pièce, Le porteur d’histoire, est un hommage virtuose au plaisir du conte et au roman feuilleton. La pièce, qui a fait l’objet d’une version en bande dessinée, place Alexandre Dumas au cœur de l’intrigue. Alexis Michalik s’en explique pour pastichesdumas.
(interview recueillie le 16 janvier 2017)

Pourquoi avoir fait de Dumas un personnage central dans Le porteur d’histoire ?

J’ai eu une relation assez familiale avec Dumas, car ma mère est une grande fan. Elle a beaucoup, beaucoup lu ses romans, plus que moi ! J’en ai lu quelques-uns, mais elle, je crois qu’elle a lu l’intégrale.

Je devais avoir douze ou treize ans quand j’ai lu Le comte de Monte-Cristo pour la première fois et j’ai adoré. C’est l’histoire parfaite à lire quand on est ado, en vacances, c’est exactement ce qu’il faut pour démarrer. Après ça, j’ai lu les mousquetaires, les romans de la Révolution, La reine Margot, tous les grands romans, et aussi d’autres un peu moins connus. J’adore parce que c’est génial à lire, c’est agréable et accessible. C’est un super raconteur d’histoires, Dumas !

Pour en revenir à ma mère, elle est anglaise et je crois qu’il y a chez Dumas quelque chose d’anglo-saxon dans la narration. En France, on est davantage porté, classiquement, sur l’autofiction. Que ce soit dans le roman ou dans la dramaturgie, ce sont souvent des auteurs qui se racontent, des récits centrés sur le couple, l’amour, des histoires très intérieures.

N’est-ce pas surtout vrai pour la période contemporaine et beaucoup moins pour le XIXème siècle par exemple ?

Pas seulement. Si l’on compare Molière et Shakespeare, chez le premier ce sont souvent des histoires qui se passent dans un intérieur bourgeois, en France, avec la figure paternelle, une histoire de couple amoureux… Mais si l’on prend les pièces de Shakespeare, on part à Chypre, on part avec Jules César, on voyage dans l’histoire anglaise, il y a de tout. Du coup, il y a une façon de raconter les choses qui est du récit avant d’être quelque chose d’intérieur. La tradition anglaise, c’est du grand récit, et Dumas aussi, avec des événements extraordinaires. Il n’y a pas un roman de Dumas qui concerne un couple qui reste chez lui… On est toujours dans le récit d’aventure, il y a toujours de l’action.

Alors, comment devient-il un personnage du Porteur d’histoire ? Quand j’ai commencé à réfléchir à cette pièce, j’ai eu la première idée en me baladant entre les tombes d’un petit cimetière de province. J’ai commencé à imaginer, à me demander ce qui se passerait si jamais on déterrait une tombe vieille de cent ans et qu’on y découvrait quelque chose. Que pouvait-on trouver dans une tombe qui soit un témoignage du passé ? Ca pouvait être un trésor, mais est-ce que ça ne serait pas encore plus fou si c’était des écrits de quelqu’un de cette époque là ? Et j’ai eu l’image d’une héroïne de cette époque qui aurait écrit ces carnets, Adélaïde. Et en ouvrant ses carnets, on se retrouverait avec elle racontant sa rencontre dans un train avec quelqu’un dont on découvrirait à la fin de la scène que c’était quelqu’un de connu à cette époque. Et très vite je me suis dit : et si c’était Dumas ? C’était vraiment mon idée de base. A partir de là, le scénario s’est développé dans ma tête, avec la présence de Dumas qui, en réalité, dans la pièce n’a pas une importance considérable, c’est un témoin. La vraie héroïne, c’est Adélaïde.

A ceci près que, à la fin de la pièce, il est clairement suggéré que c’est peut-être Dumas qui a écrit les carnets d’Adélaïde, qu’il a tout inventé !

Oui, c’est l’une des pistes entre lesquelles on laisse le spectateur décider ce qu’il préfère. Puisqu’il s’agit de Dumas, on peut effectivement imaginer qu’il a écrit toute l’histoire d’Adélaïde. Mais cette idée n’est arrivée qu’à la fin. Le point de départ c’est que Dumas était l’un des personnages que l’on croiserait. Car l’un des arguments de la pièce, c’est le rapport entre la fiction et la réalité. C’était donc intéressant que l’on y croise des personnages de fiction et des personnages réels.

Là dessus est venu s’imprimer l’ombre très forte du Comte de Monte-Cristo, roman qui traverse tout Le porteur d’histoire. On a cette Adelaïde qui s’appelle Adélaïde Antès, très proche d’Edmond Dantès, on a petit à petit cette idée de trésor qui revient souvent, et donc cette question : « que fait-on une fois que l’on a le trésor ? ». Cette présence du Comte de Monte-Cristo, c’était plus une volonté d’induire des éléments qui ne sont pas dits dans la pièce. Et notamment l’idée de vengeance, qui constitue les deux tiers du roman de Dumas. On n’en parle jamais dans la pièce mais elle reste en filigrane. Quand le ‘porteur’, à la fin de la pièce, met entre les mains d’Alia une fortune démesurée, il lui donne l’opportunité d’une vengeance. Laquelle, c’est à définir…

On ne sait pas qu’elle a besoin de se venger de quelque chose…

Sauf qu’au début de la pièce elle a l’air assez remontée contre la façon dont les femmes sont traitées, contre la société en général, en quelque sorte. Ce que le personnage dit à la fin, c’est « maintenant, vous avez les moyens d’influencer le monde, qu’allez-vous en faire ? ». C’est une fin ouverte… Ceux qui n’ont pas lu le roman ne peuvent pas savoir qu’il s’agit d’une vengeance, ceux qui l’ont lu comprennent qu’au moment où elle reçoit ce pouvoir, elle se retrouve dans la même position qu’Edmond Dantès quand il trouve le trésor.

Sauf, évidemment, dans l’hypothèse où tout cela est une histoire inventée par Dumas…

Bien sûr, mais c’est le propre d’une histoire. C’est une histoire inventée, puisque je la raconte… Au début de la pièce, le ‘porteur’ s’adresse au public, il y a clairement la volonté de dire « je ne suis pas un personnage, je suis quelqu’un qui vous parle ». Dès le départ, tout cela n’est qu’une fiction. Mais en même temps, il énonce que dans toute fiction il y a une part de réel et vice-versa. C’est une manière de dire au public « on est comédiens, on va jouer cette pièce devant vous mais sachez-le tout de suite, on ne prétend pas être autre chose que des comédiens au service d’un texte. Si malgré tout vous êtes transportés, émus et que vous finissez par croire à cette histoire, hé bien c’est la force et la puissance du théâtre ».  

Vous dites que Dumas est un écrivain très anglo-saxon : on considère pourtant souvent qu’il incarne l’esprit français.

Il est 100% français dans ce qu’il raconte ! Il raconte l’histoire de France, bien entendu. Mais la façon dont il raconte n’incarne pas la quintessence de la narration à la française. C’est au contraire de la narration avec un grand souffle, on n’est pas sur du verbe, de la phrase cristallisée, on est sur du récit pur et dur. Mais son sujet est complètement français, on sent qu’il rend hommage à la France.

Il y a autre chose : je puise mon inspiration dans le fait que j’ai une culture multiple. J’ai des origines anglaises, polonaises, australiennes, etc. J’ai grandi à Paris, je suis parisien, mais cette culture multiple donne la curiosité et l’envie de ne pas avoir un point de vue unique. Ca donne une espèce de dualité de la pensée. Et je crois que Dumas avait lui aussi cette dualité, et même plus que ça puisqu’il est descendant d’esclave, il a un père qui s’est débattu avec son identité toute sa vie, il a un destin assez incroyable. Donc je pense que lui même a créé son destin en se démarquant de cette identité. Il porte un regard sur la société française qui n’est pas issu d’un point de vue unique. Evidemment il est républicain mais on sent parfois dans ses romans une nostalgie de la monarchie. C’est parce qu’il est de cultures diverses qu’il réussit à donner ce vaste panorama de récits, à s’intéresser à énormément de choses…

Quelle place a-t-il aujourd’hui ?

C’est le raconteur d’histoires de référence. En général, les siècles effacent un peu l’aspect populaire d’une œuvre. Au XIXème siècle, Dumas était en quelque sorte le Spielberg de l’époque, quelqu’un qui raconte des feuilletons, qui tient en haleine la population, ça n’était pas l’écrivain le plus reconnu de l’élite, c’était vraiment l’auteur populaire par excellence. Il l’est toujours aujourd’hui bien sûr, mais il est entré dans les classiques. Mais je dirais que c’est le romancier d’aventures de référence.

Dumas serait-il l’ultime « porteur d’histoire » ?

Évidemment !

Ca ne vous tente pas de faire un remake de Monte-Cristo ?

Faire un remake ça ne m’intéresse pas, mais j’ai des idées pour un récit inspiré par le roman, qui pourrait faire un beau film…

Et Le porteur d’histoire, ne pourrait-il pas faire l’objet d’une version filmée, après la version BD ?

Oui, c’est possible… C’est envisagé, mais la pièce marche toujours. Et je n’ai pas envie que ce soit mon premier film. J’ai fait des courts-métrages mais pas encore de longs-métrages. Donc, je vais en faire un ou deux et après, pourquoi pas ? En fait, j’ai déjà écrit le début du scénario.

Que pensez-vous de la version en bande dessinée ?

J’aime bien. Elle est très fidèle à la pièce et j’aime beaucoup le dessin. Je suis très content. C’est venu de l’éditeur qui a vu la pièce et m’a proposé d’en faire une BD. J’ai dit oui et il a trouvé le dessinateur. En plus, l’objet est super joli.

Le porteur d’histoire se joue depuis plusieurs années sans interruption, c’est un grand succès ?

La pièce marche de façon incroyable. Ca a démarré avec trois dates et au final, c’est un succès hors du commun.

Y a-t-il beaucoup de jeunes auteurs qui ont trois pièces – Le porteur d’histoire, Le cercle des illusionnistes, Edmond - qui se jouent simultanément ?

Je ne crois pas… C’est super, je suis très content ! En mars, j’ai ma nouvelle pièce, Intra muros, qui commence au Théâtre Treize. Ca se passe en prison, c’est l’histoire d’un metteur en scène de théâtre qui vient donner son premier cours de théâtre en prison.

Rien à voir avec la prison d’Edmond Dantès ?

Non, rien à voir avec le château d’If ! C’est ma première pièce 100%  contemporaine.

Vous aurez donc quatre pièces jouées en parallèle ? Vous devez faire des jaloux !

Peut-être. Mais je n’ai spolié personne ! Je travaille… C’est extraordinaire ce qui arrive, c’est fou ! Cela dit, on est aussi malins sur la façon dont on envisage l’économie de ces pièces. Pour Le porteur d’histoire, on a été malins puisqu’on l’a créé au Studio des Champs. Un concours de circonstances a fait que le Studio a pu prolonger la pièce pendant trois ans, mais il fait 230 places. C’est pas mal parce que ça permet à la pièce de continuer. Ca permet d’être plein tout le temps, de faire des bénéfices et de prolonger, prolonger… La longévité de ces spectacles tient aussi au réalisme dans le choix des salles. L’autre élément, c’est que je fais du théâtre sans tête d’affiche. Le public ne vient pas voir une vedette, il vient voir un spectacle. Si un comédien a d’autres engagements, j’en amène un autre. Ca permet cette longévité.

Propos recueillis par Patrick de Jacquelot

 

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