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Patrick Raynal et Jean-Bernard Pouy : « Transposer Monte-Cristo pour comprendre la mécanique d’un chef d’œuvre qui traverse les siècles »

 

Avec Lord Gwynplaine, les deux auteurs de polars Patrick Raynal et Jean-Bernard Pouy livrent un « remake » méticuleux du Comte de Monte-Cristo. Ils s’expliquent pour pastichesdumas sur leur démarche de transposition, leur technique d’écriture à deux, leur fascination pour Borgès et la nécessité de réhabiliter la pratique du duel…

(interview recueillie le 17 décembre 2018)

 

D’où vous est venue cette idée de réécrire Le comte de Monte-Cristo ?

Patrick Raynal : C’est une vieille idée. Monte-Cristo est un best-seller mondial, c’est un livre qui traverse les années sans prendre une ride. Il y a quelque chose à découvrir, quelque chose qui fait la gloire et la pérennité de certains livres comme Les misérables, comme Le comte de Monte-Cristo, comme Les trois mousquetaires, des livres qui ont marqué leur époque et qui traversent les siècles. La deuxième raison, c’est que c’est un livre de Dumas qui, pour les amateurs de littérature populaire, est un très grand ancêtre, il a ouvert une brèche immense !

Jean-Bernard Pouy : C’est une icône !

Patrick Raynal : Une icône comme Jack London, comme Stevenson… Et puis la troisième raison, c’était de voir si le livre était assez éternel pour survivre à une adaptation 2.0, très actuelle, pour voir si les ressorts sur lesquels il s’appuie marchent toujours. Voilà, c’est quelque chose qui nous trottait dans la tête.

Jean-Bernard Pouy et Patrick Raynal
Photo © Roberto Frankenberg

Jean-Bernard Pouy : Quand on regarde les articles de presse que nous avons eus, on voit qu’ils ne comprennent pas vraiment le projet. Le projet, c’est vraiment une actualisation du roman de Dumas. Nous n’avons rien amené, nous avons suivi pas à pas le livre de Dumas, en adaptant évidemment les situations et les personnages. Mais même adaptées, les situations restent celles imaginées par Dumas. Il fallait faire cela pour comprendre pourquoi le roman d’origine avait pris une telle ampleur auprès des lecteurs, et avait été l’objet d’énormément d’adaptations, alors que ce ne sont pas les sujets qui manquent.

Il y a quelque chose d’assez mystérieux dans le texte d’origine qui fait que c’est un modèle de trame narrative et dramatique. Et ça ne tient pas uniquement au thème de la vengeance, qui est un thème que les gens adorent et qui remplit la littérature populaire. Il y a ça, bien sûr, mais pas seulement, il y a autre chose. Peut-être la naïveté du personnage, Edmond Dantès, qui est un homme tout neuf au début du roman, qui ne connaît pas grand chose. Ou aussi le thème qu’on retrouve dans les romans populaires, celui du maître qui va forger le personnage. Il y a un côté Star Wars, l’abbé Faria chez Dumas comme Vargas chez nous, c’est quelqu’un qui sait tout, qui peut tout. Il peut non seulement rendre Edmond Dantès riche mais il lui apprend aussi plein de choses, il comprend ce qu’il lui est arrivé, lui apprend des langues, lui apprend comment fonctionne le monde… Il le forme, il l’éduque, c’est un vrai père alors que celui de Dantès passe son temps à pleurer. C’est quelque chose qu’on retrouve beaucoup dans les romans populaires.

Donc, l’accumulation de ces thèmes fait peut-être aussi le succès du roman. On voulait vérifier ça, voir si en transposant dans notre modernité ça tient toujours. Je ne sais pas si ça tient mais on a des échos de lecteurs qui nous disent que ça donne un « page turner » comme on dit aujourd’hui. Et si ça marche, je pense que ce n’est pas uniquement grâce à notre – immense ! – talent, mais que ça tient aussi à cette structure narrative amenée par Dumas qui est étonnante et en adéquation avec ce que recherche le lecteur.

L’idée même de réécrire un livre pour comprendre comment il marche est tout de même intrigante. Je suppose qu’il n’y a pas que Le comte de Monte-Cristo que vous aimez dans la littérature, allez-vous réécrire tous les livres que vous aimez ?

Patrick Raynal : Jean-Bernard avait eu l’idée, bien avant qu’on s’attaque au Comte de Monte-Cristo, de confier à un certain nombre d’auteurs la réécriture d’un chef d’œuvre ancien. C’est vrai que c’est tentant. J’ai souvent eu cette idée. Parce que je suis un peu flemmard et c’est agréable de se glisser dans une trame qui existe déjà et de l’adapter. C’est beaucoup plus facile que d’écrire un bouquin où on invente le style, les personnages, les histoires, où on se retrouve coincés dans des nœuds de l’intrigue… Là, c’est du billard. Il suffit simplement de bien suivre la route et de trouver les motifs et les comparaisons qui collent bien, c’est tentant !

Vous n’allez pas dire que c’est une solution de facilité pour écrivains paresseux ?

Patrick Raynal : Si, je le dis ! Sauf qu’il faut le faire sérieusement et de temps en temps seulement, on ne peut pas le faire tout le temps. Un écrivain ne peut pas bâtir sa carrière en réécrivant uniquement ce qui a déjà été écrit. On a en tout cas l’exemple de Régine Desforges : sa Bicyclette bleue, c’est Autant en emporte le vent.

Jean-Bernard Pouy : Il suffit de dire avant quel est le projet.

Patrick Raynal : En fait, quand on a eu fini, ça se voyait tellement que c’était Monte-Cristo, qu’on s’est dit qu’on ne pouvait pas commencer par l’arrivée de l’avion, correspondant à celle du bateau. Donc on a eu l’idée de faire ce que Dumas ne savait pas faire parce que ça n’était pas encore inventé, c’est-à-dire un flash-back, et on commence l’histoire au premier quart. Mais on avait d’abord tout écrit dans l’ordre, chapitre par chapitre.

Vous dites que votre projet n’est pas toujours compris, vous pensez que le lecteur n’est pas assez prévenu que votre livre est une réécriture de Monte-Cristo, en dépit du bandeau « Monte-Cristo revient » ?

Patrick Raynal : Chez Albin Michel, ils ont cru que beaucoup, beaucoup de gens connaissaient parfaitement Monte-Cristo alors que, on s’en rend compte, il y en a plein qui ne l’ont pas lu. Le bandeau peut faire croire que c’est le « genre » du Comte de Monte-Cristo qui revient, il aurait fallu dire explicitement qu’il s’agit d’une transposition. Cela dit, je pense que notre livre va cheminer sur la longueur. Il avance doucement, notamment par le bouche-à-oreille.

Jean-Bernard Pouy : Dans cette écriture à deux, il y a aussi un côté amusement, plaisir de trouver une raison de travailler ensemble, parce que nous sommes amis mais en même temps très différents. Par ailleurs, il y a un texte qui m’a toujours totalement perturbé : la nouvelle de Borgès Pierre Ménard, auteur du Quichotte. (NDLR : dans cette nouvelle incluse dans le recueil Fictions, l’auteur argentin imagine un écrivain, Pierre Ménard, qui se fixe comme objectif de réécrire mot à mot, à l’identique, le Don Quichotte de Cervantès)

Patrick Raynal : Pierre Ménard plane derrière cette idée de réécriture de Monte-Cristo. C’est à la fois de la littérature populaire et de la littérature ultrasophistiquée de Borgès. Ce qui me fascine chez lui c’est son côté amoureux de la littérature populaire et la façon dont il la détourne !

Jean-Bernard Pouy : Dans Pierre Ménard, ce qui est très intéressant c’est que quand il réécrit Don Quichotte, Borgès montre que les textes sont rigoureusement les mêmes, mais ajoute que le deuxième est très supérieur au premier ! C’est ce qui nous a permis de nous attaquer à un monument comme Monte-Cristo.

Et d’en conclure que le vôtre est très supérieur à celui de Dumas ?

Jean-Bernard Pouy : Voilà ! (rires) Non, mais il y avait chez nous ce petit côté Pierre Ménard, nous y avons pensé tous les deux en écrivant. En fait, si les éditeurs étaient courageux, nous n’aurions rien changé, nous aurions réécrit Monte-Cristo en prenant tous les mots de Dumas à l’identique, en faisant vraiment du Pierre Ménard… (rires) Bon, en fait, pour faire une transposition, il y a un gros travail à faire, pour des raisons évidentes. Dumas était payé à la ligne, donc il en profite, si bien qu’il y a des tas de passages qu’on ne peut pas garder. Deuxièmement, on a trouvé que de temps en temps il se mélange un peu les pinceaux.

Patrick Raynal : Au milieu du livre, quand Dantès est devenu riche et revient, après le carnaval de Rome, il y a tout un méli-mélo où on ne se retrouve pas, il y a des choses totalement impossibles, des hasards monstrueux…

On n’a jamais demandé à la littérature populaire d’être vraisemblable à 100% !

Patrick Raynal : Non, mais si nous avions voulu faire la même chose, on se serait fait taper sur les doigts, à juste titre. A l’époque où on inventait cette littérature, cette profusion, la période de Rocambole, etc., ça passait. Mais ça ne passerait plus maintenant.

Comment avez-vous abordé ce travail d’écriture à deux ? Avez-vous essayé de reproduire la collaboration entre Alexandre Dumas et Auguste Maquet ?

Jean-Bernard Pouy : En fait, on ne la connaît pas tellement, cette collaboration. Quand on lit les notes de Maquet envoyées à Dumas, on se rend compte que ce dernier les lui renvoyait souvent dans les dents ! Il ne doit pas y avoir beaucoup d’idées de Maquet qui sont passées dans le roman. Mais il rédigeait.

Patrick Raynal : Nous, nous avons commencé par nous demander quelle était la première chose à faire. Il fallait démonter. C’est-à-dire réécrire chapitre par chapitre en donnant la dimension temporelle qu’on voulait donner à l’histoire et surtout en démontant le système, en voyant quelles ficelles Dumas utilisait, comment il introduisait ses personnages, comment l’histoire fonctionnait.

Jean-Bernard Pouy : Nous faisions un chapitre chacun, Patrick faisait les chapitres pairs et moi les chapitres impairs.

Patrick Raynal : Ensuite, chacun a revu ce qu’avait fait l’autre, en corrigeant…  On a fait notre tambouille. Si bien qu’au bout d’un moment, les chapitres ne ressemblaient plus tellement à la façon dont ils avaient été écrits à l’origine et l’ensemble a pris cette homogénéité que tout le monde loue et qui résulte, premièrement du hasard, et deuxièmement du fait que nous avons souvent travaillé ensemble.

Jean-Bernard Pouy : En faisant ça, on s’est rendu compte qu’on arrivait à une sorte d’écriture médiane qui ne ressemble pas à l’écriture de chacun, mais qui est l’écriture de nous deux, en quelque sorte.

Vous dites avoir repris les chapitres de Monte-Cristo un à un, mais votre livre compte nettement moins de chapitres que celui de Dumas ?

Patrick Raynal : En effet, parce qu’on en a fusionnés. Quand nous avons fini notre réécriture, le manuscrit faisait un bon millier de pages, presque le double de ce qui a été publié. Nous avons commencé par le couper, puis il est passé dans les mains extrêmement compétentes des correctrices d’Albin Michel qui ont fait une relecture serrée et qui nous ont formulé plein de bonnes suggestions. Du coup, nous avons un peu raccourci, surtout la seconde partie qui était très ennuyeuse. Elle l’est un peu chez Dumas qui décrit les mœurs de l’époque, les bals, etc. Mais transposé chez nous, ça ne collait pas, c’était vraiment trop long et beaucoup moins intéressant que chez Dumas. Donc on a coupé mais sans supprimer aucune scène, juste en les raccourcissant. Il y a des scènes qui font vingt pages chez Dumas que vous trouverez en deux pages chez nous.

Jean-Bernard Pouy : On a voulu tout garder de l’intrigue de Dumas. La preuve, c’est qu’on a même gardé la narcolepsie de Valentine de Villefort.

Patrick Raynal : On a eu du mal mais on a trouvé un médicament qui fait cet effet pendant 48 heures. Mais du coup, on a été obligés de raccourcir l’histoire parce que chez Dumas elle reste bien un mois sous narcolepsie.

Ce parti-pris de coller complètement à la trame de Dumas vous a amenés à garder deux ou trois éléments qui surprennent beaucoup à notre époque comme les mariages imposés aux enfants par leurs parents… Vous croyez que ça existe encore aujourd’hui ?

Patrick Raynal : Oui, à Versailles ! Et si pas imposés, du moins arrangés, dans l’entre-soi… On a gardé un seul mariage imposé, celui de Valentine de Villefort. Mais on n’en est pas fiers.

Jean-Bernard Pouy : C’est vrai que c’est ce qui m’a le plus gêné, ces histoires de dots, de filles de dix-huit ans que l’on marie de force ou presque. Et qui souvent acceptent parce qu’il y a le côté protection de la fortune familiale. Cette idée de mariages imposés, c’est un peu limite, mais on ne pouvait pas faire autrement.

Et l’idée d’un duel, à la fin du vingtième siècle ?

Patrick Raynal : En fait, on l’évoque à un moment mais on ne le fait pas. Personnellement, je suis pour la réhabilitation du duel ! J’aurais économisé sur mes nerfs depuis je ne sais pas combien de temps si j’avais pu me battre…

Jean-Bernard Pouy : Oui, mais tu serais mort !

Patrick Raynal : Peut-être. En tout cas, c’est pour ça que sur le duel on a inventé cette histoire d’Alexandre (équivalent d’Albert de Morcerf) et du journaliste qui tirent dans la même salle d’armes.

N’y a-t-il pas eu des moments où vous vous êtes sentis très contraints par cette volonté de coller au texte de Dumas ? D’autres auteurs ont fait aussi des remakes de Monte-Cristo en conservant la trame du roman mais en modifiant par exemple les modalités de la vengeance.

Patrick Raynal : Oui, on s’est sentis contraints, mais dans le bon sens puisque c’est une contrainte qu’on s’était imposée. Pour rien au monde je n’aurais changé la vengeance qui est d’une cruauté formidable. C’est vrai qu’une vengeance des temps modernes pourrait être beaucoup plus violente, du genre des narcos où on descend toute la famille, ou alors légaliste. Mais j’aime beaucoup cette vengeance à la Monte-Cristo.

Jean-Bernard Pouy : Et puis notre projet c’était bien de suivre Dumas pas à pas. Il y a eu des polars rigolos dans la Série noire avec des remakes de L’Iliade, Hamlet qui suivaient vaguement une histoire célèbre en l’adaptant. Alors que nous, nous transposons.

Votre lord Gwynplaine a un côté plus sentimental que le comte de Monte-Cristo qui reste totalement impassible face aux drames qui se déroulent autour de lui. Vous l’avez un peu humanisé…

Jean-Bernard Pouy : Oui, parce que sous notre carapace nous sommes extrêmement sentimentaux…

Patrick Raynal : On l’humanise dès le début. Sa relation avec Maria-Luisa évite qu’il devienne le maître absolu de ses serviteurs comme Monte-Cristo peut l’être vis-à-vis d’Ali, Bertuccio, de tous. Il y a un deal avec Maria-Luisa. Un deal charnel d’abord, ils sont amants, et puis il lui a confié beaucoup de choses, alors que chez Dumas Monte-Cristo ne confie rien à personne. Le nôtre est plus un personnage du XXème siècle. Ce que nous avons éliminé avec une radicalité féroce c’est le côté croyant et presque calotin de Dumas. Chez ce dernier, c’est incroyable le nombre de références à Dieu. Monte-Cristo est absolument maître de tout, la seule personne qu’il craint c’est Dieu.

C’était normal à l’époque…

Patrick Raynal : Dumas aurait pu en faire un personnage plus libertin au sens philosophique du terme.

Il n’empêche qu’à la fin de votre roman, lord Gwynplaine parle de Dieu à plusieurs reprises, tout en disant qu’il n’y croit pas…

Patrick Raynal : Oui, parce qu’il s’adresse à des gens qui y croient.

Votre livre décrit la société contemporaine, avec une dénonciation des riches et des puissants. Avez-vous le sentiment d’avoir là aussi suivi les traces de Dumas qui dans son roman brosse un tableau sans concession de la haute société de son époque ?

Patrick Raynal : Absolument. On a retrouvé ce qu’il pensait des riches et des puissants en lisant et en démontant son livre.

Propos recueillis par Patrick de Jacquelot

 

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