*bandeau*

*chapeau*

 

 

Pas facile de résumer un tel roman où s’enchevêtrent plusieurs récits, où l’intrigue, si intrigue il y a, est tout sauf linéaire, et où le temps semble ne pas toujours s’écouler à la même vitesse…

Le roman consiste en trois récits imbriqués. Le premier est centré sur Alex. «Alex» est le diminutif d’Alexandre Dumas, un homme d’aujourd’hui, ex-journaliste correspondant de guerre (comme l’auteur), et qui présente la particularité de ne pouvoir mourir. Agé de 120 ans, il en paraît 60 et traîne une existence de plus en plus morose, de plus en plus solitaire maintenant que tous ceux qu’il aimait ont disparu. En prime, Alex est un écrivain raté.

Rien à voir avec le «vrai» Alexandre Dumas, donc, à part l’homonymie… Sauf qu’Alex a un compagnon: le fantôme d’Alexandre Dumas, précisément. Dumas, qui s’ennuyait au paradis, est revenu sur terre sous forme d’esprit, pour accompagner Alex dans ses périples.

Car les deux hommes ont bien des goûts en commun: les femmes, la bonne chère, les femmes, les voyages, les femmes… Ils parcourent donc la planète de conserve. Alex emmène Dumas visiter des régions du monde que ce dernier ne connaissait pas comme l’Amérique latine et l’Afrique, mais que lui, Alex, a bien connues dans son travail de journaliste.

Ce faisant, ils mènent joyeuse vie (la joie étant surtout chez Dumas d’ailleurs). A tel point que, alors qu’au début Dumas est un pur fantôme visible du seul Alex, il  prend petit à petit de la substance. Si bien qu’il finit par être parfaitement présent dans le monde réel et que les relations qu’il noue avec de nombreuses jeunes femmes de passage n’ont rien d’ectoplasmiques…

Le deuxième récit est intitulé Une journée dans la vie du sergent Pablo Hernandez Esperanza, de la police municipale de Valladolid. On y suit le policier mexicain et une jeune prostituée au grand cœur, Chantal. Celle-ci rencontre Alex, en tombe amoureuse – et réciproquement. Au terme du roman, l’union d’Alex et de Chantal permettra au premier de transmettre à la jeune fille le fardeau de sa quasi-immortalité et, on le suppose, de s’acheminer tranquillement vers la mort.

Le troisième récit, enfin, porte le titre suivant: Manuscrit d’Alex que Dumas trouva nul mais lut quand même jusqu’au bout. Il s’agit d’un bref récit d’héroïc-fantasy qui accumule les poncifs du genre, avec un mage doté d’une pierre aux pouvoirs surnaturels, en lutte contre les puissances du mal. Le récit est horriblement mal écrit et confirme qu’Alex est bien un écrivain raté. Mais un parallèle apparaît entre les pouvoirs du mage dans cette fiction et la longévité d’Alex qui lui aussi porte une pierre mystérieuse autour du cou.

 

Complexe, Alex et son double est un roman déroutant, traversé par de multiples jeux de miroir: le fantôme de Dumas qui apparaît souvent plus vivant que l’Alex qui ne peut pas mourir; le journaliste écrivain raté qui fait équipe avec l’écrivain à la renommée sans égale; l’immortalité réelle de Dumas confrontée à celle dont Alex aimerait bien se débarrasser; l’amour rédempteur de la petite prostituée opposé aux amours passagères qu’Alex et Dumas accumulent, et bien d’autres.

Si le livre donne parfois l’impression d’un roman à clé dont ces dernières sont bien dissimulées, il n’en constitue pas moins un bel hommage à Dumas. Si ce dernier est déjà apparu maintes fois comme personnage de fiction, c’est probablement la première fois qu’il le fait sous forme de fantôme! Un fantôme plein de vie, qui n’a rien perdu de ses appétits variés, et toujours débordant de curiosité et de bonhomie. Un rôle dans lequel Dumas apparaît un peu comme le « saint patron » des grands reporters, des globe-trotters et des écrivains, fussent-ils ratés.

 

Extrait du chapitre 4

Côte à côte dans les rues maintenant désertées, les deux Alexandre marchaient d'un pas peu assuré. Leur amitié durait depuis de nombreuses années, et lorsqu'ils y repensaient, l'un et l'autre pouvaient parfois être émus jusqu'aux larmes. Que d'aventures ils avaient vécues, que de rencontres ils avaient faites. Partageant tout avec une rigueur de couple modèle, ils allaient de par le monde. De temps à autre, épuisés, ils rejoignaient l'appartement de leur premier repas pour s'effondrer et dormir quinze ou vingt heures d'affilée. Puis la folie reprenait le dessus. Alex était persuadé que pour se maintenir en forme, bien qu'il souhaitât mourir, ce qui n'était pas le moindre de ses paradoxes, il devait bouger, sortir, rester curieux et éveillé au monde, assoiffé comme un chameau qui a fait la route de Tombouctou, affamé comme un esclave en fuite. Dumas le suivait volontiers, l'encourageait parfois. Lui désignait telle fille que lui-même ne pouvait pas posséder mais qui lui plaisait particulièrement. Amateur de belles plantes pour peu qu'elles soient dociles, Alex ne se faisait pas prier. Et ils passaient comme cela le temps.

Chacun avait fait entrer l'autre dans son monde. Échangeant souvenirs et anecdotes, amis vivants et morts, images de terres explorées chacun leur tour à des dizaines d'années d'intervalle. Bien sûr, Alex avait beaucoup plus voyagé que Dumas, d'abord grâce aux moyens de communication modernes et ensuite parce qu'il avait vécu plus de deux fois le temps que le destin avait octroyé à l'écrivain. Mais il avait l'impression que Dumas avait mieux voyagé. Prenant son temps, ce dernier avait ramené d'Italie ou d'Algérie des impressions profondes, des souvenirs précis qui égayaient encore aujourd'hui sa mémoire florissante. Fugaces, les flashs d'Alex étaient trop souvent empreints de morbidité, de douleur et d'angoisse.

Là où ils s'entendaient le mieux, c'était sur la cuisine et surtout sur les femmes. Heureusement, les goûts avaient changé depuis le siècle de Dumas, mais Alex n'aurait pas craché sur certaines conquêtes du Gros. Une belle femme est une belle femme, quelle que soit l'époque. Comme cette petite Marie Dorval au visage si fin et à l'air un peu triste. De belles formes par-dessus le marché.

« Elle est morte, dit Dumas d'un air triste comme chaque fois que l'on évoquait le souvenir de cette maîtresse qu'il avait tant aimée. Tu sais, je l'ai cherchée en vain là où j'ai terminé en 1870, l'endroit sans nom que les ignorants appellent paradis ou enfer, c'est selon. En fait, rien de tout cela. Il n'y a rien. Juste tout et rien à la fois. Ce que tu veux tu l’as, ce que tu ne veux pas aussi. En un sens c'est terrible, rien à voir avec la vraie vie. C'est pour cela que je m'ennuyais tellement. Et comme je ne retrouvais personne, j'ai préféré partir.

 

*bandeau*