*chapeau*
Note: la pagination indiquée correspond aux quatre volumes de l'édition Nelson.
Le livre a connu de nombreuses éditions. Dans certains cas,
il a été découpé en plusieurs volumes
pourvus de titres différents. Voir ci-dessous les couvertures
d'une édition en deux volumes, le premier intitulé Le
fils de Monte-Cristo et le deuxième La mort de Monte-Cristo.
L'oeuvre de Lermina a également été l'objet de
plusieurs traductions/adaptations en langue anglaise
sous des titres variés.
Grandes lignes du récit:
Prologue: L'Alcyon
Début de l'action: trois mois après le départ de
Monte-Cristo de Paris. Le procès de Benedetto s'ouvre, commenté par le journaliste
Beauchamp et Château-Renaud.
Benedetto simule un repentir très chrétien et sauve
sa tête. Car sa mère, la baronne Danglars, rongée
par le remords, a promis le reste de sa fortune (un million) aux jésuites
pour le sauver. Benedetto part au bagne, en compagnie du forçat
Sanselme.
Simultanément, Villefort, fou, retrouve un peu de lucidité
à l'approche de la mort, dans l'asile du docteur d'Avrigny.
Il se livre à une confession complète: Valentine de
Villefort n'est pas sa fille. Il s'agit en fait de la fille d'un chef
hindou, résistant contre l'occupation britannique, et qui a
été substituée, à la naissance, à
son bébé mort-né.
La veille du jour où Mme Danglars doit remettre sa fortune
aux jésuites et partir dans un couvent, Benedetto s'échappe
du bagne en compagnie de Sanselme, tue sa mère et la vole.
S'enfuyant à travers la Méditerranée, il fait
naufrage et échoue sur l'île de Monte-Cristo. Le même
jour, le comte de Monte-Cristo, marié à Haydée,
vient sur l'île pour la dernière fois. Refusant désormais
d'être un vengeur, il fait grâce à Benedetto et
le laisse partir avant de détruire le repaire de l'île.
Première partie - La Luciola
La
première partie du roman se passe à Milan en 1848, sous
l'occupation autrichienne, décrite dans toute sa cruauté.
Les patriotes italiens s'organisent pour lutter contre l'oppresseur.
Une cantatrice de l'opéra de Milan, la Luciola, devient le
symbole de la résistance anti-autrichienne, par amour pour
le marquis d'Aslitta. Cette Luciola se révèle être
Eugénie Danglars, la fille rebelle du financier déchu.
Au premier rang des bourreaux autrichiens figure un certain comte
de San Pietro, traître, imposteur, qui n'est autre que Benedetto.
En face, les patriotes reçoivent l'aide du comte de Monte-Cristo,
dont le rôle est décisif lors du soulèvement final,
auquel il fait participer son fils Espérance, âgé
de 7 ou 8 ans, pour l'initier à la lutte pour la liberté.
A signaler également le rôle important joué
par Bartolomeo, l'ex-major Cavalcanti du Comte de Monte-Cristo,
qui, bien que petit escroc dans l'âme, se découvre patriote
en luttant contre Benedetto, son ex-pseudo fils
A la fin de l'épisode, après la victoire des patriotes,
Monte-Cristo reçoit un appel au secours de Mercédès
et part pour Marseille.
Deuxième partie - Plus riche que Monte-Cristo
Les 460 pages de cette partie sont consacrées au récit
de l'expédition menée par le comte de Monte-Cristo en
Algérie pour secourir le fils de Mercédès, Albert
de Morcerf. Après la révélation du déshonneur
de son père et sa mort, celui-ci s'est engagé dans l'armée
française pour y reconquérir son honneur. Fait prisonnier
par des rebelles musulmans, il a disparu. D'où l'appel au secours
lancé par Mercédès à Monte-Cristo.
Le comte monte donc une expédition pour retrouver le capitaine
Joliette (nom adopté par Albert), qui est aux mains de Maldar,
chef d'une bande de fanatiques sanguinaires. Il est accompagné
d'Espérance, son fils encore enfant, qu'il veut confronter
aux épreuves pour former son caractère et son sens du
devoir.
En fait, l'expédition se passe beaucoup moins bien que ne
le prévoyait le comte, victime de son immense confiance en
lui. Au point qu'Espérance est pris en otage par Maldar et
que Monte-Cristo est réduit à l'impuissance pour la
première fois depuis son évasion du château d'If.
Et c'est l'intervention de différents autres personnages
accourus à son aide, au premier rang desquels un colon français
nommé Fanfar, qui sauve Monte-Cristo et son fils de la mort.
Le livre comporte de nombreux personnages secondaires très
fouillés, dont les histoires donnent lieu à de longues
digressions: le zouave "Coucou", tout dévoué
au capitaine Joliette, l'anglaise miss Elphys, milliardaire et amoureuse
de Monte-Cristo, son capitaine américain anthropophage, etc..
A côté de passages d'un comique un peu lourd, exercé
généralement au détriment des personnages populaires
(un peu ridicules, mais tellement dévoués !), le livre
comprend aussi des évocations assez impressionnantes des sectes
fanatiques musulmanes, prêtes à tout pour exterminer
les chrétiens envahisseurs.
Troisième partie - Les aventures de Fanfar
Ce troisième volume n'est en fait qu'une très longue
- 472 pages - parenthèse. Le deuxième tome s'était
terminé sur le sauvetage du comte de Monte-Cristo et de son
fils par un colon français, Fanfar, qui les avait amenés
dans son domaine. Comme son nom l'indique, cette troisième
partie n'est rien d'autre que le récit de la vie de ce dernier.
Il s'agit donc d'un roman à part entière, inséré
dans Le fils de Monte-Cristo, et qui n'a aucun rapport ni
avec l'intrigue de ce dernier, ni avec le personnage de Monte-Cristo
qui n'y est jamais mentionné.
Passablement embrouillée, l'histoire utilise allégrement
enfants perdus et retrouvés, coïncidences et coups de
théâtre hallucinants pour illustrer l'opposition entre
les infâmes nobles émigrés de la révolution
et les braves enfants du peuple dévoués à la
patrie. Un ensemble quelque peu indigeste.
Quatrième partie - La revanche de Benedetto
Douze ans après les aventures en Algérie de la deuxième
partie, Monte-Cristo et son fils vivent à Paris. Haydée
est morte. Le livre s'ouvre sur une lettre du comte à Espérance,
dans laquelle, déplorant son propre caractère dominateur
et orgueilleux, Monte-Cristo annonce à son fils qu'il s'en
va, afin de le laisser prendre son indépendance.
Agé de 22 ans, Espérance sort donc pour la première
fois de l'ombre protectrice et étouffante de son père.
Supérieurement intelligent et éduqué, le jeune
homme souffre de timidité, d'une tendance à la mélancolie,
d'une difficulté à nouer des relations équilibrées.
Espérance tombe amoureux fou d'une jeune fille, Jane Zild,
dont on apprend qu'elle est la fille du forçat Sanselme, apparu
dans le premier volume.
Mais au même moment se trouvent à Paris le banquier
de Larsangy, qui n'est autre que l'ex-baron Danglars, vieillard, qui
a réussi à rebâtir sa fortune, et Benedetto -
toujours lui. Les deux hommes s'allient pour se venger de Monte-Cristo
en s'en prenant à ce qu'il a de plus précieux: son fils.
Jane est donc enlevée et Espérance attiré dans
un guet-apens. Benedetto l'assassine. Revenu trop tard, Monte-Cristo
ne peut que repartir, sans un mot, emportant le corps de son fils
dans ses bras.
Dans cet épisode très mélodramatique, de nombreux
personnages des parties 1 et 2 font leur réapparition: Fanfar,
Coucou, Sanselme, etc.. De vraies trouvailles sont à relever,
comme l'appétit insatiable qui caractérise Danglars/Larsangy:
l'épisode du Comte de Monte-Cristo où il est
méthodiquement affamé dans les catacombes de Rome lui
a laissé une faim inextinguible qui terrifie son entourage...
Epilogue - L'abbé Dantès
Encore dix ans plus tard, Edmond Dantès vit ses derniers jours.
Il est depuis des années sur l'île de Monte-Cristo, dans
la solitude et le dénuement le plus complet, à pleurer
son fils et à se repentir "d'avoir voulu tout courber
à sa volonté" plutôt que "d'avoir employé
sa fortune immense au soulagement des misérables". Sur
le point de mourir, il jette à l'eau une bouteille avec son
testament et le plan de la cachette de son trésor (ce qui prépare
la suite de la suite, Le trésor
de Monte-Cristo).
Commentaire
Si l'on excepte la troisième partie, qui n'a aucun rapport
avec le reste, Le fils de Monte-Cristo est un livre de première
importance. Non seulement les aventures du roman de Dumas y trouvent
des prolongements crédibles, mais Lermina procède à
un véritable approfondissement du personnage principal (ce
qui est en général le point faible de la plupart des
suites, qui ont tendance à ne conserver que les traits superficiels
des héros, même quand leurs intrigues sont réussies).
Le portrait de Monte-Cristo en homme dépassé par sa
toute puissance, coupé de relations normales avec les autres,
victime de sa confiance en lui démesurée est convaincant.
Si haut au dessus des hommes ordinaires soit-il, Edmond Dantès
est finalement victime de son amour pour son fils et de son incapacité
à avoir fait d'Espérance un homme capable de se défendre
par lui-même. Fou de douleur et de remords, il finit sa vie
sur l'île de Monte-Cristo, devenue une sorte de cachot du château
d'If en plein air.
Soulignons l'habileté avec laquelle Lermina a su utiliser
les personnages secondaires du roman de Dumas et les pistes qui y
restaient ouvertes, surtout dans le prologue. On peut en revanche
regretter que certaines intrigues amorcées par lui (la véritable
origine de Valentine de Villefort, par exemple) ne soient pas exploitées
par la suite (même si elles le seront parfois dans Le
trésor de Monte-Cristo).
La comparaison avec la première suite de Monte-Cristo à
avoir été publiée, La
main du défunt, est particulièrement intéressante.
De nombreux points communs sont évidents: les deux livres sont
des suites directes du livre de Dumas, tous deux utilisent essentiellement
les personnages vivant encore à la fin du Comte de Monte-Cristo,
dans les deux cas Benedetto joue un rôle central en cherchant
à se venger de Monte-Cristo, ce dernier est marié à
Haydée dont il a un fils, l'existence même de ce fils
devient une cause de faiblesse pour le comte et contribue à
sa perte et à son malheur ultime...
Mais le parallèle s'arrête là. La main du
défunt s'inspire d'une lecture catholique traditionnelle
du livre de Dumas. Horrifié par la vengeance impitoyable d'Edmond
Dantès, qui s'attribue un pouvoir quasi-divin, l'auteur veut
le punir. Pour ce faire, il utilise les personnages de Dumas totalement
à contre-emploi, qu'il s'agisse de Benedetto ou de Monte-Cristo
lui-même. A l'inverse, Lermina, qui se livre, lui, à
une lecture "socialiste" du roman de Dumas, sait utiliser
le caractère des personnages pour prolonger l'action. Benedetto,
bien loin de devenir un homme de Dieu comme dans La main du défunt,
est plus noir que jamais dans son livre. Quant à Monte-Cristo,
c'est sa personnalité même qui l'empêche d'armer
son fils comme il faudrait contre ses ennemis, ce qui cause son malheur
final.
Les similitudes entre les deux livres sont assez évidentes
pour que l'on puisse hasarder une hypothèse: celle selon laquelle
Lermina aurait lu La main du défunt (le livre, portugais,
est parue en France en 1853 et a causé suffisamment de scandale,
Dumas protestant contre sa publication, pour que Lermina en ait entendu
parler). Il aurait alors décidé qu'il pouvait faire
beaucoup mieux en utilisant les mêmes données de départ,
mais en les développant dans le respect de la personnalité
des héros...
Dernier point: des éléments importants du Fils
de Monte-Cristo, comme le mariage avec Haydée, la naissance
d'Espérance qui en résulte, et l'engagement de Monte-Cristo
en faveur de la lutte sociale se retrouvent dans d'autres suites apocryphes
comme Edmond Dantès,
par exemple. Le livre de Lermina a ainsi influencé de nombreuses
suites apocryphes, notamment parmi celles publiées aux Etats-Unis
(voir notre Introduction aux suites de Monte-Cristo).
Lettre de Dumas fils reproduite dans une édition du Fils de Monte-Cristo chez L. Boulanger
Cher Monsieur,
rien ne peut me faire plus de plaisir que cette justice rendue à cette mémoire. L’homme est célèbre, il n’est pas connu. Le jour où l’on prendra bien sa mesure, on sera étonné de la taille qu’il a, merci donc et comptez que vous n’aurez pas de lecteur plus consciencieux et plus reconnaissant que votre tout dévoué
A. Dumas
Merci à Claude Schopp pour la transcription
|
Extrait de la deuxième partie Plus riche que Monte-Cristo,
chapitre 26 Où Monte-Cristo redevient Dantès
La porte s'ouvrit. Les Khouans étaient groupés dans
la vaste cour, mal éclairée, si bien qu'on ne pouvait
deviner leur nombre. Sous la lumière fumeuse des torches, on
eût dit ces hordes de démons que Dante traverse dans
les malebolge de l'enfer.
Monte-Cristo passait au milieu d'eux, pâle et fier. Devait-il,
lui aussi, répéter le mot du poète: "Vous
qui entrez laissez toute espérance"?
Derrière lui la porte s'était refermée avec
un bruit sourd. Il marchait, voyant luire des taches brillantes qui
étaient les reflets des armes.
Maldar, debout sur le seuil, drapé dans le burnous vert,
l'attendait.
Quand Monte-Cristo fut auprès de lui, Maldar porta la main
à son front en signe de salut. Mais sa face osseuse et brune
semblait crispée par une fureur mal dissimulée. Cet
homme semblait la statue vivante de la haine.
Il précéda Monte-Cristo dans l'intérieur de
la citadelle.
Il semblait au père d'Espérance qu'il pénétrait
encore une fois dans les cachots du château d'If : mais cette
fois, le prisonnier c'était son enfant. Et si cruels que fussent
les séides de Villefort, combien plus redoutables étaient
ces barbares qui ne reconnaissaient aucune des lois de la guerre?
- Me voici, dit Monte-Cristo. Tu m'as appelé me disant que
tu fixerais toi-même la rançon de mon fils. J'attends.
- Tu l'aimes donc bien, ton fils?
- Pour m'adresser une pareille question, il faut que tu ne sois
pas père.
- Si bien qu'il n'est aucun sacrifice que tu ne sois prêt
à t'imposer pour sauver ton enfant ?
- Soumets-moi aux tortures les plus horribles, fais couler mon sang
goutte à goutte par toutes les blessures de mon corps... et
que mon fils soit libre, je te bénirai en expirant. Mais trêve
de paroles! tu as prononcé le mot de rançon, donc c'est
de l'or qu'il te faut. Écoute-moi. Je suis riche, si riche
que je pourrais solder pendant des années entières l'armée
qui te défend, si riche que je pourrais acheter la ville que
tu appelles la sultane des oasis, que je pourrais t'enrichir de telle
sorte que le sultan qui siège à Stamboul fût un
pauvre auprès de toi, et à peine croirais-je t'avoir
donné une obole. Donc décide.
Maldar, qui s'était assis, se releva brusquement:
- Tu te crois riche et tu es pauvre; le seul riche ici, c'est moi!
- Que veux-tu dire?
- Oui, je veux te croire, tu possèdes des trésors
immenses et tu pourrais paver d'or les rues d'Ouargla; et cependant,
je te le répète, il est un homme plus riche que toi,
et cet homme, c'est Maldar.
- Encore une fois, tes paroles sont obscures. Explique-toi.
- Je suis plus riche que Monte-Cristo, parce que je n'ai dans mon
coeur aucun sentiment qui me fasse frissonner de crainte ou de douleur;
je suis plus riche que Monte-Cristo, parce que Monte-Cristo n'a qu'une
seule richesse au monde, son fils, et que ce fils est entre mes mains,
et que Monte-Cristo est appauvri de son enfant.
Monte-Cristo tressaillit. Cet homme disait vrai. Qu'était-ce
que tout cet or, que ces monceaux de pierreries, auprès d'un
seul sourire d'Espérance? |