*chapeau*
Cette "pièce en cinq actes et huit tableaux d'après
le roman d'Alexandre Dumas" constitue une adaptation théâtrale
à destination des troupes d'amateurs. Un objectif qui
impose de très sérieuses contraintes: effectifs
modestes, nombre de décors réduit au minimum, brièveté.
A titre de comparaison, rappelons que l'adaptation théâtrale
réalisée par Dumas lui-même comprend quatre
pièces successives de respectable longueur, avec plusieurs
dizaines d'acteurs.
Sur le premier point, la pièce de Dubois réduit
à dix-sept le nombre de personnages permettant de retracer
la saga de Monte-Cristo du début à la fin. Encore
est-il précisé que "en dehors des rôles
d'Edmond Dantès, de Danglars, de Caderousse et de Fernand
Mondego, tous les autres rôles masculins peuvent être
doublés en utilisant des combinaisons diverses. La distribution
est ainsi ramenée à douze personnages (neuf hommes
et trois femmes)".
Les décors sont au nombre de trois seulement: le cachot
du château d'If, le salon du comte à Paris, et surtout
le restaurant de Marseille qui sert au début (pour l'arrestation
de Dantès), au milieu (quand, libre, il enquête
sur les circonstances de son arrestation) et à la fin
(pour le dénouement de sa vengeance).
Entre ces contraintes matérielles et la nécessité
de produire un spectacle relativement bref, le texte est réduit
à sa plus simple expression. Les grandes lignes sont respectées
au prix de lourds sacrifices: la suppression du personnage de
Villefort, par exemple. La fin est également fortement
modifiée pour la rendre "jouable", avec l'arrestation
de Danglars à Marseille.
Cette adaptation est loin d'être un chef d'oeuvre. Mais,
sans prétention, elle atteint sans doute plutôt
bien son ambition: permettre à des acteurs amateurs de
bien s'amuser en entrant sur scène dans la peau de Monte-Cristo,
Faria ou Mercédès!
Extrait de l'acte cinq
SCÈNE I (fin)
DANGLARS, avec désespoir - Et voilà.
Avoir connu la richesse, les honneurs, et tomber brusquement
dans la détresse la plus noire!... Avoir été
riche et être à la veille de mourir de faim! C'est
atroce!
MONTE-CRISTO, qui est entré sans bruit au fond.
- Oui, Danglars, c'est atroce de mourir de faim, mais cela est
arrivé à d'autres, à d'autres qui ne le
méritaient pas.
(Danglars et Caderousse se sont retournés. Monte-Cristo
ferme à clef la porte de la rue et descend en scène.)
SCÈNE II
MONTE-CRISTO, DANGLARS, CADEROUSSE.
DANGLARS, abasourdi. - Le comte de Monte-Cristo!
MONTE-CRISTO. - Vous vous trompez, Danglars, je ne suis pas
le comte de Monte-Cristo.
DANGLARS. - Mais...
MONTE-CRISTO. - Le comte de Monte-Cristo n'existe pas. Il
n'a jamais existé.
DANGLARS. - Qui êtes-vous donc?
MONTE-CRISTO. - Je suis celui sur lequel vous avez marché
pour vous hausser jusqu'à la fortune. Je suis celui dont
le père est mort de faim par votre faute... (Il s'approche
de Danglars.) Regardez-moi, Danglars, regardez-moi bien...
Cherchez très loin dans vos souvenirs... Je suis Edmond
Dantès!...
CADEROUSSE. - Mon Dieu!
DANGLARS, dans un cri. - Dantès!
MONTE-CRISTO. - Oui, Edmond Dantès que vous avez calomnié,
vendu, déshonoré, ici même, il y a vingt-deux
ans...
DANGLARS. - Edmond Dantès! Ah! je comprends tout...
ce mépris, cette haine que je devinais en vous, l'acharnement
que vous mettez à me perdre. Ainsi donc, vous me poursuiviez
jusqu'à Marseille et c'est vous qui avez donné
des instructions à la banque Thompson pour qu'elle refuse
de me payer le million qui m'appartenait.
MONTE-CRISTO. - Cet argent ne vous appartenait plus. Je l'ai
fait verser aux hôpitaux à qui vous avez volé
six millions. Je me charge de rembourser les cinq autres grâce
aux pertes que je vous ai fait subir dans vos opérations
de Bourse.
DANGLARS. - Vous, c'était vous...
MONTE-CRISTO. - Oui, Danglars, le moment est venu de payer.
DANGLARS. - Je vous en supplie, Dantès, je ne demande
même plus la liberté, mais au moins laissez-moi
vivre.
MONTE-CRISTO. - Rassurez-vous, vous aurez la vie sauve. Pareille
fortune n'est pas arrivée à votre complice Fernand.
DANGLARS. - Qu'allez-vous faire de moi?
MONTE-CRISTO. - Rien. C'est à d'autres qu'il appartient
de vous juger.
(A cet instant, on entend frapper à la porte de
la rue.)
UNE VOIX, à la cantonade. - Au nom de la Loi,
ouvrez.
DANGLARS, d'une voix tremblante. - Qu'est-ce que c'est?
MONTE-CRISTO, à Caderousse. - Allez voir.
CADEROUSSF, après avoir regardé à
la fenêtre. - La police.
LA VOIX, à la cantonade. - Ouvrez.
(Monte-Cristo fait signe à Caderousse d'ouvrir la
porte. Celui-ci s'exécute. Paraît le commissaire
de police que l'on a vu au début, et la scène du
premier acte va se reproduire très exactement.)
SCÈNE III
LE COMMISSAIRE DE POLICE, MONTE-CRISTO, DANGLARS, CADEROUSSE.
LE COMMISSAIRE DE POLICE. - Lequel de vous, messieurs, s'appelle
Lucien Danglars?
DANGLARS. - C'est moi.
LE COMMISSAIRE DE POLICE. - Je suis le commissaire de police
du quartier Saint-Jean.
DANGLARS, tremblant. - Que me voulez-vous?
LE COMMISSAIRE DE POLICE. - Lucien Danglars, au nom de la
Loi, je vous mets en état d'arrestation.
DANGLARS. - M'arrêter? Et de quoi m'accuse-t-on?
LE COMMISSAIRE DE POLICE. - D'avoir détourné
à votre profit une somme de six millions appartenant aux
Hospices de Paris.
DANGLARS. - C'est faux. Je prouverai qu'il s'agit d'un malentendu.
LE COMMISSAIRE DE POLICE. - Vous vous expliquerez devant le
juge d'instruction. En attendant, je vous prie de me suivre.
DANGLARS. - Vous n'avez pas le droit de m'arrêter. Je
suis le baron Danglars. J'ai des amis puissants et...
LE COMMISSAIRE DE POLICE. - Ce n'est pas mon affaire. Je dois
m'assurer de votre personne. J'obéis aux ordres.
DANGLARS. - Où me conduisez-vous?
LE COMMISSAIRE DE POLICE. - Au château d'If.
DANGLARS, effondré. - Au château d'If?... (Se
tournant vers Monte-Cristo.) Au château d'If!
MONTE-CRISTO. - Oui, Danglars, mais soyez tranquille. Vous,
au moins, vous n'y resterez pas dix-sept ans. (Danglars regarde
une dernière fois Monte-Cristo et sort en titubant, suivi
du commissaire de police.) |