*chapeau*
Cette suite du Comte de Monte-Cristo est particulièrement importante, à plusieurs titres. C’est sans doute la première qui ait été donnée au plus célèbre roman de Dumas. Du coup, celui-ci l’a connue – et commentée. C’est ensuite un livre qui a connu un grand succès et une vaste diffusion dans le monde entier, le plus souvent sous le nom de Dumas. Enfin, ce roman a sans doute influencé les nombreuses suites écrites à la fin du XIXème siècle.
Histoire du texte A mão do finado, La main du défunt en français, a été écrit en 1853 par l’écrivain portugais Alfredo Hogan, à la demande de l’éditeur Luiz Correia da Cunha qui souhaitait exploiter le succès de la publication du Comte de Monte-Cristo (1845). De façon à établir délibérément une ambiguïté sur l’origine du roman, celui-ci a d’abord été publié sans nom d’auteur. Très vite, A mão do finado a été traduit en français, sous le titre La main du défunt. Lors de sa parution à Paris, en 1853-1854, c’est à un certain F. Leprince ou, selon les sources, F. C. Prince, que le livre est attribué. L’identité de ce mystérieux Leprince a suscité bien des interrogations en France, où l’on a parfois cru que ce nom dissimulait un écrivain français. Mais les bibliographies portugaises et les spécialistes de l’œuvre de Hogan sont formels: Leprince n’existe pas, et c’est bien l’auteur portugais qui a écrit l’ouvrage. Les choses se compliquent du fait du succès remporté par le livre. Celui-ci connait en effet nombre de traductions: en italien (La mano del defunto, sous la signature de A. Le Prince, avec même une version théâtrale), en allemand (Die totenhand), en espagnol (La mano del muerto), etc… Curieusement, il semble que le livre n’ait jamais été traduit en anglais, malgré l’appétit du lectorat américain pour les suites de Monte-Cristo (voir notre Introduction aux suites de Monte-Cristo). Au fur et à mesure de la diffusion du livre dans différents pays, les scrupules du début quant au nom de l’auteur disparaissent vite. Et c’est le plus souvent sous le nom d’Alexandre Dumas lui-même que paraît le volume. Son itinéraire est parfois déroutant. Par exemple, raconte Albino Forjaz de Sampaio dans son Historia da literatura portuguesa ilustrada, la version française de La main du défunt est parvenue au Brésil où elle a été retraduite en portugais et attribuée à Dumas ! Le Diario do Rio de Janeiro l’a ainsi publiée accompagnée d’une présentation affirmant catégoriquement que Dumas, au vu du succès du Comte de Monte-Cristo, avait décidé de lui donner une suite. Cette fausse attribution à Dumas sera tenace: l’édition argentine en notre possession, datée de 1955, comporte le nom de Alejandro Dumas en couverture (voir illustration), et inclut une préface érudite. Celle-ci explique avec beaucoup d’assurance que Dumas a écrit La mano del muerto pour continuer Le comte de Monte-Cristo «comme il en avait l’habitude avec les cycles de ses grands romans». La préface affirme également que «Tant Le comte de Monte-Cristo que La mano del muerto sont les œuvres préférées (de Dumas), comme il l’affirme dans ses Mémoires»…
Dumas aborde également plusieurs fois le sujet en
France, notamment dans une Causerie publiée
dans Le Grand Journal en 1864. Dans celle-ci,
il évoque la parution de La main du défunt et
déclare: «Comme cette suite est exécrable, j’ai par le
monde une foule d’amis qui soutiennent, tout bas, bien
entendu, que cette suite est de moi. A l’époque où
l’ouvrage a paru, j’ai protesté dans tous les journaux,
ou à peu près; mais je ne vous apprendrai rien de
nouveau en vous disant que les amis lisent toujours les
accusations, jamais les protestations».
Grandes lignes du récit L’action commence à Paris, où l’on retrouve différents personnages du Comte de Monte-Cristo. Lucien Debray est devenu ministre de l’Intérieur, le journaliste Beauchamp, bizarrement, a remplacé Villefort comme procureur du Roi. La baronne Danglars vit seule dans la capitale, son mari ayant disparu et sa fille étant partie avec Louise d’Armilly. Par l’intermédiaire de Beauchamp, elle envoie un secours financier à son fils Benedetto, au bagne. Il s’en sert pour s’enfuir et se rend dans le tombeau de son père. Bien que celui-ci ait voulu le tuer à sa naissance, il jure de le venger de celui qui a causé sa perte et celle de toute sa famille: le comte de Monte-Cristo. Il coupe la main du cadavre et l’emporte en symbole de la vengeance à venir. L’action se déplace à Rome où se retrouve, sans le
savoir, toute la famille Danglars. Le baron, ruiné, est
portier d’un théâtre. Eugénie et Louise font leurs
débuts de chanteuses d’opéra. La baronne s’installe dans
la ville. Benedetto complote. Intrigues compliquées
entre tout le monde. La baronne, scandalisée de voir sa
fille chanteuse, veut la faire enlever puis renonce. Le
baron cherche à se réconcilier avec sa femme, qui a
encore de la fortune. Benedetto dépouille celle-ci.
Pendant la tempête, durant laquelle Danglars se noie, Benedetto sauve aussi un naufragé qui se révèle être Albert de Morcerf. Ils arrivent à Marseille juste à temps pour sauver Mercédès qui, totalement ruinée, allait mourir de faim. Benedetto leur fait don de 1,5 million. Venise: Maximilien et Valentine Morrel y séjournent. Valentine est prise de crises d’angoisse à l’idée que la fortune que leur a léguée le comte de Monte-Cristo est mal acquise : elle veut en faire don aux pauvres. Ils sont espionnés par Benedetto, qui a la même idée. Benedetto localise l’île de Monte-Cristo, y va, la vide de ses richesses et la détruit au moment où les Morrel y arrivent. De nouveau à Venise: on y voit arriver le comte de Monte-Cristo (qui n’apparaît ainsi en personne qu’aux deux tiers du roman), sa femme Haydée et leur fils bébé. Déguisé en bohémien, Benedetto leur dit la bonne aventure et les convainc d’amener l’enfant à un «déjeuner de pauvres». Là, l’enfant est enlevé. Un message prévient Monte-Cristo de se rendre dans l’île du même nom. Durant sa traversée de l’Italie du Nord, chaque maison où il fait étape brûle. Monte-Cristo acquiert ainsi la réputation d’un incendiaire, plus personne ne veut l’héberger, tout le monde le fuit avec horreur. A leur arrivée sur l’île, Benedetto capture Haydée et ne la rend à Monte-Cristo qu’en échange de toute sa fortune. Son fils ne lui sera jamais rendu, le prévient-il. Haydée se suicide, Monte-Cristo se rate. Benedetto confie anonymement le bébé au couple Morrel, qui a aussi recueilli le fils caché d’Eugénie Danglars et Vampa.
La fin du livre est une hécatombe. Vampa est exécuté. Benedetto aussi, et sa mère, la baronne Danglars, meurt de chagrin. Mercédès meurt à Marseille, avec Monte-Cristo comme confesseur. Au moment de l’enterrement de Mercédès, Monte-Cristo tombe mort dans sa tombe. Bouquet final : quelque temps plus tard, Albert de Morcerf, les Morrel et leurs deux fils adoptifs se trouvent par hasard sur le même bateau en partance pour l’Algérie. Le bateau coule : ils meurent tous. Seuls restants vivants, à la fin du récit, Eugénie Danglars et son amie Louise.
Commentaire Dumas, on l’a vu, jugeait cette suite «exécrable». Le terme est fort, mais le jugement n’est pas sans fondement. Car cet épais roman qu’est La main du défunt - l’édition en notre possession ne compte que 256 pages, mais il s’agit de pages grand format, imprimées tout petit sur deux colonnes - est loin d’être une réussite. On y trouve d’abord une accumulation de coïncidences, d’invraisemblances et de péripéties ébauchées et jamais achevées caractéristique des feuilletons bon marché.
Plus grave, c’est la démarche même de l’auteur qui est éminemment contestable. Hogan a semble-t-il fait du Comte de Monte-Cristo une lecture marquée par des convictions catholiques traditionnelles. La métamorphose d’Edmond Dantès en un être tout puissant, richissime et omniscient, aux pouvoirs quasi-divins l’a scandalisé. Et plus encore le fait que le comte de Monte-Cristo mette ses moyens exceptionnels au service de la vengeance. D’où le thème omni présent de La main du défunt: Monte-Cristo a gravement offensé Dieu en usurpant ses prérogatives et en oubliant la vertu chrétienne du pardon, il doit donc en être châtié. Le problème, c’est que pour soutenir cette thèse, Hogan utilise les personnages de Dumas totalement à rebours de leur personnalité d’origine. La métamorphose de Benedetto en homme de Dieu n’est pas crédible une seconde. L’hostilité universelle que soulève Monte-Cristo dans La main du défunt pas davantage: imaginer que les Morrel eux-mêmes, qui lui doivent tout, en arrivent à rejeter leur bienfaiteur est un non-sens. Bien plus: la personne même de Monte-Cristo, quand elle apparaît enfin dans le roman, n’a plus rien à voir avec le héros de Dumas. Le comte de Monte-Cristo d’Hogan est un être falot, jouet des événements, tombant dans les pièges les plus grossiers de Benedetto et incapable de réagir. Une impuissance à laquelle il n’est donné aucun semblant d’explication. La discordance est telle entre le roman de Hogan et celui de Dumas qu’il s’est trouvé des lecteurs pour s’en plaindre. Vers la fin du XIXème siècle, ainsi, l’éditeur portugais Nunes de Carvalho publie une nouvelle version de La main du défunt. Dans sa préface, il explique que le début de la publication de l’ouvrage a suscité de nombreuses réactions hostiles. «La première version de A mão do finado, écrit-il, était chargée d’une telle haine envers Monte-Cristo, qu’elle cherchait plus à détruire qu’à compléter, que nous nous sommes décidés à en faire faire une nouvelle version s’approchant davantage de la pensée de l’auteur du Comte de Monte-Cristo». D’où une version réécrite de La main du défunt dotée d’un «happy end»… Le contraste entre l’échec de cette tentative de relecture de Monte-Cristo avec la réussite que constitue, quelques années plus tard, celle de Jules Lermina avec Le fils de Monte-Cristo est frappant. Reste que les similitudes entre les deux livres sont suffisamment fortes pour que l’on puisse avancer l’hypothèse selon laquelle Lermina aurait pris quelques idées chez Hogan avant de bâtir sa propre version de Monte-Cristo, beaucoup plus cohérente (voir notre article sur Le fils de Monte-Cristo). Le livre de Lermina ayant lui-même inspiré de nombreuses autres suites, Hogan aurait ainsi contribué à l’édification du corpus des livres dérivés du chef d’œuvre de Dumas. Ce qui n’est pas si mal… Voir également l'article sur Le Seigneur du
Monde, roman allemand publié peu après La
main du défunt et qui présente quelques
similarités avec ce dernier. Un grand merci à Nuno Ponces pour ses nombreuses informations sur les origines de A mão do finado et ses documents sur les éditions portugaises du livre. Notons que le roman a fait l'objet d'une adaptation en
bande dessinée au
Mexique. Note: les trois étoiles attribuées à cette oeuvre ne portent pas sur ses qualités littéraires, à peu près nulles, mais sur son importance dans l’histoire des suites de Monte-Cristo.
Extrait du chapitre 56 La hermana de San Lazaro — ¡Benedetto, Benedetto!. . . — repitió la señora Danglars con terror — ¡Oh! ¡Decidme, por Dios, lo que hace aquel desgraciado!… Una risa indefinible resonó entre la capucha de lana que cubría el rostro de Edmundo. Risa sarcástica. — Lo que hace, tal vez yo no lo adivine: lo que hizo, puedo deciroslo: "Maldecido por todos, lanzado a la muerte y al infierno desde su nacimiento, y salvado milagrosamente por un brazo que se vengaba concibió después un pensamiento fatal de destrucción. Encontrado por un hombre que caminaba ciego de orgullo y de vanidad, Benedetto fué el último que bajo los pies de ese hombre se convirtió en montaña, y que después se conminó y abrió para tragarlo en su abismo. Ese hombre a quien él aniquiló... ¿lo creeréis, señora?, fué el hombre mas poderoso que se ha visto en la tierra: fué el hombre cuya voluntad no encontraba obstáculos, y que, a la manera de un Dios omnipotente, quiso extender su diestra y vengarse del crimen sin piedad. ¡Ah! Pero ese hombre se engañó... El procuraba vengarse sin dolor y sin misericordia. Fué, por fin, el conde de Monte-Cristo. Sí —continuó Edmundo—, Benedetto aniquiló a aquel atrevido coloso, que los hombres contemplaron con asombro asi como el sencillo David derribó a aquel fiero Goliat de la Escritura… ¡Sangre y lágrimas! He aquí lo que Benedetto dejó en su paso frente a frente con el conde de Monte-Cristo; arrancándole con su mano homicida y vengadora sus mas caras afecciones. . . "Benedetto fué el instrumento de Dios y ahora se halla en Francia próximo a recibir el público castigo de sus pasados crímenes. He aquí, baronesa Danglars, la obra de vuestro hijo. Dicho esto, Edmundo bajó la capucha de su hábito, y la señora Danglars, lanzando un grito de horror, fué a caer de rodillas junto a la cama en que estaba Bertuccio agonizante. — Sí: es ahí — continuó Edmundo —, es ahí donde podéis ver al hombre a quien vuestro hijo debe la vida. Este infeliz fué el que lo sacó de la cueva en que Villefort lo había enterrado vivo . . . —¡ Piedad !… ¡ Señor, piedad! — ¿ Sabéis cómo recompensó Benedetto después a ese hombre generoso? Pues asesinandole la hermana, incendiándole la habitación y robandole completamente. ¡ Ah! Es porque era maldito de Dios y de los hombres... Vamos, señora, sabed que vuestro hijo os busca para pediros la bendición maternal; id a encontrarlo y a concedérsela, para que pueda morir en paz: de este modo quedara más tranquila vuestra consciencia, ente Dios y el mundo. |