*bandeau*


*chapeau*

 

Ce volume des "Voyages extraordinaires" de Jules Verne se réfère expressément au Comte de Monte-Cristo. Il est en effet dédicacé à Alexandre Dumas fils dans les termes suivants:

Je vous dédie ce livre en le dédiant aussi à la mémoire du conteur de génie que fut Alexandre Dumas, votre père. Dans cet ouvrage, j'ai essayé de faire de Mathias Sandorf le Monte-Cristo des Voyages Extraordinaires. Je vous prie d'en accepter la dédicace comme un témoignage de ma profonde amitié.
Jules Verne


A quoi Dumas fils répond ainsi:

Cher ami,
Je suis très touché de la bonne pensée que vous avez eue de me dédier Mathias Sandorf, dont je vais commencer la lecture dès mon retour, vendredi ou samedi. Vous avez eu raison, dans votre dédicace, d'associer la mémoire du père à l'amitié du fils. Personne n'eût été plus charmé que l'auteur de Monte-Cristo par la lecture de vos fantaisies lumineuses, originales, entraînantes. Il y a entre vous et lui une parenté littéraire si évidente que, littérairement parlant, vous êtes plus son fils que moi. Je vous aime depuis si longtemps, qu'il me va très bien d'être votre frère.
Je vous remercie de votre persévérante affection, et je vous assure une fois de plus et bien chaudement de la mienne.
A. Dumas
23 juin 1885

De fait, Mathias Sandorf démarque directement Monte-Cristo. Il s'agit du récit des aventures du Comte Sandorf, grand seigneur hongrois, qui, au début de l'histoire, complote contre l'Autriche pour restaurer l'indépendance de sa patrie.

Suite à une trahison, Mathias Sandorf est arrêté avec ses deux principaux associés. Une évasion rocambolesque lui permet de disparaître, tandis que ses deux amis sont exécutés par les Autrichiens.

Quinze ans plus tard, un mystérieux Docteur Antékirtt défraye la chronique dans toute la Méditerranée. Richissime, cet homme dont on ignore tout possède l'île d'Antékirtt, au large de la Libye, où il a installé un petit royaume privé. Il possède également des navires ultra sophistiqués qui lui permettent de se déplacer à toute vitesse à travers la mer, dispose d'agents partout, etc..

Il s'agit bien entendu de Mathias Sandorf qui, après son évasion, a sillonné l'Asie, devenant un grand médecin et héritant d'une vaste fortune léguée par un patient (aucune autre explication n'est fournie quant aux moyens illimités dont il bénéficie et au fait que personne ne le reconnaît...).

Le docteur entreprend de retrouver les personnes associées à ses malheurs de jadis, ceux qui l'ont aidé comme ceux qui l'ont trahi, pour récompenser et punir. Il sauve ainsi de la misère les enfants d'un pêcheur qui l'avait aidé à s'enfuir et pourchasse les trois traîtres jusqu'à leur mort finale.

La ressemblance avec Monte-Cristo va encore plus loin. Par exemple, le fils d'un des amis de Mathias Sandorf tué par les Autrichiens tombe amoureux de la fille de l'un des traîtres (dont il ignore qu'il a causé la mort de son père), en écho de l'amour qui lie Maximilien Morrel à Valentine de Villefort. Autre similitude frappante: toute l'action se déroule en Méditerranée (avec d'ailleurs de belles descriptions des régions allant de Trieste à l'Albanie, ainsi que de Malte, de la Tunisie...).

Le livre de Jules Verne tient plus, cependant, du plagiat que de l'hommage sophistiqué. Le récit est copié de façon superficielle. Le personnage de Mathias Sandorf n'a en rien la complexité et la profondeur de Monte-Cristo: sa transformation en Docteur Antékirtt est à peine esquissée, il poursuit sa vengeance sans états d'âme, celle-ci se limite à capturer et tuer ses ennemis, tandis que Monte-Cristo jouait de façon machiavélique sur les propres vices et faiblesses de ses adversaires pour qu'ils causent leur propre perte. Le livre se lit bien en tant que récit d'aventures, mais n'est pas à la hauteur de l'oeuvre de Jules Verne. Ce qui est d'autant plus décevant que ce dernier a su donner, avec Le sphinx des glaces, une suite magistrale aux Aventures d'Arthur Gordon Pym, d'Edgar Poe.

Extrait de la deuxième partie, chapitre trois:

Il est des gens qui donnent bien de l'occupation à la Renommée, cette femme-orchestre aux cent bouches, dont les trompettes portent leur nom aux quatre points cardinaux du monde.

C'était le cas de ce célèbre docteur Antékirtt, qui venait d'arriver au port de Gravosa. Et encore son arrivée avait-elle été marquée par un incident, qui eût suffi à attirer l'attention publique sur le plus ordinaire des voyageurs. Or, il n'était pas de ces voyageurs-là.

En effet, depuis quelques années, autour du docteur Antékirtt, il s'était fait une sorte de légende dans tous ces pays légendaires de l'extrême Orient. L'Asie, depuis les Dardanelles jusqu'au canal de Suez, l'Afrique, depuis Suez jusqu'aux confins de la Tunisie, la Mer Rouge, sur tout le littoral arabique, ne cessaient de répéter son nom, comme celui d'un homme extraordinaire dans les sciences naturelles, une sorte de gnostique, de taleb, qui possédait les derniers secrets de l'univers. Au temps du langage biblique, il aurait été appelé Épiphane. Dans les contrées de l'Euphrate, on l'eut révéré comme un descendant des anciens Mages.

Qu'y avait-il de surfait dans cette réputation? Tout ce qui voulait faire de ce Mage un magicien, tout ce qui lui attribuait un pouvoir surnaturel. La vérité est que le docteur Antékirtt n'était qu'un homme, rien qu'un homme, très instruit, d'un esprit droit et solide, d'un jugement sûr, d'une extrême pénétration, d'une merveilleuse perspicacité, et qui avait été remarquablement servi par les circonstances. En effet, dans une des provinces centrales de l'Asie Mineure, il avait pu garantir toute une population d'une épidémie terrible, jugée jusque-là contagieuse, et dont il avait trouvé le spécifique. De là une renommée sans égale.

Ce qui contribuait à lui donner cette célébrité tenait principalement à l'impénétrable mystère qui entourait sa personne. D'où venait-il? On l'ignorait. Quel avait été son passé? On ne le savait pas davantage. Où avait-il vécu et dans quelles conditions nul n'aurait pu le dire. On affirmait seulement que ce docteur Antékirtt était pour ainsi dire adoré des populations dans ces contrées de l'Asie Mineure et de l'Afrique Orientale, qu'il passait pour un médecin hors ligne, que le bruit de ses cures extraordinaires était arrivé jusque dans les grands centres scientifiques de l'Europe, que ses soins, il ne les épargnait pas plus aux pauvres gens qu'aux riches seigneurs et pachas de ces provinces. Mais on ne l'avait jamais vu dans les pays d'Occident, et même, depuis quelques années, on ne connaissait pas le lieu de sa résidence. De là, cette propension à le faire sortir de quelque mystérieux avatar, de quelque incarnation indoue, à en faire un être surnaturel, guérissant par des moyens surnaturels.



*bandeau*