*chapeau*
Spécialiste incontesté des pastiches de Dumas, Paul Mahalin,
qui a écrit de nombreuses suites aux Mousquetaires et à la
trilogie des Valois, signe là son unique – à ma connaissance – livre
inspiré par Le comte de Monte-Cristo. Ou plutôt,
d’ailleurs, par sa deuxième partie. Car si Mademoiselle
Monte-Cristo reproduit bien le schéma de la vengeance d’Edmond
Dantès, on n’y retrouve pas l’équivalent des épisodes
de la dénonciation, du château d’If et du trésor.
L’histoire commence par l’assassinat d’une courtisane,
Suzanne Bloch. Ayant amassé grâce à son industrie de
fortes économies, elle est tuée pour son argent. Les coupables:
Georges, son «fiancé», qui a de gros besoins d’argent;
Olympe, sa meilleure amie; et aussi Jules, ami d’Olympe, davantage
témoin passif que coupable actif.
Suzanne laisse derrière elle deux filles dont l’aînée, âgée
de 15 ans lors du drame, part au Canada, tandis que la plus jeune disparaît.
Cinq ans plus tard, la fille de Suzanne Bloch est devenus une grande actrice
en Amérique du Nord, sous le nom de Diana Vernon et remporte des
triomphes à New York. Mais elle n’a pas oublié l’assassinat
de sa mère et fait mener des enquêtes en France. Les coupables
n’ont jamais été inquiétés mais sont
parfaitement identifiés. Apprenant qu’ils ont prospéré et
sont devenus des gens importants, Diana décide d’accepter
d’épouser un milliardaire américain, vieux et malade,
afin de se procurer les moyens de sa vengeance.
Quelques années plus tard, le milliardaire ayant dûment trépassé,
elle revient à Paris. Georges de la Peyrade est riche et ambitionne
de devenir ministre. Olympe, qui se fait appeler baronne Rolla, est introduite
dans le Tout Paris et espionne pour l’Allemagne; Jules est
une épave qui a perdu tout contact avec les deux autres.
Diana utilise toutes sortes de déguisements et de fausses identités
pour lancer ses machinations. Elle n’a aucun mal, par exemple, à se
faire passer pour un homme et à maîtriser, en combat singulier,
les pires voyous… Elle commence par prendre à son service
Beau-Costel, gigolo, souteneur et assassin, qu’elle charge de séduire
la «baronne Rolla» (voir extrait ci-dessous).
Se faisant passer pour un faux prince russe-vrai escroc, elle convainc
Jules de s’associer pour tricher aux cartes dans les cercles les
plus huppés. Mais comme il faut une mise de fonds, elle le met sur
la piste de ses deux anciens complices, Georges et Olympe, et lui
suggère de les faire chanter. Ce qu’il fait avec enthousiasme.
Elle intervient alors, sous une autre identité, auprès de
ces derniers, qui s’apprêtent à payer Jules, et leur
suggère l’idée d’un assassinat du maître
chanteur. Le crime se prépare et Diana tend une souricière :
la police est prévenue et juste après l’assassinant
de Jules par Georges et Olympe, elle intervient et les arrête. «Raffinement» suprême:
le substitut du procureur qui vient faire l’arrestation n’est
autre que… le fils de Georges de la Peyrade. Le choc est tel que
Georges se suicide. Olympe s’enfuit et est assassinée par
le gigolo manipulé par Diana. Le fils - parfaitement honnête – de
Georges de la Peyrade peut alors épouser la petite sœur de
Diana, réapparue entre temps… Fin de la vengeance.
Comme revendiqué dans le titre, le récit s’inspire
très directement du roman de Dumas. La situation sociale de Georges
et Olympe évoque celle de Villefort, Morcerf et Danglars, tandis
que Jules rappelle Caderousse. Les techniques employées par Diana
pour mener à bien sa vengeance suivent fidèlement celles
de Monte-Cristo: déguisements, manipulations reposant sur
les points faibles de ses ennemis, etc… L’utilisation d’un
dangereux criminel pour séduire Olympe renvoie au personnage de
Benedetto. En poussant, assez subtilement d’ailleurs, ses ennemis à assassiner
leur ancien complice, Diana se comporte comme Monte-Cristo aidant Mme de
Villefort dans son œuvre d’empoisonneuse. Et l’histoire
du fils de Georges et de la sœur de Diana évoque directement
celle de Valentine de Villefort.
Si les grands traits de la vengeance sont ainsi assez bien reproduits,
le livre pèche par bien des aspects. En l’absence de l’équivalent
de toute la première partie du roman de Dumas, le personnage du
vengeur – féminin au demeurant – n’a aucune consistance.
La Diana qui se venge est un ectoplasme sans personnalité ni état
d’âme. Et la fin du livre est étonnamment bâclée
en quelques pages.
Nettement moins inspiré que dans ses suites des Mousquetaires et
des aventures de Chicot, Mahalin donne malgré tout de savoureuses
descriptions de la pègre parisienne, avec ses mœurs et son
argot inimitable.
Extrait de la 2ème partie Rastaquouères
et souteneurs, chapitre
3 Au rendez-vous des croque-morts
Le petit jeune homme lui laissa le temps d’envisager la situation.
Puis croisant sa jambe droite sur sa jambe gauche, il reprit, avec la même
supériorité paisible:
- Allons, rassurez-vous, mon bon! Que diable! si je vous tiens
ce langage, ce n’est pas pour vous effrayer. C’est uniquement
pour vous convaincre que vous êtes à ma discrétion…
Autrement, je n’ai aucun sujet de vous en vouloir, aucune raison
de vous être désagréable…
Je ne vous cacherai même pas que j’ai besoin de vous, - et
j’ajouterai que, si vous avez l’excellent esprit de vous laisser
conduire…
- Dame! murmura le Beau-Costel, pourvu que ce ne soit pas du côté du pré (bagne)
ou de l’abbaye de Monte-à-Regret…
- Il n’est pas question de cela… pour le moment du moins.
Il s’agit de vous faire réaliser le rêve qui a dû être,
de tout temps, celui d’un garçon intelligent, hardi et taillé sur
votre patron: quitter le milieu misérable où vous végétez
et vivre en prince régnant auprès d’une maîtresse à laquelle
sa fortune permettrait toutes les prodigalités, toutes les folies,
tous les sacrifices…
Non pas une de ces vieilles coquettes, non pas une de ces vieilles coquines
qui subventionnent de petits messieurs pour satisfaire leurs appétits
caducs et surannés... Non pas une de ces créatures que les
hasards de l'existence enrichissent un jour et appauvrissent le lendemain...
Mais une femme posée, sérieuse, ayant pignon sur rue, chevaux
et voitures à 1'écurie, biens au soleil, rentes sur l'Etat...
Une femme jeune encore, avouable, désirable — une jolie femme — une
femme du monde...
- Une femme du monde! répéta Narcisse, ahuri.
- ... Qui vous créerait un intérieur d'un confort et d'un
luxe enviables entre tous, et qui ferait de vous un de ces gentlemen, habillés
comme une gravure du Journal des Tailleurs, que 1'on rencontre
au Bois, aux courses, à 1'Opéra, sur le boulevard des Italiens
et dans les salons des cabarets à la mode, dans le boudoir des demi-mondaines
les plus répandues...
Cette fois, le Beau-Costel était charmé, fasciné, ébloui.
(…)
Le Beau-Costel recouvrait peu a peu toute sa sérénité.
- Compris! s'exclama-t-il gaiement: faut que je m'arrange pour
que la gonzesse ait un fort béguin pour mézigue...
- Monsieur Poignon, prononça 1'autre avec gravité, ces façons
de parler ne sont pas conformes à votre future position.
Songez, d'ailleurs, qu'il ne s'agit pas d'une gonzesse, mais d'une
baronne...
- Une baronne? En vrai? Pas en toc?...
- Je n'affirme pas qu'elle soit poinçonnée par d'Hozier;
mais, enfin...
- Enfin, pourvu qu'elle ait le sac… du reste, il me semble que
j’ai déjà vu quelque chose comme cela dans une pièce,
au théâtre des Batignolles, une pièce où il
y avait un grand seigneur en velours noir, son 1arbin en pelure rouge,
et une reine d'Espagne en falbalas de satin blanc...
- Mes compliments! Vous avez des lettres, mons Narcisse... Et vos
souvenirs sont exacts...
- Oui, c'est dans Gil-Blas, n'est-ce pas?
- Pardon: dans Ruy-Blas. Le valet demande au maître:
Et que m'ordonnez-vous, seigneur, présentement?
Et le maître répond au valet, en lui montrant la reine d'Espagne:
De
plaire à cette femme et d'être son amant.
Eh bien, cet ordre est celui que je vous donne aujourd'hui...
(…)
L'ex-amant de mademoiselle Eglantine était un drôle pétri
d'ambition, de vanité et d'outrecuidance. Ce dont il doutait le
moins au monde, c'était de lui-même. II retroussa les crocs
de sa moustache d'un geste conquérant et fanfaron:
- Soyez paisible, déclara-t-il. Succès partout.
Jamais de cruelles. Je réussirai, monseigneur. |