*bandeau*


*chapeau*

 

 

Voici l’exemple type d’un «roman de vengeance» irrémédiablement marqué comme beaucoup d’autres depuis 150 ans par Le comte de Monte-Cristo. L’histoire a beau différer sur des points importants, l’influence du livre de Dumas se fait constamment sentir.

Le récit commence avec le retour soudain de Julien Mauriès. Appartenant à une puissante famille d’industriels d’Arles, cet homme d’affaires a été condamné par contumace vingt ans plus tôt, après sa fuite à l’étranger. Son entreprise immobilière s’était effondrée et il avait été accusé d’avoir occasionné la mort de plusieurs ouvriers en lançant des travaux sur un terrain instable alors qu’un rapport d’experts le mettait en garde.

Le retour de Julien est d’autant plus inattendu qu’il intervient à la veille de la prescription de sa condamnation: il est clair que l’homme d’affaires a délibérément choisi de faire rouvrir le dossier pour se faire innocenter et régler ses comptes. Son retour sème donc la panique dans la famille Mauriès qui ne l’a guère soutenu lors de son effondrement et auprès de ceux qui ont bénéficié de sa chute. D’autant que Julien dispose d’énormes moyens financiers. Rien de bien mystérieux là dedans: pendant ses vingt années d’exil au Venezuela, son génie des affaires lui a permis de bâtir un grand groupe industriel et de faire fortune.

Julien entreprend donc de révéler les machinations qui ont causé sa chute jadis: le faux rapport d’expertise, la trahison d’un cousin Mauriès, les magouilles d’un truand professionnel de l’immobilier devenu entre temps sénateur et gros homme d’affaires… Simultanément, il lance en sous main des opérations boursières pour prendre le contrôle du groupe familial. Le tout lui permet de retrouver son honneur perdu, sa place à la tête de la famille et l’amour de la jeune fille qu’il aimait lors de sa condamnation…

L’histoire du Paria comprend certes de nombreuses différences avec celle de Monte-Cristo. La plus évidente tient au fait que Julien revient ouvertement, et non pas sous le masque d’un justicier inconnu. L’exilé n’est pas non plus devenu un surhomme. Sa puissance est grande mais il ne contrôle pas tous les événements, loin de là. Enfin, sa vengeance n’est pas implacable, il se réconcilie même avec les membres de sa famille qui l’avaient abandonné, faisant passer l’esprit de clan avant tout.

Reste que les similitudes avec Monte-Cristo sont omniprésentes: la chute due à un infâme complot, la longue disparition, les richesses acquises pendant celle-ci, le désir de vengeance, les machinations (un peu faiblardes en l’occurrence)… Et différents personnages sont plus ou moins directement transposés comme l’ancienne amoureuse (Mercédès), le notaire ami qui n’a jamais douté (Morrel), la fille de la famille «ennemie» que sa nature franche et droite rend aussitôt proche du justicier (Valentine de Villefort), etc… Le parallèle avec Le comte de Monte-Cristo est d’ailleurs ouvertement reconnu quand l’ami de Julien lui demande: «ça ne te fatigue pas un peu de jouer les Monte-Cristo et de ne vivre que pour ta vengeance?». Décrivant largement la Camargue et les villes d’Arles et d’Aix-en-Provence, Le paria se lit bien. Le livre a donné lieu à un feuilleton télévisé réalisé par Denys de La Patellière, avec Charles Aznavour dans le rôle principal.


Extrait du chapitre Un

Julien Mauriès les regarda... Guillaume, empâté, le teint un peu bileux..., Cosima, à peine marquée par les années. La blondeur vieillit moins vite... « Les Jacques » portant beau et faisant bloc avec ces deux jeunes hommes qui devaient être leurs fils... Plus loin, les édiles d'Arles... et le Rotary Club, sandwich au caviar ou petit four de chez Lenôtre en main. Tous, plus gras, grisonnants ou voûtés, qui devaient sans doute être en train de dévorer la Gauche en piment... Et puis, tous les autres, qu'il ne connaissait pas. Mais dont la conversation se mourait en voyant tous les Mauriès se figer dans une immobilité stupéfaite... Luce, la femme de Jacques, la bouche arrondie en 0... Son mari, qui se passait un doigt dans le col de chemise, comme s'il manquait soudain d'air... Guillaume, ayant amorcé un élan bloqué sur place par un regard impérieux de Cosima. Ce fut en souveraine qu'elle se reprit la première:

- Cher Julien..., nous vous attendions.

Mentant avec un aplomb de joueur de poker que l'arrivant apprécia, elle lui souriait, la garce, sauvant la face devant les autres et les beaux-parents, qui échangeaient des regards inquiets en détaillant le personnage, lequel ne lâchait pas son bagage d'émigrant, dont la poignée s'embellissait de la rose tenue entre les doigts. On ne pouvait s'empêcher de penser irrésistiblement à Charlie Chaplin, au melon, à la canne et aux godasses, devant cette intrusion dans la fête, à la fois bouleversante - par l'effet qu'elle avait sur certains - et comique par cette allure mal fringuée, ce côté « Je débarque avec mon nécessaire » et cette dernière touche fleurie et poétique. Maintenant, la maîtresse femme poussait Guillaume contre son frère. Les deux hommes s’embrassaient maladroitement et le premier balbutiait à l'oreille de l'autre:

- Pardon. Tu ne peux pas savoir...

Comme si c'était lui qui avait souffert, il regardait ensuite son cadet avec des yeux de chien battu, tandis que Cosima, décidée à meubler à tout prix, faisait signe à une servante en costume d'Arles d'approcher avec un plateau surchargé de coupes emplies de champagne millésimé que Julien choisit d'ignorer... L'orchestre proche ayant brutalement marqué le dernier hurlement d'un rock, on entendit distinctement dans le silence la réflexion d'une invitée à son voisin. Peut-être était-elle un peu sourde pour avoir parlé si fort:

- Ce Julien Mauriès..., on m'avait dit qu'il était mort.

Sans même se retourner, celui qu'on venait d'enterrer lança:

- Rassurez-vous, madame..., je suis bien vivant.


 

 

 

*bandeau*