*bandeau*


*chapeau*

 

Ce roman est un remake du Comte de Monte-Cristo version science-fiction. Il s’ajoute à une liste déjà fournie de réécritures de Monte-Cristo (voir encadré ci-dessous). Il est à noter que, contrairement à plusieurs des titres figurant dans cette liste, Le roi sombre ne colle pas complètement à son modèle. La trame générale de l’histoire est bien sûr respectée, et l’on retrouve la plupart des personnages principaux. Mais en transposant le récit, Oren Miller a apporté quelques innovations, notamment en faisant évoluer certains personnages.

L’univers de Le roi sombre est une société interstellaire mêlant humains et extraterrestres. Outre les planètes habitées, la vie s’y trouve aussi à l’intérieur de gigantesques stations spatiales, véritables mondes en miniature abritant des millions de personnes. Ces « stations-cités » sont politiquement indépendantes mais un mouvement prônant leur rattachement à la planète autour de laquelle elles orbitent, le « territorialisme », est de plus en plus actif et violent, attentats terroristes à l’appui. D’où un climat de vives tensions.

Le début du récit suit cinq jeunes gens étudiants à l’Institut des Sciences, sorte d’ENA spatiale. Ces amis intimes comprennent Ed Noxx (Edmond Dantès), Nérion (Danglars), Orféo (Morcerf), Solal (Caderousse) et Messaline (Mercédès), la seule fille. Ed, d’origine modeste, est l’étudiant le plus brillant de l’Institut, ce qui le promet à un avenir de premier plan dans l’administration et la politique. Il est de plus fiancé à Messaline, jeune fille d’excellente famille. Mais le jeune homme est arrêté pour terrorisme territorialiste. Les preuves présentées contre lui sont accablantes et le magistrat chargé de l’enquête, Magnus (Villefort), l’empêche de prouver qu’elles ont été fabriquées.

Ed est donc condamné à la réclusion à perpétuité dans la prison la plus terrible de l’univers : la station spatiale IF. Les prisonniers y sont enfermés dans des cellules individuelles high-tech, privés de tout contact avec qui que ce soit, condamnés à l’isolement absolu jusqu’à la fin de leurs jours, et donc à une lente descente dans le désespoir et la folie. Il est bien entendu impossible de s’évader de cette station perdue au fond de l’univers.

Totalement conforme jusque là au récit de Dumas, le roman voit arriver un « abbé Faria » original en la personne de Io. Ce dernier appartient à une « race » d’êtres immatériels vivant depuis des milliards d’années, flottant dans l’espace interstellaire et s’occupant à observer et influencer les civilisations à travers l’univers. Même des êtres aussi fabuleux peuvent arriver à la fin de leur « vie » quand leur réserve d’énergie s’épuise. Io s’est donc inséré dans la station IF et s’occupe à transformer Ed en l’éduquant, etc. Le moment venu, il lui fait cadeau de pouvoirs fabuleux comme ceux de guérir ou de transmuter la matière (source de richesses infinies). Io utilise ses dernières réserves d’énergie pour bloquer tous les systèmes d’IF et permettre à Ed de s’enfuir dans un vaisseau spatial, juste avant de mourir.

Des années plus tard, Ed, méconnaissable, arrive sur Ixion, la plus importante des stations-cités. Ses ennemis ont prospéré. Nérion est sur le point de devenir président d’Ixion, Orféo va devenir Grand Sénateur, c’est-à-dire l’un des hommes politiques les plus influents de la station-cité. Une carrière qu’il doit au fait d’avoir été le « découvreur » de l’actuelle incarnation de la Déesse Mère d’Ixion. Dans le système social de la station spatiale, une très jeune fille est choisie tous les dix ans pour être l’incarnation humaine de la déité (une pratique qui semble inspirée directement de celle de la Kumari à Katmandou, au Népal). Avoir identifié Ashakiran (Haydée), l’actuelle incarnation, confère donc à Orféo un immense prestige.

L’arrivée d’Ed à Ixion, en multimilliardaire à l’origine mystérieuse, et les mécanismes de sa vengeance suivent de près le modèle dumasien. Il prend le contrôle de la principale banque de la station, ce qui le met en position de ruiner les cercles dirigeants et en particulier le riche Nérion. Il fait émerger les manœuvres illicites dont Orféo s’est rendu coupable jadis pour truquer le choix de l’incarnation de la déesse, crime gravissime. Alors que Magnus est devenu un procureur impitoyable, qui traque la corruption et l’immoralité, Ed révèle la double vie de son épouse Claudia (Mme de Villefort) qui participe en secret à de sanglantes orgies. Ed mène donc à son terme sa vengeance avec la destruction de ses ennemis et quitte Ixion en compagnie de la jeune Ashakiran avec qui il a noué une relation passionnée (et après avoir sèchement repoussé Messaline).

 

Cette version SF de Monte-Cristo se révèle plutôt réussie. La transposition est fidèle tout en incluant un peu de créativité. La transformation de l’abbé Faria en être immatériel tout puissant est intéressante, de même que celle d’Haydée en incarnation de la déesse. A noter d’ailleurs une transformation notable de la relation Orféo/Ashakiran par rapport à celle Morcerf/Haydée. Là où Morcerf avait bâti sa fortune en vendant Haydée en esclavage, Orféo a construit la sienne en se faisant passer pour le bienfaiteur de la jeune prêtresse. Les thèmes et les décors de SF sont plutôt bien menés. On peut, en revanche, trouver l’écriture du roman parfois un peu trop maniérée.

 

 

Extrait du chapitre 4

- Ed, je suis le dernier de mon espèce, et je meurs. Ce n'est pas grave, c'est le bon moment. Celui que j'attendais.

- Qu'est-ce que tu racontes ? s'emporta Ed. On s'échappe ensemble, tu te rappelles ? C'est le plan. C'est ton plan. Quel est le problème ? Tu as peur de ne pas pouvoir provoquer une brèche dans le système ? On trouvera une autre solution. Nous sommes deux esprits brillants, d'accord ? On sort et on va régler mes comptes. C'est le plan !

- Je n'ai pas passé toutes ces années à te former pour qu'on s'échappe, Ed. J'ai passé toutes ces années à t'éduquer pour que tu t'échappes. Je n'ai pas voulu créer un compagnon, j'ai voulu créer un successeur. Un fils.

Le prisonnier laissa filer ses doigts sur le verre épais du globe. Il resta muet.

- C'est toujours moi le meilleur en réparties, railla Io. Court-circuiter un système aussi complexe et étendu que celui de la prison me sera fatal. Quand je t'ai rencontré, j'ai su que tu étais unique. Exceptionnel. Je voulais te transmettre tout ce que je suis et t'offrir ensuite au monde. C'est mon testament.

Ed ne répondit rien. Son visage se figea, comme s'il avait été fait de marbre. Une autre expression nouvelle. Une larme unique enfla à la commissure de son œil valide et roula discrètement.

- Tu es un fils parfait. Tu es le meilleur de ta race et le meilleur de la mienne. Mais, avant de te laisser prendre ton envol, j'al une dernière chose à t'offrir.

- Io, arrête, interrompit Ed avec fermeté. Tu es ma seule famille. Je vis avec toi depuis plus longtemps que je n'ai jamais vécu avec personne. La vengeance, la liberté, ça ne veut rien dire sans toi. Je suis né dans cette prison, je peux y vivre.

- J'ai construit tes ailes, j'entends bien que tu t'en serves. Tu vas me laisser t'offrir un ultime présent : la somme des dons de mon espèce.

- Qu... Quoi ? murmura Ed.

- Nous maîtrisons les trois piliers d'une connaissance primitive. Elles sont familières à ta race car on les lui a, jadis, montrés : la panacée, la transmutation, et l'allongement de la vie.

- Tu parles de l'alchimie ? Tu es sérieux ?

- Ah. Le mot auquel je pensais était « pâtisserie », mais c'est le tien qui doit être le bon.

- Tu connais l'alchimie ? interrogea Ed, encore surpris après quinze ans de collocation quasi symbiotique. N'est-ce pas un mythe?

- En fait, sans vouloir me vanter, j'ai inventé cette faculté. Avec les autres, mais ils ne sont plus là pour me voler la vedette. C’est mon cadeau.

Ed rapprocha sa figure de l’œil. Son épiderme frissonna, plus pâle que jamais. Tout son organisme réagissait en alerte, comme s’il pressentait le pire.

- Je ne veux pas de cadeau, articula-t-il avec une conviction remarquable, je ne veux pas de la solitude que tu vas me léguer. Elle a assez mesuré ma vie.

- Ne fais pas ta mauvaise tête. Nous arrivons au bout de notre histoire, et le temps, pour une fois, une unique fois, va nous manquer. Tout a une fin. La mienne arrive. Écoute bien...

Io fit silence durant plusieurs minutes. Ed ne l'aurait rompu pour rien au monde. Sa respiration se fit plus rare, à tel point qu'on aurait pu la croire inexistante. L'homme se fit discret jusqu'à se fondre dans l'environnement pour que rien ne trouble la solennité de l'instant.

- Il y aura un prix à payer, reprit Io, plus lentement encore. Tu es au-delà de l'être humain car ta conscience est élevée, mais tu n’es pas de ma race. Il y a des risques d'incompatibilité entre nous deux. Je consacrerai ma dernière pulsion à prendre possession de toi. Je transformerai ta nature pour que tu puisses utiliser les artefacts dédiés à l'alchimie. Quand ce sera fait, tu devras te rendre à l’adresse cosmique dont je t'ai si souvent parlé...

Ed prit sa tête entre ses mains. Il crispa sa mâchoire, comme si les mots risquaient de la brûler, mais il finit cependant par marmonner avec douleur :

- Celle des légendes ?

- Oui, celle des légendes, tes préférées. Tu y trouveras un vaisseau. Si j'ai bien fait mon travail, il te reconnaîtra comme compatible. L'ordinateur de bord te guidera ensuite vers ton héritage. Et puis...

Ed enserra le globe comme un visage. Collant le front tout contre, il trembla.

- Et puis ? chuchota-t-il.

- Et puis... tu rétabliras l'équilibre. Tu vas vivre longtemps, Ed, très longtemps. Bien plus que tes congénères. Tu vérifieras si notre théorie sur ton histoire est exacte, ce dont je ne doute pas, et ensuite tu exigeras qu'on te rembourse le prix de ta douleur. Quand ce sera fait, cherche un nouveau sens à ton mouvement, ne voyage jamais seul et ne fais jamais rien de banal. Fais-en-moi la promesse.

 


 

 

 

*bandeau*