*bandeau*


*chapeau*

 

 

Souvent considéré comme une réécriture du Comte de Monte-Cristo, ce roman n’est pas un “remake” littéral comme il y en a tant, de La force du destin à Le roi sombre. Gwyneth Jones a en fait écrit un gros roman de science-fiction qui utilise quelques-uns des grands schémas du roman de Dumas mais qui s’écarte beaucoup de ce dernier.

Spirit se déroule dans un univers particulièrement complexe : plusieurs espèces intelligentes cohabitent sur diverses planètes reliées entre elles par un étrange mode de voyage psychique. L’univers imaginé par l’auteur britannique ayant été développé dans plusieurs autres romans, de nombreuses notions ne sont guère explicitées, ce qui rend la lecture parfois difficile et l’exercice du résumé presque impossible.

Pour s’en tenir à quelques éléments touchant à la relation avec Monte-Cristo, il faut d’abord noter que les 200 premières pages n’ont aucun rapport avec le roman de Dumas. On y suit la vie de Bibi, entrée au service de lady Nef, une très grande dame mariée à un général de premier plan, et appartenant ainsi à une « Maison » riche et puissante. Le général et lady Nef finissent par être envoyés en ambassade avec toute leur suite sur une planète extraterrestre.

L’ambassade tourne au désastre, un véritable guet-apens où une grande partie du groupe est massacrée. Bibi se retrouve enfermée dans une planète prison où les prisonniers sont laissés dans un tel isolement que, violée par les gardiens à son arrivée, elle donne naissance à un bébé dans sa cellule sans que personne ne s’en rende compte.

Bibi finit par entrer en contact avec une autre prisonnière qui se révèle être lady Nef elle-même. Cette dernière joue son rôle d’abbé Faria en instruisant Bibi et en lui donnant la clé d’une richesse infinie : les coordonnées d’une planète vierge de tout habitant. La jeune femme s’échappe à l’occasion de la mort de sa maîtresse. Elle réapparaît plus tard, méconnaissable et richissime, sous le nom de « Princess of Bois Dormant » (en semi français dans le texte) et mène dès lors à bien sa vengeance – ou quelque chose d’approchant – contre les responsables de ses malheurs et de ceux de lady Nef. Avec parmi ces derniers rien moins que son époux, le général Nef. Les manœuvres de Bibi incluent un épisode de kidnapping par des brigands directement inspiré des aventures d’Albert et Franz à Rome dans Monte-Cristo, ainsi que des complots dans la bonne société autour de jeunes filles à marier et d’héritages à convoiter.

Spirit puise donc nettement dans le roman de Dumas mais partiellement seulement. Le début du Comte de Monte-Cristo jusqu’à l’arrivée au château d’If ne se retrouve quasiment pas, tandis que les épisodes de la vengeance apparaissent partiellement. C’est donc la partie du château d’If qui est transposée le plus fidèlement, avec des différences notables toutefois : la grossesse de Bibi et la présence de son bébé à ses côtés dans sa prison, le fait qu’elle connaît intimement de longue date son « abbé Faria »…

Le roman est cependant beaucoup plus que cela. La richesse et la complexité de l’univers imaginé par Gwyneth Jones méritent qu’on s’y attarde – à condition de faire les efforts nécessaires. Une curiosité pour les lecteurs francophones : la présence de nombreux éléments de culture française. Les mots français abondent (et ce dès le sous-titre) ; un extraterrestre se fait appeler « François » et adore parler le « vieux français » ; un mouvement réformateur adopte comme devise « Liberté, égalité, amitié ». Et les enseignements prodigués à Bibi par lady Nef dans leur prison incluent la lecture des Pensées de Pascal et de La recherche du temps perdu (voir extrait ci-dessous).

 

Extrait de la troisième partie, chapitre XXXVII

Every morning, Bibi went to do her duty by the hand, breaking through the film of glass-fibre that had formed overnight, over the gap in this wall, and in the wall above. She learned to wrap her own hands in her ragged sleeves, to protect them from tiny, vicious splinters. Then they ate together, but not until Lady Nef had searched both bowls of porridge for chitin. Some of the blood tea was preserved for household industries. Pollen bread was put aside for a lunch or supper treat. Then it was Morning Drill, including the echolocation game; then it was school time. Di learned her characters. Bibi had to practise mental exercises, and memorise code strings: apparently in preparation for the feat of copying Lady Nef's library into her memory (a project Bibi still believed a fantasy). At lunchtime, whether or not there was any lunch, they had a nap.

Afternoons were devoted to the household industries. Once she'd trained her apprentices, Bibi and Di worked while Lady Nef read to them from the Pensées, or else she'd add a few sentences to her history. In the hour before lights out, the household gathered for Evening Dance.

Nef didn't seem afraid of the hand, but she paid it no more attention than if it had been a mechanical process, like the light and darkness. At random intervals, when it had done its business it would rap on the door. A voice would click, faintly, 'All right in there?' (This had never happened to Bibi.) Nef would click in reply, 'All right, thank you,' — and the intrusion would be over.

My poor mistress is not mad, thought Bibi. But she's not sane either. She's created a starved, pitiful version of our life in the Great House to fill this emptiness, and protect her from reality. And I'll join her in her delusions, why not? What is the use of mental agony, what does it achieve? Why not use the trapped power of your mind to convince yourself that all is well? What if the people who hurt you, who betrayed you, who buried you alive, could see into this cell? Would you want them to see you reduced to a naked, filthy lunatic, would you want them to see you howling in despair? So be happy, live in a dreamworld, if that's the only defiance possible.

Later, she revised her opinion. Nef was not deluding herself, she was keeping hope alive. A hope that would never be fulfilled, but which had become an end in itself. Later still, she changed her mind again.

Sometimes for days, for measureless time, they hardly spoke aloud, except for Lady Nef's readings. The Common Tongue was all they needed, as they passed and repassed each other in their treasured, unvarying round. The Aleutian respect for Silence drew a veil over the jagged words that Bibi occasionally heard, in her mind, in a voice she hardly recognised as Nef's. She knew that Nef must sometimes hear her screaming, too. They never mentioned this phenomenon. The little girl took to Silence as if it were her mother tongue, and one day Bibi had the shock of hearing a tiny voice, whispering in her head. MymiMummy

Bibi, who was beating paper, whipped her head around as if she'd been stung. The child beamed at her, and returned to her characters: brush poised, one tiny hand pushing back her black hair, in a curiously grown-up gesture, the inert phage safely tucked between her feet. Her strange twin was still her favourite toy. Where had Dirt-baby found that word? She had not. It was Bibi who had given her child's loving glance the shape of mother.

 


 

 

 

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