*chapeau*
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Fracasso |
Extrait du chapitre 12 Où il est révélé
que la maîtresse d'Heydrich n'aimait pas les enfants
La peur monta plus haut en Maria Eberhardt. Elle porta la main à sa gorge. Elle ne pouvait plus lutter contre la panique qui s'emparait d'elle. Elle allait mourir. Elle le savait. Et cela se passerait cette nuit. Et cette chambre de soie blanche serait son tombeau.
"Le Maudit" (Bréval) l'avait condamnée à mort. L'heure de l'exécution était arrivée. Et cette fois, il n'y aurait pas de miracle pour la sauver.
La première fois, le Maudit l'avait frappée à la nuque. Mais il était si jeune! Les jeunes gens ne savent pas frapper les femmes à mort. Elle avait survécu. La deuxième fois, le Maudit l'avait pendue mais Heydrich était arrivé à temps et il avait coupé la corde. La troisième fois, c'était maintenant: le Maudit était revenu, et Heydrich était loin.
"Nein! cria-t-elle. Pas ça!
- De quoi as-tu peur, Maria?" chuchota à sa droite
la voix près de la table de chevet.
La voix si jeune et si triste! Une voix qu'elle avait connue un jour, mais où? Une voix qui avait chuchoté d'autres mots à son oreille... La voix de qui, déjà?
Elle sentit que c'était cette voix-là qui, seule, pourrait la sauver, cette voix-là qui aurait pitié.
"Aidez-moi, monsieur! supplia-t-elle. Je ne suis pas coupable. Qui que vous soyez, défendez-moi. Vous savez bien que je n'ai rien fait de mal puisque vous connaissez mon nom, puisque vous m'appelez: Maria!
- De quoi as-tu si peur, Maria? répéta la voix près de la table de chevet.
- De quoi m'accuse-t-on? demanda Maria.
- De meurtre! répondit la voix.
- Qui m'accuse? Qui ai-je tué?
- Je t'accuse, moi! Et celle que tu as tuée, c'est...
- Qui? Dites-le, si vous l'osez!
- Souviens-toi, Maria, elle s'appelait Mary...
- Mary! Oh, non!
- C'était ma fiancée...
- Ta fiancée! Oh! je...
- Et tu l'as fait décapiter à la hache par le bourreau nazi, le 12 septembre 1940.
- Philippe! hurla Maria! Philippe, toi! Toi!"
C'était la tristesse qui l'avait trompée, la tristesse dans ce murmure qui l'avait empêchée de reconnaître tout de suite la voix jeune et gaie du seul homme qu'elle avait failli aimer.
Un espoir sauvage l'envahit
"Philippe, cria-t-elle. Au secours! Rappelle-toi...
- Trop tard!" fit la voix du Maudit.
Bréval avait senti que Maupertus allait s'attendrir. Maintenant sa voix n'était plus près de la commode.
Elle était là, tout près du cou de Maria.
Philippe se demandait s'il ne vivait pas un cauchemar. Ils étaient venus chez Maria organiser un guet-apens où ils attireraient Heydrich. Et voilà qu'il allait assister à une mise à mort.
Etait-ce la nuit d'orage, était-ce l'éclair des explosions, la détonation des bombes, la foudre du Ciel qui les avaient ensorcelés? Etait-ce plutôt le souvenir de Mary qui rejaillissait en lui si fort qu'il le faisait perdre pied? Ou bien avait-il toujours su? N'avait-il proposé cette visite chez Maria que comme un prétexte? Et les autres? Pourquoi ne disaient-ils rien? Pourquoi laissaient-ils faire?
Ils étaient quatre et ils allaient tuer une femme! "Messieurs, demanda Bréval. Cette femme est-elle coupable?
- Elle est coupable! répondit Belletoise.
- Elle l'est!" répondit La Castagne.
Philippe se tut.
"Réponds, Philippe! Cette femme est-elle coupable? insista la voix inexorable de Bréval.
- ... Oui, répondit Philippe dans un souffle.
- Et moi aussi, Jean de Sainte-Croix, dit "Bréval", dit "Le Maudit", je déclare cette femme coupable. Maintenant, David, quelle peine réclames-tu contre cette femme?
- La peine de mort! répondit Belletoise.
- La peine de mort!" répondit La Castagne.
Philippe se tut.
"Réponds, Philippe, c'est Mary qui te le demande par ma bouche..., répéta doucement la voix de Bréval.
- ... La peine de mort, murmura Philippe.
- Ainsi soit-il! fit Bréval.
- Lâches! hurla Maria, vous êtes quatre et vous allez tuer une..."
Elle n'eut pas le temps de terminer sa phrase: la lumière jaillit. L'alerte était finie. A Zehlendorf, les machines de secours avaient pris la relève. Berlin, à nouveau, voyait clair. Maria regarda les quatre juges autour de son lit: la statue impitoyable de Bréval, glacée de Belletoise, sourde de La Castagne, troublée de Philippe.
"Lâches! répéta-t-elle. Vous allez tuer une femme enceinte!"
Elle éclata d'un rire de folle. Fiévreuse, les cheveux dénoués flottant sur son cou, le visage ravagé par le masque de grossesse, elle rit en les montrant du doigt.
"Ah! Les beaux juges que voilà! Vous ne vous attendiez pas à cela, nicht wahr, messieurs?
- Oh! Dieu!" soupira Maupertus en essuyant son visage.
C'était donc pour cela que Maria était dans sa chambre, pour cela qu'elle était couchée, pour cela qu'elle n'avait pas bondi hors du lit, ni sauté aux yeux de ses bourreaux. Elle était grosse d'un enfant et, sous les draps, son ventre semblait un volcan éteint.
"Maria! souffla-t-il. Enceinte, toi?
- Oui, moi! répondit Maria avec haine. Moi, Maria Eberhardt, je suis grosse. Regarde-moi! Regarde mon ventre! Regarde ta maîtresse enceinte de huit mois!...
- Huit mois!... Tu veux dire que..."
Une joie mauvaise envahit les yeux de la malade. Elle regarda Maupertus, seulement Maupertus, et articula lentement:
"Que préfères-tu, Philippe? Que ce soit ton fils, ou celui de Reinhard Heydrich?"
Un flot de sang envahit tout le visage de Philippe. Une horreur incrédule gagna ses yeux:
"Vite! Dis-moi! ordonna-t-il en serrant les poings.
- A mon tour de te dire "Devine!", ricana Maria en se rejetant dans son oreiller.
- Malédiction! blêmit Maupertus.
- Qu'est-ce qui se passe? Tu n'as pas l'air content? Tu ne me demandes même pas comment je vais l'appeler? ironisa Maria.
- Tais-toi!" hurla Maupertus.
Il sortit de la chambre en courant comme s'il allait vomir. La voix de Maria le rattrapa une première fois pendant qu'il traversait le salon:
"Je vous hais! criait-elle. Je vous hais tous les deux. Je hais celui qui a déformé mon ventre."
Elle cria une seconde fois au moment où il atteignait la porte d'entrée:
"De toute façon, je l'appellerai SATAN!"