*chapeau*
Comme bien d'autres suites apocryphes des mousquetaires, Le
grand secret de d'Artagnan vise à utiliser le
"trou" qui sépare les deux premiers romans de
la trilogie de Dumas. Arsène Lefort s'en explique dans
une Note préliminaire où il écrit notamment:
"entre la fin des Trois mousquetaires et le
début de Vingt ans après, il s'écoule
en effet une vingtaine d'années qui, selon l'affirmation
de Dumas, auraient été pour d'Artagnan d'une monotonie
constante et sans la moindre aventure". Or, poursuit-il,
d'Artagnan a vécu pendant cette période une "aventure
extraordinaire" que Dumas a ignorée.
En effet, écrit Lefort, cette aventure est restée
"le secret exclusif de d'Artagnan
et de sa sur",
femme "insigne" dont "les Mémorialistes
et les Historiens n'ont pas connu l'existence".
Le roman raconte donc comment, au début de la Fronde,
d'Artagnan récupère, en volant au secours d'une
jeune fille agressée, un ensemble de documents prétendant
prouver que Louis XIII n'était pas le fils d'Henri IV
et que Louis XIV n'a donc pas droit au trône. De quoi faire
vaciller le trône de France et mettre l'Europe à
feu et à sang
Une lutte terrible s'engage alors entre Condé (qui deviendrait
l'héritier légitime de la couronne) et d'Artagnan
pour la possession des documents. Au final, le mousquetaire l'emporte,
bien sûr, et détruit sagement les manuscrits.
Le récit ménage quelques scènes de bravoure:
le gigantesque coup de bluff de d'Artagnan qui prend sur lui
d'investir l'hôtel de Condé pour faire céder
le prince en lui faisant croire qu'il est mandaté par
la Reine; une orgie très réaliste dans les bas-fonds
de Paris, où la jeune et pure héroïne est
menacée de perdre son honneur (ce qui est courant dans
les romans populaires), mais de façon beaucoup plus explicite
que d'habitude
Une curiosité enfin: le bras droit de d'Artagnan dans
cette aventure où n'apparaît aucun des trois autres
mousquetaires n'est autre que sa sur aînée
Germaine, prieure de couvent, qui cache les documents, intervient
auprès de la Reine, etc...
Un récit très honorable, donc, même s'il
n'est pas d'une inventivité exceptionnelle.
Note: le livre a également été édité dans la "Collection Mousquetaires" aux côtés d'un autre roman de Lefort, La captive de la Tour-Mystère.
Extrait de la deuxième partie, chapitre 1 La révérende mère abbesse
Un couloir le long duquel s'alignaient, à droite et
à gauche, des portes surmontées d'une croix peinte
en noir à même le mur blanc. Puis une porte d'antichambre.
Et enfin d'Artagnan fut introduit seul, et la porte se referma
derrière lui, dans une petite pièce, véritable
cellule de religieuse, où il se trouva devant une dame
de haute et souriante mine, qui avait sans doute une cinquantaine
d'années et encore de la beauté.
- Je suis heureuse de te revoir et de t'embrasser, Charles, dit
cette dame en français, avec un léger accent de
Gascogne.
- Et moi donc, Germaine! s'exclama d'Artagnan.
Se tenant chaleureusement par les mains, la "révérende
mère" et le visiteur laïque se baisèrent
deux fois aux joues, à pleines lèvres, avec une
évidente tendresse. (
)
L'embrassade finie, Germaine recula d'un pas, regarda Charles
avec une vive attention:
- Ton visage n'est pas tel que d'habitude. Qu'y a-t-il? dit-elle
d'une voix contenue.
Du même ton d'Artagnan répondit:
- Des choses très graves, et des plus secrètes.
- Alors, passons dans mon oratoire.
Se retournant, Germaine marcha vers une porte qu'une tenture
de simple toile brune, avec embrasse, ne cachait qu'à
demi. Elle l'ouvrit, passa. Charles avait suivi sa soeur. Il
franchit lui aussi le seuil, mais ensuite il fit demi-tour sur
place pour refermer soigneusement la porte: elle était
de bois épais, capitonné à l'intérieur
de l'oratoire.
D'Artagnan poussa un verrou et fit tomber complètement
par-dessus le capitonnage une tenture de grosse tapisserie, qui
représentait en couleurs, douces, nuancées, une
espagnole Notre-Dame des Sept Douleurs.
Déjà Germaine s'était assise dans un fauteuil
à haut dossier, avec accoudoirs et coussins. Le Mousquetaire
se débarrassa de son manteau, de son chapeau, même
de son épée: il déposa le tout, bien en
ordre, sur deux chaises accotées. Puis il s'assit, dans
un "dagobert", en face de sa soeur.
L'oratoire de la Révérende Mère Abbesse
des Dames du Carmel, par son ameublement et sa décoration,
faisait penser à la chambre-boudoir-bibliothèque
d'une dame cultivée, même consacrant ses loisirs
à écrire, beaucoup plus qu'à une simple
cellule monacale. C'était bien, d'ailleurs, le cadre qui
convenait à la beauté à la fois austère
et souriante, dominatrice et gracieuse de l'abbesse d'un Carmel
où l'on obéissait à des règles très
exceptionnelles.
- Parlez, mon frère, dit gravement cette femme lorsque
d'Artagnan fut assis.
Alors, de sa voix un peu dure de Gascon qui a donné plus
d'ordres militaires et plus de coups d'épée qu'il
n'a débité de madrigaux, mais d'un timbre contenu
et d'une élocution nette quoique rapide, d'Artagnan parla.
Il fit le récit, très sobre mais complet, de ce
qui était survenu, qui s'était dit, qui s'était
fait, rue Tiquetonne et dans l'Hôtel de la Chevrette, depuis
qu'il avait dégainé en s'élançant
au secours d'une femme assaillie, jusqu'au moment, où,
ce matin, il s'était séparé de Cosperons
pour monter à cheval et galoper jusqu'à Bourg-la-Reine.
Mais s'il parla de la pochette et des parchemins et de la lecture
qu'il avait faite, pour lui seul, de ces documents, il ne fit
pas la moindre allusion à ce que révélaient
les lignes, les signatures écrites, et les cachets de
cire apposés, bien aplatis, au bas de quelques uns de
ces parchemins.
Quand d'Artagnan eut terminé son récit, il s'appuya
du dos au dossier bas de son dagobert, allongea les bras sur
les accoudoirs et, comme délivré d'un poids, il
exhala un grand soupir.
La mère Abbesse, elle, avait écouté sans
interrompre, sans un jeu de physionomie, sans le moindre émoi
dans ses grands yeux sombres. |