*bandeau*

*chapeau*

 

 

 

Curieux livre que ce "roman historique" consacré à Anne-Charlotte de Chanlecy, baronne de Sainte-Croix, l'épouse de d'Artagnan (le vrai!).

Sur la base des données historiques, l'auteur retrace les grandes lignes de la vie de cette femme tombée dans l'oubli, Dumas ne l'ayant pas intégrée dans ses romans: origines dans la petite noblesse provinciale, éducation, premier mariage la laissant jeune veuve... Viennent ensuite la rencontre de d'Artagnan à l'occasion d'un voyage du roi Louis XIV à Chalon-sur-Saône, le coup de foudre, le mariage, etc. La passion du début ne dure pas longtemps: d'Artagnan est perpétuellement absent et a trop de succès auprès des dames de la Cour, Anne-Charlotte est jalouse, dévote, grippe-sou. Les deux époux vivent bientôt séparément, jusqu'à ce que la baronne apprenne par un message du roi la mort de d'Artagnan à Maastricht.

Jusque là, le livre se présente comme un récit historique romancé mais réaliste, en dépit de quelques allusions aux Trois mousquetaires. Mais peu avant la fin du roman, l'auteur introduit un épisode totalement imaginaire qui voit la veuve de d'Artagnan, à la personnalité finalement plutôt fade, se transformer en espionne pour le compte de Louvois. Un passage qui tombe un peu comme un cheveu sur la soupe.

Basculant ainsi d'un registre réaliste à un registre fantaisiste, ce roman - qui intrigue par ailleurs avec le point d'interrogation de son titre! - n'en demeure pas moins d'une lecture agréable de par son écriture alerte. Deux autres romans sont consacrés à l'épouse du mousquetaire: Madame d’Artagnan de Brigitte Barel et Et Charlotte épousa d'Artagnan d'Henri Nicolas. Et également une nouvelle: Charles de Batz-Castelmore, comte d’Artagnan.


Extrait du chapitre cinq

Louis XIV est accompagné de son frère. Il a vingt ans. Déjà son autorité naturelle transcende sa fonction. En sa présence, chacun comprend qu’il est devant un grand roi. Anne d’Autriche, la régente, apparaît à la suite de son fils. Le cardinal Mazarin n’a pas revêtu la pourpre cardinalice, il porte un costume noir, à la mode espagnole, avec une courte cape écarlate comme celles des centurions romains symbolisant son état et son pouvoir. Suivent six mousquetaires, dont l’un marche seul, derrière le cardinal. Mazarin se retourne, attend le mousquetaire et lui parle à voix basse.

- C’est le comte d’Artagnan, lieutenant des mousquetaires du roi. L’épée la plus fine et sans doute la plus loyale à son souverain et à la reine de tout le royaume.» Marie de Sévigné a glissé ces mots derrière son éventail à Charlotte.

La démarche souple et assurée du mousquetaire n’a pas échappé aux yeux noisette de Charlotte grands ouverts sur ce monde de la cour si nouveau pour elle. Quittant le cardinal, d’Artagnan s’incline devant la reine. Anne d’Autriche sourit, lui adresse quelques mots que Charlotte et Marie ne peuvent entendre de l’endroit où elles se trouvent, mais qui doivent être aimables à recevoir, eu égard à l’air presque affectueux de la reine. D’Artagnan salue très bas la souveraine avant de rejoindre Nicolas Fouquet.

Une jeune femme se détache d’un groupe de papillons; elle semble glisser plutôt que marcher. Une robe de velours vert exalte sa chevelure rousse et s’harmonise à l’éclat de ses yeux. Arrivée devant la reine, elle plonge dans une profonde révérence. Là encore, comme pour d’Artagnan, la reine reçoit l’hommage avec bienveillance. Les regards se concentrent sur la robe verte. Nulle bienveillance dans celui de Mazarin qui salue la nouvelle arrivante d’un bref signe de tête. «La duchesse de Chevreuse.» Glisse Marie à Charlotte.

-  Comme tu le vois, elle est jeune, belle, riche, puissante. C’est une amie de la reine. Le cardinal ne l’aime guère;  pendant la Fronde elle a hourdi plus d’un complot contre Richelieu et Mazarin.» La duchesse adresse un petit signe avec son éventail à Marie.

Par la présence affectueuse de son amie, Charlotte se sent bien à sa place dans ce ballet de papillons qui lui apporte le sentiment de son existence, loin de son habituelle solitude dans l’indifférence de la noblesse de Bourgogne.

Soudain d’Artagnan est devant Charlotte. Il effleure de ses lèvres la main de Marie. Puis la sienne, après que Marie l’eut présentée au mousquetaire. Elle observe d’Artagnan. Il est plutôt grand, la taille fine et les épaules larges, sans une once de gras. «Un chat maigre» pense Charlotte. On devine une vigueur peu commune dans ce corps long, souple comme une lame. Le costume de velours bleu agrémenté de la casaque à la croix d’argent brodée, accentue son air martial. «Il ne porte pas de perruque. Ce sont ses cheveux, longs, noirs, brillants.» Note mentalement Charlotte. Elle suit le dessin de ses fines moustaches, remonte vers les pommettes saillantes. Les yeux mobiles et très noirs plongent et se fixent dans son regard noisette. Charlotte a l’impression d’un léger vertige. La voix de d’Artagnan lui parvient de très loin. Elle se reprend vite, juste le temps de voir le beau mousquetaire prendre la main de Marie de Chevreuse.

- Ils sont amants? Demanda Charlotte à Marie de Sévigné.

 

 


 

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