*bandeau*

*chapeau*

 

 

Dans le gros volume consacré à exposer la vision très personnelle de l’histoire de France de San-Antonio, le chapitre traitant de Louis XIII est suivi d’un «document inédit» écrit par un certain Alexandre du Mât.

Ce bref récit raconte la visite faite à la reine Anne d’Autriche par le mousquetaire Bérugnan. Dix ans après l’affaire des ferrets de la reine, il fait des révélations scandaleuses à la souveraine: d’Artagnan est un imposteur, un Arménien dont le vrai nom est Dartanian. Surtout, le célèbre mousquetaire a jadis trompé la reine en lui remettant, à son retour d’Angleterre, de faux ferrets pendant qu’il gardait les vrais…

Un pastiche amusant et sans prétention, parfaitement immoral, dans la tradition des San-Antonio.

Merci à Catherine Bec pour m’avoir signalé ce texte.


Extrait

Bérugnan posa la cuvette qu'il tenait toujours et ramassa son chapeau dont la plume d'autriche balayait le plancher d'Anne d'Autruche.

— Madame, voici une dizaine d'années, vous remîtes ces ferrets au Duc de Buckingham. Son Eminence en eut vent et souffla au roi d'exiger de vous que vous les portassiez au bal de la cour, tout ceci est exact, n'est-ce pas?

— Ça l'est, cria la reine, dans un souffle. Et après?

— Vous chargeâtes alors d'Artagnan d'aller les récupérer en Angleterre chez Sa Grâce.

— Et il s'acquitta magnifiquement de sa mission, fit la reine.

Bérugnan baissa la tête.

— Hélas, non, Madame. Depuis dix ans, cet homme ambitieux qui a maintenant le grade de lieutenant dans notre glorieuse compagnie et qui est en passe de devenir capitaine, dupe son monde. Il n'est pas plus Gascon que ne l'était Concini.

— Que me dites-vous! balbutia la pauvre Anne.

Bérugnan, d'un geste ample de son bras terminé par la main qui tenait le chapeau à plumes, balaya une fois de plus le parquet d'Anne, d'autruche.

— Cet homme a modifié l'orthographe de son patronyme, Majesté. Son nom, qu'il a le front d'écrire d'A.R.T.A.G.N.A.N, s'écrit en réalité D.A.R.T.A.N.I.A.N, en un seul mot, sans «g» mais avec un «i». Et pour aller au bout de la vérité, ma reine, il n'est pas Gascon mais Arménien.

Un silence glacé comme les mains d'un serpent s'abattit alors entre la reine et son visiteur. Anne d'Autriche ressemblait maintenant non point à une fille de la Maison d'Espagne, mais plutôt ù une princesse nordique en pleine hibernation. Pale et froide, elle paraissait s'être changée en statue de glace.

— Se peut-il, mon ami? fit-elle dans un soupir que Bérugnan perçut cependant car il avait l'oreille aussi fine que l'ardoise de son petit Liré.

— Cela est, Majesté. Mais il y a pire. L'ignoble individu vous a honteusement abusée avec cette histoire de ferrets. Il en a fait confectionner de faux, et c'est ceux-là qu'il vous a remis, tandis qu'il cédait discrètement les vrais à un joaillier marron d'Amsterdam. Sa Majesté comprend maintenant pourquoi la fortune du scélérat est allée si vite? C'est le diable que cet homme-là!

— Il faut prévenir le roi! fit la reine qui, dans cet instant de faiblesse, éprouvait un immense besoin de protection.

— Impossible, Madame, Dartanian vous tient. Prévenir Sa Majesté équivaudrait à lui avouer qu'à un moment ou l'autre vous vous séparâtes des ferrets!

— C'est vrai! convint la reine en se tordant les poignets avec son autre main. C'est très vrai!

— Je ne le fais pas dire à sa Majesté! se lamenta le brave mousquetaire.


 

*bandeau*