*bandeau*


*chapeau*

 

 

Moins répandu que pour Le comte de Monte-Cristo (voir notamment Talion et The stars’s tennis balls), l’exercice du «remake» ou réécriture plus ou moins intégrale du texte d’origine transposé dans un autre contexte, se pratique aussi pour Les trois mousquetaires. On l’a vu avec Les trois médecins de Martin Winckler et avec Musketeer Space, on le voit de nouveau avec Speculator, transposition du roman de Dumas dans le monde de la finance du XXIème siècle. Durant la majeure partie du roman, Speculator suit très fidèlement la trame de son modèle, avant de prendre quelques libertés bienvenues qui lui permettent d’échapper à la copie conforme.

L’histoire commence avec l’arrivée à Paris du jeune Daniel Batz, diplômé en informatique et en finance. Il se fait recruter par une société d’intelligence économique (ou plus exactement de barbouzes au service d’entreprises) où il intègre une petite équipe comprenant trois autres professionnels: Delafère (Athos), Tommy (Porthos) et Chamberlain (Aramis). La société travaille pour Geodhia, une multinationale aux activités diversifiées, dont les sphères dirigeantes sont ravagées par de sévères luttes de clans.

Le PDG, René-Louis Leroy, et son épouse, Anne Leroy-Murcia, directrice générale, ne s’entendent guère. Surtout, un hedge-fund américain, Xanitis, a pris une participation dans Geodhia et son représentant, Emmanuel Duplessis (Richelieu) aimerait bien y prendre le pouvoir.

Une innovation majeure mise au point par les services informatiques dirigés personnellement par Anne Leroy-Murcia va mettre le feu aux poudres. Il s’agit d’un logiciel d’investissement boursier, baptisé Speculator, censé permettre des placements infaillibles. De quoi attirer bien des convoitises.

Ainsi l’amant d’Anne Leroy-Murcia, un oligarque russe vivant à Londres, Vorchilov, a obtenu de sa maîtresse qu’elle lui prête l’unique clé USB qui permet de faire fonctionner le logiciel miracle. C’est le moment que choisit Duplessis pour exiger que la directrice générale fasse une démonstration de Speculator devant le comité exécutif du groupe.

La secrétaire particulière d’Anne Leroy-Murcia, qui loge Batz et qui est devenue sa maîtresse, lui demande d’aller à Londres récupérer la clé USB. Mais celle-ci a été volée à Vorchilov par la sublime Faye Turner, redoutable espionne internationale au service de Duplessis…

Après cette transposition très fidèle de l’épisode des ferrets de la reine, l’histoire se poursuit. Le siège de La Rochelle devient une expédition pour récupérer des documents confidentiels dans une usine que Geodhia veut délocaliser et qui est occupée par ses ouvriers.

Le récit prend ensuite de sérieuses libertés avec son modèle. Car le monde du XXIème siècle n’est pas celui du XVIIème, et sa logique propre dicte sa loi à l’intrigue. Les luttes pour le pouvoir sont bien sûr toujours aussi impitoyables. Mais l’argent est devenu la seule valeur et les sentiments d’amitié, d’honneur ou de fidélité qui pouvaient jouer, au moins en théorie, du temps des mousquetaires, ne pèsent rien de nos jours. Batz ne se lie jamais vraiment avec ses trois collègues. Et quand l’opportunité se présente, il fait le choix logique: il s’allie avec Faye Turner-Milady. Trahison, chantage et même meurtre d’une intime, Ketty, leur assureront une prospérité durable – en principe.


Cette version moderne des Trois mousquetaires est fort bien menée de bout en bout. La transposition regorge de trouvailles amusantes et de clins d’œil, et l’histoire se tient, même si elle repose sur une vision très romanesque de l’entreprise et de la finance. Sa partie le plus intéressante est bien entendu la fin, quand le fil de l’histoire diverge de son modèle. Le d’Artagnan du monde contemporain apparaît encore plus amoral que son ancêtre et Milady est très convaincante en aventurière de haut vol œuvrant dans les eaux troubles de l’espionnage industriel et de l’argent sale. On en arriverait presque à regretter que l’auteur n’ait pas pris davantage de libertés avec l’œuvre du maître…

Voir l'interview que nous a accordée Gérard Delteil.


Extrait du chapitre 13 Croisière sur l’Anastasia

Les présentations furent brèves. Vorchilov entra immédiatement dans le vif du sujet.

— J'ai une très mauvaise nouvelle à vous annoncer. On m'a volé l'objet que m'a confié Anne Leroy, ce qui me place dans une situation extrêmement gênante.

À en croire son expression et celle de son secrétaire, les deux hommes semblaient vraiment anéantis. Néanmoins, Batz se demanda s'ils n'essayaient pas de le manipuler.

— D'après ce que j'ai compris, Mme Leroy va elle-même se trouver dans une position délicate lors du prochain comité exécutif de Geodhia.

— Certes, certes... Combien de temps avons-nous d’ici cette réunion ?

— Trois jours.

— Une idée m'est venue, dit Vorchilov. Ou plus exactement, c'est une idée de Piotr...

Le secrétaire inclina la tête.

— Ne serait-il pas possible, poursuivit le novorichi, de présenter un autre logiciel et un bijou semblable ?

— Je n'ai pas eu l'occasion d'utiliser ce logiciel, mais, d'après ce qu'on m'a expliqué, il est unique. Son élaboration a demandé plusieurs années. N'importe quel informaticien de bon niveau serait capable de voir la différence...

— À condition d'avoir déjà examiné le vrai, non ?

— Peut-être...

— Et rien ne dit qu'il sera étudié par un informaticien. Les membres du comex tiennent à garder le secret absolu.

— C'est aussi ce que j'ai entendu dire.

— Vous-même, monsieur Batz, vous avez un bon niveau en informatique, n'est-ce pas?

— Vous êtes bien informé, monsieur Vorchilov.

Le Russe afficha un petit sourire.

— Un homme comme moi doit toujours prendre quelques précautions avant de rencontrer un inconnu. Je n'ai pas envie de subir le sort de ce malheureux Litvinenko. Je le connaissais un peu. Bref, je sais qui vous êtes, quel cursus vous avez suivi et pour qui vous travaillez. N'y voyez, je vous prie, aucune mauvaise intention à votre égard.

Batz s'appliqua à dissimuler son irritation.

— Je comprends très bien, monsieur Vorchilov. Mais la conception d'un logiciel de cette catégorie dépasse mes compétences. Vorchilov se tourna à nouveau vers son secrétaire.

— Nous ne pensions pas en créer un nouveau, dit Lanski, mais maquiller un logiciel existant, peu répandu de préférence. Nous avons réussi à enregistrer le portail d'accueil de Speculator sur un ordinateur portable. Peut-être seriez-vous en mesure d'adapter ce portail à un autre logiciel, vous me suivez?

— Absolument, mais Speculator est stocké sur un serveur, ou plus probablement sur une chaîne de serveurs.

— Nous n'aurons évidemment pas la possibilité d'accéder au logiciel en lui-même, mais l'utilisateur ne recherche pas lui-même manuellement l'adresse de stockage. Le driver contenu dans la clé qui nous a été volée effectue automatiquement la recherche. Tout ce que vous auriez à faire, ce serait de programmer un driver qui permettrait d’accéder à un autre logiciel de votre choix, et à faire en sorte que ce soit l'interface de Speculator qui s'affiche à l'écran. Ça vous semble réalisable?

Les regards des deux Russes convergèrent vers Batz.

— Oui, a priori, ça me paraît possible.

— Pour avoir accès à Speculator, il faut aussi disposer de trois codes que nous allons vous fournir, dit le secrétaire. À vous de faire en sorte que l'utilisateur ait l'illusion d'ouvrir le bon logiciel. Vous me suivez?

— Oui, j'ai parfaitement compris. Cela ne devrait pas poser de difficulté particulière.

Vorchilov se leva et donna une petite tape sur l’épaule de Batz.

— Alors il faut nous mettre au travail sans tarder! Votre prix sera le mien. De mon côté, je vais m'employer à faire fabriquer un bijou identique à celui qui contenait la clé. C'est une copie d'un pendentif qui a appartenu à Catherine de Médicis. Je connais un joaillier monégasque très adroit. Il saura certainement trouver les références.


 

 

 

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