« Mourir aura été la seule chose
que Dumas ait faite incognito »
Quelques hommages après la mort
d'Alexandre Dumas
Cent cinquante ans après la mort d’Alexandre
Dumas, intervenue le 5 décembre 1870, pastichesdumas
lui rend hommage en exhumant quelques journaux et
diverses gravures de l’époque, sans prétendre à une
quelconque exhaustivité.
Le chalet de Puys, habitation de M. Alexandre
Dumas fils, où mourut Alexandre Dumas père
Le Monde Illustré, 10 novembre 1883
Intervenu en pleine invasion du nord de la
France par les troupes prussiennes, le décès de
Dumas passe en fait largement inaperçu sur le
moment. L’écrivain était alors en séjour dans la
villa de son fils Alexandre Dumas fils située à Puys
près de Dieppe. Il est alors enterré sur place, dans
une sépulture provisoire.
Chambre de Puys où il est mort
Le Monde Illustré, 10 novembre 1883
Ce n’est que deux ans plus tard que
Dumas père reçoit les honneurs posthumes qui lui étaient
dus. Le 16 avril 1872, sa dépouille est transférée dans
sa ville natale, Villers-Cotterêts, dans
l’Aisne. L’annonce de l’événement suscite beaucoup
d’intérêt.
Le Monde Illustré écrit le 6 avril :
C'est décidément au mardi 16 avril
qu'est fixée la translation des cendres d'Alexandre
Dumas à Villers-Cotterêts, sa ville natale. La cérémonie
sera, à coup sûr, des plus touchantes, et toute la
littérature tiendra à rendre, dans ces circonstances, un
hommage personnel au grand écrivain qui a disparu au
milieu de nos tourmentes sans que la France eût le temps
de lui dire adieu comme il convenait. Pauvre Dumas! lui
qui, de son vivant, aimait tant à remplir le monde du
bruit de sa personnalité sympathique! Mourir aura été la
seule chose qu'il ait faite incognito. Mais on va le
ramener, et il faut que le pays salue au passage ce
cercueil aimé. C'est surtout lorsqu'on a perdu les gens
qu'on s'aperçoit du vide que laisse leur départ. Où est
la monnaie d'Alexandre? la succession est toujours en
déshérence et nul ne se présente pour la recueillir. Il
en est pourtant qui faisaient fi d'Alexandre Dumas de
son vivant, qui le qualifiaient de faiseur. Je vous en
souhaite beaucoup de ces faiseurs-là. La place est
libre, qui la veut? Personne ne dit mot, impossible
d'adjuger.
La gare de Villers-Cotterêts - Les habitants recevant
les restes d'Alexandre Dumas
Le Monde Illustré, 10 novembre 1883
Le transfert et l’inhumation de
Dumas dans sa ville natale donnent lieu à des
comptes-rendus développés, accompagnés de nombreuses
illustrations.
Le Monde Illustré du 20 avril
consacre sa couverture et plusieurs pages à
l’événement:
Mardi matin, la gare du Nord était
envahie dès huit heures par une foule de notabilités de
tous les mondes, mais particulièrement du monde
littéraire. C'était un fourmillement qui conservait
pourtant une attitude relativement grave, quelque chose
qui pouvait donner l'idée de ce que seraient les trains
sur les chemins de fer de Méry-sur-Oise, si l'on en
revenait à adopter le projet de cimetière lointain qui
semble abandonné pour le moment.
Il s'agissait en effet d'enterrement, et
l'on allait rendre les derniers devoirs à celui qui fut
Alexandre Dumas.
Un philosophe anglais a dit :
- Dans ce monde, on ne sait jamais le
prix que de ce qu'on perd.
Depuis qu'Alexandre Dumas est mort, on
sent tout ce que pesait cette renommée. Elle pesait même
trop lourd sur certaines gens, ce qui fait que de son
vivant il fut autant dénigré qu'admiré.
Aujourd'hui, l'admiration reste seule.
La Société des gens de lettres avait tenu à honneur de
présider la cérémonie. J'avoue que, pour ma part, ce retour
des cendres me touchait infiniment plus que la
pompeuse rentrée des dépouilles d'un Napoléon Ier,
revenant au bruit de ce canon par lequel il avait fait
tant de mal.
Alexandre Dumas, lui, n'a jamais fait
que du bien. Ceux qui l'approchaient ont tous pu
apprécier cette générosité folle dont certains
Prud’hommes ont voulu lui faire un reproche. C'est un de
ces Prud'hommes-là qui, un jour, disait devant Jules
Sandeau :
- Ce Dumas! un homme qui jette l'argent
par les fenêtres!
- Des autres! se borna à ajouter
Sandeau.
Le mot était aussi juste que charmant.
(...)
Aussi ne doit-on pas s'étonner des vives
sympathies qui ont entouré la solennité funèbre de
mardi. La petite ville de Villers-Cotterêts, toute
fière, et à bon droit, d'un pareil compatriote, était
tout entière sur pied.
L'église de Villers-Cotterêts. Arrivée du corps
Le Monde Illustré, 10 novembre 1883
C'est dans le cimetière du lieu qu'était
déjà enterré le père d'Alexandre Dumas, le général de la
Pailleterie. C'est là qu'il doit reposer à son tour.
Comme de raison, de nombreux discours
ont été prononcés. On ne pouvait faire moins, lorsqu'on
entend chaque jour des éloquences de circonstance se
mettre en frais de fleurs de rhétorique pour n'importe
quelle médiocrité défunte.
L'oraison funèbre est un piédestal pour
qui la mérite, un pavé de l'ours pour qui ne la mérite
pas. On a parlé en fort bons termes de cette vie si
accidentée et si pleine. Une réelle émotion, qui n'avait
rien de commandé, avait gagné tous les assistants.
Et maintenant, celui qui remplit plus
d'un demi-siècle du bruit de sa renommée va sommeiller
sous ce coin de gazon. De temps à autre, quelque
touriste se fera conduire par le portier du cimetière
vers la tombe solitaire et silencieuse. Ce sera tout.
Memento quia pulvis es. (…)
On voit qu'en conduisant les restes
d'Alexandre Dumas au cimetière de Villers-Cotterêts, on
a répondu au plus cher désir de sa vie. Pour en revenir
à la cérémonie elle-même, voici les renseignements qui
nous sont transmis par notre correspondant, M. V. de G.,
et qui concordent de tous points avec ceux de notre Courrier
de Paris :
« Bien que la journée n'eût rien
d’officiel, toute la population de la ville et des
environs était là, recueillie et se pressant aux abords
de l'enceinte trop étroite pour la contenir. Le Paris
intellectuel n'était pas moins largement représenté à
cette touchante solennité. Ils venaient, les uns
remercier le conteur qui charma leur loisir, les autres
dire un dernier adieu à leur ami, à leur confrère, à
leur maître.
« Cinq discours ont été prononcés sur la
tombe par MM. Alexandre Dumas fils, Emmanuel Gonzalès,
Perrin, Maquet et Ch. Blanc. M. Dumas fils a donné les
raisons du retard apporté dans l'exécution des dernières
volontés de son père, dans un discours remarquable de
sentiment et de pensée.
« M. Potier a parlé au nom des
habitants de Villers-Cotterêts, dont le maire s'était,
dit-on, abstenu volontairement de paraître. »
***
Le cimetière de Villers-Cotterêts pendant l'inhumation
des restes d'Alexandre Dumas, le 16 avril (D'après
nature, par M. Desroches Valnay) - Le Monde
Illustré, 20 avril 1872
L'Univers Illustré du 27 avril
consacre un très long article et une pleine page
d'illustrations à l'événement:
Vous rappelez-vous, à l'époque du siège,
cette nouvelle qui circula dans Paris investi : Dumas
est mort ! Personne de nous ne voulait y croire : il
semblait à tous que celui que Michelet avait si
heureusement appelé « une des forces de la
nature » dût être taillé pour l'éternité. Et puis,
l'isolement même où nous nous trouvions autorisait tous
les doutes et toutes les espérances. Comment, à travers
les lignes prussiennes qui interceptaient jusqu'aux
nouvelles des mouvements de nos armées, celle-ci
aurait-elle pu nous parvenir? Hélas! ce que nous
prenions pour un bruit vague et sans fondement n'était
que l'expression de la triste réalité. Le grand écrivain
s’était éteint doucement, le 5 décembre 1870, à Puys,
près de Dieppe, entre les bras de sa famille. (…)
Quinze mois se sont écoulés depuis lors,
et sa dépouille mortelle vient d'être enfin rendue à la
terre où il voulait qu'elle reposât. Dans quelques
paroles émues prononcées sur sa tombe, son fils a
expliqué pourquoi la cérémonie funèbre à laquelle nous
assistions l'autre jour avait été ajournée jusqu'ici.
Par respect pour la mémoire de celui qui fut aussi bon
patriote que grand écrivain, il n'avait pas voulu que sa
tombe pût être profanée par une botte prussienne.— La
paix faite, les ennemis occupaient encore la petite
ville de Villers-Cotterêts, attendant leur argent :
« Ramener mon père à ce moment, a-t-il
dit, c'eût été leur donner l'occasion de venir, sous
prétexte de s'associer à notre hommage, fouler aux pieds
une autre tombe glorieuse, celle du général qui les
avait autrefois combattus.
« Ils partirent à la fin d'octobre. Le
ciel était froid, vos bois dénudés étaient tristes et
sans soleil. Et je voulais que mon père ne rentrât parmi
vous qu'avec la lumière. Je voulais que cette cérémonie
fût moins un deuil qu'une fête, moins un ensevelissement
qu’une résurrection.
« Vous voyez que j'ai bien fait d’attendre, puisque
le printemps lui-même s'est fait mon complice. »
Le soleil, en effet, illuminait ces
belles funérailles. La nature renaissait dans son
printemps, faisant éclore sur les tombes les gazons
frais et les fleurs nouvelles. (…)
C'est ce cadre, le cadre de la jeunesse
et du printemps, que nous avons retrouvé l'autre jour :
c'est ce décor souriant, qui donnait à la cérémonie
funèbre je ne sais quoi de doucement attendri, et qui
faisait dire à ceux qui y assistaient : ce n'est pas un
ensevelissement, mais une apothéose.
Comme il était aimé dans sa ville
natale, quels touchants souvenirs il y avait laissés, on
l'a bien vu le soir où le cercueil est arrivé à la gare
du chemin de fer. Mille bras se sont offerts pour le
transporter à l'église, et c'est ainsi qu'il a passé
dans les rues, à la lueur des torches, soutenu par des
amis qui se relayaient et qui tenaient à honneur d'avoir
chacun sa part du fardeau.
Le cortège s'est arrêté un instant
devant la maison qui a vu naître Alexandre Dumas. Une
plaque commémorative en marbre y a été placée. (…)
Funérailles d'Alexandre Dumas à Villers-Cotterêts
Maison natale d'Alexandre Dumas - Arrivée du corps -
Cérémonie au cimetière - Sortie de l'église
L'Univers illustré, 27 avril 1872
Sympathique, nul ne l'a été plus parmi
ses contemporains; il fut bon autant que grand ; son
cœur était tout à tous, sa fortune celle de tout le
monde. A chaque visite qu'il faisait dans son pays, il a
répandu l'or comme il le répandait partout. Aussi est-on
en droit de s'étonner de la mauvaise grâce que la
municipalité de Villers-Cotterêts a laissé voir dans
cette circonstance : pas un de ses membres n'assistait à
la cérémonie, au moins officiellement; quant au maire,
il avait pris soin de s'absenter dès la veille. Ainsi
l'on peut dire que cette ville qu'il a faite illustre
était absente de ses funérailles. Question
d'amour-propre, assure-t-on; mais, en pareil cas,
l'amour-propre qui ne sait pas désarmer s'appelle de
l'ingratitude !
Qu'importe, au surplus ! Ce n'était plus
une ville, c'était la France entière, représentée par
l'élite de sa littérature, qui faisait cortège à
l'illustre mort. Ils étaient là tous, ses amis, ses
confrères, ayant en tête ceux qui furent ses
collaborateurs, Maquet, de Leuven, Noël Parfait,
Meurice; et aussi ces amis inconnus, ceux qu'il a
charmés, qu'il charme encore tous les jours par ses
fictions émouvantes ou ses récits enchantés. Aussi
l’église s'est-elle trouvée trop petite pour contenir
tous ceux qui étaient accourus de Paris et des environs
pour assister à la solennité. Les trois quarts sont
restés dehors et ont pu seulement communier par la
prière avec ceux qui entouraient le cercueil.
De l'église on s'est dirigé vers le
cimetière en traversant la ville. Point de pompe
officielle; seulement un corps de musique et un
détachement de gendarmerie départementale. Lorsque le
corps s'est avancé, porté par les gens du pays, toutes
les têtes se sont découvertes. Les coins du poêle
étaient tenus par M. Ferdinand Dugué, délégué de la
société des auteurs dramatiques, par M. Emmanuel
Gonzalès, représentant celle des gens de lettres, par M.
Perrin, administrateur de la Comédie-Française, par M.
Charles Blanc, chef de la division des Beaux-Arts, et
par M. le baron Taylor.
La sépulture de la famille Dumas est un
grand carré où se dressent quatre sapins séculaires.
Trois pierres plates en occupent le centre : sur la
première on lit les noms du général de division
Thomas-Alexandre Dumas-David de la Pailleterie; sur la
seconde ceux de sa femme, Marie-Louise-Élisabeth ; la
troisième ne porte que cette simple inscription :
ALEXANDRE DUMAS
né à Villers-Cotterêts
le 24 juillet 1802
décédé
le 5 décembre 1870
Le tombeau à Villers-Cotterêts
Le Monde Illustré, 10 novembre 1883
Le clergé dit les dernières prières et
bénit le cercueil; puis les discours se succèdent. Tous,
excepté un dont je m'abstiens de nommer l'auteur, ont
été dignes de l'imposante cérémonie et de l'écrivain de
génie qui en était le héros. (…)
C'est après ces discours qu'Alexandre
Dumas fils a prononcé au milieu de l'émotion générale
les quelques paroles que j'ai analysées plus haut.
La tombe s'est refermée sur les restes
mortels d'Alexandre Dumas. Mais son génie vit encore
parmi nous, illuminant de son rayonnement cette
génération qui lui a dû, comme l’a dit M. Perrin , les
heures bénies de l'oubli, de l'idéal, du plaisir pur et
sans trouble. Notre devoir maintenant est de donner à sa
mémoire cette consécration du bronze destinée aux grands
hommes, et de léguer à la postérité ses traits puissants
où elle retrouvera comme le commentaire de ses œuvres et
l'empreinte de son génie.
***
Inauguration de la statue d'Alexandre Dumas sur la place
Malesherbes le dimanche 4 novembre
Le Monde Illustré, 10 novembre 1883
L’apogée des hommages rendus à
Dumas après sa mort (avant son entrée au Panthéon en
2002, bien sûr) intervient enfin le 4 novembre 1883
avec l’inauguration de sa statue place Malesherbes à
Paris.
Le Monde Illustré sort le 10
novembre un numéro spécial consacré intégralement à
Alexandre Dumas.
Ce numéro comprend de
nombreuses pages de gravures dont plusieurs sont
reproduites ici et de très longs textes dont nous ne
reproduisons qu'un bref extrait:
Un seul nom a rempli toute la semaine,
comme il remplit ce numéro.
Nom assez grand, d'ailleurs, pour
occuper cette vaste place dans l'attention publique. Nom
qui a eu ce rare privilège d'être porté deux fois de
suite avec un éclat exceptionnel. Ce qui a permis
d'associer le père et le fils dans l'imposante
manifestation de dimanche dernier.
Dumas fils, quand on parla d'élever à
son père la statue qu'on inaugurait l'autre jour, eut un
mot charmant :
- C'est un projet, dit-il, dont je suis
fier pour lui et heureux pour moi. Quand je serai mort,
il pourra me prendre sur ses genoux.
Il y avait quelque chose de cela dans la
fête à laquelle a assisté le tout Paris littéraire,
représentant de toute la France.
Tandis qu'on apothéosait le père, le
fils, ému profondément, participait lui-même à la
glorification. Tandis que le fils serrait toutes les
mains qui se tendaient cordialement vers lui, il
semblait que le père allait, du haut de son piédestal,
lui crier :
- Eh bien! et moi?... Viens donc sur mes
genoux, que je t'embrasse!
Car ce qui a distingué cette
inauguration de toutes les autres, c'est précisément
l'effusion sans pose, l'intimité dans la foule.
Les choses se passaient pour ainsi dire
en famille, malgré la mise en scène de rigueur, malgré
le flot des discours, malgré les députations,
délégations et représentations.
C'est bien là le genre d'honneurs que
Dumas eût choisi lui-même, lui qui mettait la fantaisie
même dans l'apparat; lui qui, tout en aimant la pompe,
aimait plus encore le bon-enfantisme. (…)
Une des poésies qui ont célébré Dumas, à
l'occasion de la fête au long retentissement, disait :
Voyez... L'homme et son œuvre,
énormes, magnifiques,
Ressemblent au banian, cet arbre des tropiques
A la mine superbe à l'immense contour
Et dont chaque rameau devient libre à son tour.
Sous le soleil d'été, chaud comme une fournaise,
Sans cesse dans ses flancs fermente une genèse,
Et mille rejetons, l'un à l'autre liés,
Germent autour de lui, sans fin multipliés.
Belle image que l'auteur, M. Dorchain,
applaudi à l'Odéon, résumait en ce vers :
C'est toujours un seul arbre et
c'est une forêt!
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