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Templemar

par Christiane Blanc

 

Chapitre 13

Séquestrée

 

Le bourreau avait à peine refermé la porte, que Charlotte s’était relevée, tremblante, les mains maculées de poussière. La monstruosité de la scène la trempa d’une sudation glaciale. Elle écrasa ses larmes.

- C’est impossible ! s’écria-t-elle. Je suis la proie d’un cauchemar ! Cet homme ! .. Cet homme est fou !

Et bien qu’elle sache parfaitement qu’elle ne rêvait pas, elle se pinça violemment le gras du bras. Cela eut pour effet de stimuler son énergie.

- Je ne me laisserai pas déshonorer ! s’écria-t-elle. J’ai la nuit pour fuir… ! Vite le temps presse…. Je dois trouver une issue…

Elle avait déjà exploré la pièce. Qu’importe ! Charlotte se jeta dans l’action. Certes, son comportement avait prouvé plus d’une fois qu’elle n’aimait pas perdre son temps. La moindre idée ne pouvait souffrir d’attendre. Mais ce soir là, ce trait de caractère fut un subterfuge à sa peur. Elle mis donc une application plus qu’ordinaire à suivre les joints de pierre du bout des doigts.

- Un simple filet d’air ! C’est cela qui signale un passage secret ! … Non il n’y a aucun bruit de l’extérieur ! continua-t-elle en décollant son oreille de la porte. Je peux la secouer, frapper…

Ce fut peine perdue. L’épais vantail n’émit qu’un bruit sourd. Aucune aspérité, aucune vis ne présentait d’espoir. - La clé de la chapelle ! Ah que ne l’avait-elle gardé ! Elle aurait peut-être pu forcer cette maudite serrure !

Une heure passa, inexorable. Si Charlotte avait apprécié le soulagement notoire procuré par l’investigation des murs et de la porte, elle commença à ressentir un affolement contre lequel elle essaya pourtant de lutter….

- Il me faut un plan de bataille ! … C’est cela…. C’est cela ! s’exclama-t-elle soudain exaltée. J’ai trouvé ! Si je ne peux ouvrir la porte, autant attendre qu’il l’ouvre lui-même. Et je l’assomme ! Oui ! La chaise devrait faire l’affaire ! Une fois le monstre à terre, je me précipite dehors…. ! ! !

Et sans plus douter, le cœur emballé par sa résolution, elle se précipita sur la chaise, la hissa sur la table et poussa le tout dans une fougue forcenée qu’elle ne se connaissait pas. Elle se retrouva ainsi devant cette maudite porte, vibrante de joie, à se demander de quel côté elle allait lancer son attaque.

Le battant d’un bois épais, bosselé de clous, s’ouvrait de l’extérieur. Se cacher du côté de la poignée lui fut une évidence ! Moins d’une minute après, la table et la chaise avaient changé de place. Elle releva ses jupes sans s’embarrasser de pudeur, escalada la table et se campa sur le plateau. Restait à soulever la chaise pour frapper vite et fort.

- Nous y voilà Monsieur le justicier… Prenez ceci… !

C’est sans nul doute le premier essai, infructueux qui entama son entrain. La chaise, à bout de bras, s’avéra lourde, déséquilibrée par un ballant frontal qui entraîna Charlotte en avant, d’autant plus que son épaule endolorie par la torture, lui faisait encore mal. Elle se rétablit de justesse, le buste arc-bouté sur le chambranle. - Une fois ! Il faut encore essayer, ajuster le coup…. Dieu que cette chaise est lourde…. Je n’aurais pas la force….

Elle ne se souvint pas quand avait commencé son tapage ni combien de temps il avait duré. Lorsqu’elle s’arrêta, suffoquée, la voix rauque, elle comprit qu’elle avait hurlé à en perdre le souffle. Personne ! Non personne n’était venu ! Toute fuite s’avérait impossible.

La vigueur avec laquelle elle avait tambouriné sur la porte lui avait écorché les mains. Elles les passa machinalement sur ses joues, écrasant dans la poussière et le sang, des larmes chaudes qui coulaient. Ses cheveux étaient défaits, collés en mèches par la transpiration. La soif lui tenaillait la gorge. Dans son déménagement, elle avait épargné une cruche remplie d’eau et son gobelet. Charlotte se dirigea en tremblant vers l’endroit où ils étaient posés, se versa à boire… - Quel apaisement pour la gorge… cette eau fraîche, si… -

Elle s’affala sur ses genoux. Pour être plus précis, ses genoux tremblèrent tellement qu’ils manquèrent brusquement sous son corps. Elle tomba… sans prendre le temps de noter la douleur de la chute. En avalant la première gorgée, son esprit avait pointé avec terreur le peu de liquide qui restait au fond de la cruche. –la flétrissure ! C’est…. C’est une brûlure…. ! Mon dieu l’eau ! L’eau ! Elle devait garder l’eau ! Pour apaiser sa souffrance…, soigner peut-être ?…

Un violent spasme lui avait tant crispé le ventre qu’elle faillit ouvrir la bouche en crachant le précieux liquide. L’eau ! Il fallait impérativement, au mépris de toute convenance, récupérer la moindre goutte ! La gorge contractée, Charlotte régurgita sans plus de façon dans le gobelet. Ensuite, claquant des dents sous la peur, elle transvasa à nouveau le contenu du gobelet dans la cruche. - Pourtant prendre des forces ! se dit-elle en passant une main grise de poussière sur son front. Ah oui… ce vilain morceaux de pain… ! Diable qu’il était dur ! Au point de casser une de ses dents….

C’est en mâchant le dernier morceau qu’elle se vit à genoux, flageolante, couverte de sueur froide, l’esprit et le ventre saisis d’horreur. – Qu’avait-il dit ensuite ? Les galères ! -

Une chaîne ! Oui elle en avait vu… Un jour…. Quand elle était enfant… - le jour de son entrée au couvent - Sa mère venait de mourir. Son père l’y emmenait «pour parfaire votre éducation», avait-il dit. Charlotte se revit penchée à la portière de la voiture. Et là sur le chemin, elle avait vu des femmes enchaînées les unes aux autres, qui marchaient, épuisées, sales, dans un nuage de poussière et de gémissements.

- Père ! avait demandé l’enfant, qui sont ces dames ?

Il l’avait forcé à se rasseoir, en rabattant les rideaux de la voiture.

- Ce spectacle n’est pas pour vous Charlotte. Priez pour ces femmes !

Et maintenant, elle était menacée du même sort ! Charlotte crut que son cœur s’arrêtait. Puis sa mémoire lui distilla les dernières paroles de la scène. Les moindres menaces de l’homme se détachèrent enfin dans son esprit, les plus petits détails comme les plus terribles.

- Qu’a-t-il dit ? suffoqua-t-elle, en avalant sa salive. Si le prêtre Georges ne s’évade pas…. cet homme me livre dans une chaîne… ! Mais s’il s’évade, je serai libre ! - « Priez ! Priez pour qu’il s’évade…. ! » avait-il conclut. C’était bien ses derniers mots ?

Elle se signa. Son esprit écrasé d’effroi ne lui dicta bientôt qu’une prière intense. D’une intensité inconcevable quelques jours auparavant. Si mère Béatrice ou tout autre avait pénétré à ce moment même dans la cave, Charlotte aurait signé n’importe quels vœux.

- Notre père qui êtes aux cieux… murmura-t-elle, que ton nom soit sanctifié…

Son petit filet de voix flotta dans le silence. Puis ce furent de brefs sanglots convulsifs. La jeune fille rampa ensuite dans un coin de la pièce. Il ne lui restait plus qu’à attendre.

Le ventre broyé par les tenailles d’une terreur innommable, Charlotte crut en mourir de peur. Elle se força pourtant à respirer. Un lambeau d’espoir lui fit transporter la chaise vers ce coin reculé de la porte où elle se blottit. Un de ces lambeaux d’espoir accroché aux fenêtres du rêve et si propre à la jeunesse. Dans un dernier sursaut, elle avait décidé de se battre : avec un peu d’habileté, elle pourrait peut-être assommer cet homme… ?

Elle trouva ainsi la volonté d’appeler au secours, de son petit filet de voix sans force, entrecoupé de hoquets.

Lire la suite: Chapitre 14 - Fleur de sang

 


 

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