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Templemar

par Christiane Blanc

 

Chapitre 7

Le serment du prêtre Georges

 

 

«Oh ce froid…! Ce froid dur et sans vie!!!… Comme il  monte en moi… Je sens mon buste se figer sur ces pierres, ma poitrine se glacer… Mon seul horizon deviendrait-il ce trou béant à l’odeur de moisi?…»

Personne n’avait vu Charlotte arriver en trombe dans le jardin du cloître. Le puits sembla stopper sa course. Elle avait lâché sa jupe pour s’accrocher à la margelle de pierres. Encore abasourdie par les conseils du prêtre, les jambes refusant d’avancer, elle était restée pétrifiée quelques minutes, fixant sans vraiment la voir la poulie qui retenait le sceau.

Ses pensées ne commandaient pas ses mains quand elles saisirent la margelle par le cercle intérieur. Vertige? Fascination? Pourquoi allongea-t-elle son corps entier sur le rebord, un bras et un pied dans le vide?

La tête penchée au-dessus, Charlotte resta un moment à observer le fonds. Son regard se perdit. Elle  ne voyait pas l’eau, elle la sentait, à la fraîcheur, aux mousses noirâtres qui grimpaient aux parois, à ce bruit léger de goutte à goutte...

Aucune pensée logique n’affleurait sa conscience. Ecrasée par la décision de son frère et le sermon du prêtre, elle restait là, sans  forces, prise par l’angoisse d’un animal traqué, se répétant inlassablement cette phrase absurde qui ne la quittait plus:

- Fuir, je dois fuir, fuir…!! Peu importe comment!!!

Son regard errait dans ce noir puant d’humidité. Il s’accrocha d’un coup sur une lueur verdâtre  qui lui révéla quelques barreaux de fer scellés le long de la paroi.

- Un souterrain?! s’exclama-t-elle, mi-incrédule mi-heureuse. Se pourrait-il qu’une galerie, partant de là, conduise vers l’extérieur?  

Ragaillardie, elle scruta les parois.

Descendre! Projet magique et périlleux! Encore fallait-il réussir! Malgré tout son courage, elle regarda l’eau et en frissonna de dégoût.

- Fétide!! Que cette eau noirâtre est fétide! Dieu quelle horreur! Comment vais-je aborder une telle descente? 

Charlotte n’eut pas le temps de poursuivre son raisonnement. Elle se sentit brusquement prise par la taille et tirée en arrière.

- Mademoiselle! criait le prêtre Georges blême de peur, en la secouant par les épaules, que faites-vous?! Ne comprenez-vous pas le danger?!

Rétablie sur le sol ferme par le mouvement qu’il lui avait imposé, elle resta de marbre, le regard fixe, cherchant ses esprits. Le souffle humide de la brise traversa le jardin du cloître. Elle frissonna. L’hiver s’annonçait.

- Mademoiselle, vous n’allez pas… commettre l’irréparable! Attenter à vos jours!!!.. Répondez-moi, vous m’entendez!… Répondez-moi!! criait le prêtre, plus de peur que de colère.

- Lâchez-moi, lâchez-moi, hurla-t-elle soudain en s’échappant de l’autre côté du puits. Que vous importe ma vie!

- Mademoiselle! poursuivit-il encore livide… Venez ici! Il est inutile de courir autour du puits, je vous empêcherai de vous nuire! Vous entendez mademoiselle! Je vous retiendrai…

- Me retenir? Ma vie vous indiffère!

Elle l’avait lancé sur un ton de reproche, les yeux agrandis par la colère, sans comprendre l’émotion qu’elle suscita.

- Ne venez-vous pas de me condamner vous aussi! rajouta-t-elle en se maintenant toujours hors d’atteinte.

- Ne dites pas cela… Oh, ne dites pas cela… ne soyez pas injuste, mademoiselle! N’ai-je pas tout fait pour vous défendre? Ecoutez-moi … dit-il soudain radouci, je ne pensais pas vous voir dans une telle extrémité! Votre frère non plus, j’en suis certain!… Ne courez pas, mademoiselle!…

Il marchait maintenant à grandes enjambées pour tenter de la rejoindre, mais il avait ralenti l’allure afin de la mettre en confiance.

- Je vous jure… poursuivit-il encore plus pâle.

- Que jurez-vous? De m’aider à fuir?

Après la confession, il s’était débarrassé de son surplis et de l’étole. Cela faisait presque oublier son état de prêtre. Il redevenait homme. L’habit certes subsistait, mais moins cérémonieux, plus familier.

Les jeunes gens se faisaient maintenant face, de chaque côté de la margelle, le prêtre blanc de peur saisi par l’expression déterminée de la jeune fille. Dieu qu’elle était belle! Même en colère! Et quelle dignité aussi… 

- Je vous jure… de retourner voir votre frère!… articula-t-il en soutenant son regard.

- Il ne me reste que six semaines!!!

- Je vous le promets… Je retourne plaider votre cause. Je pars aujourd’hui… Accordez-moi la grâce de votre confiance!!

- Ne voyez-vous pas que mon frère va s’obstiner dans son dessein?! 

- Dans ce cas, articula-t-il, je vous fais le serment de vous prendre sous ma protection…

Son regard brun n’avait pas quitté la jeune fille. Il l’observait, encore pâle d’émotion. Son cœur tapait, lourd comme un gong.

- Je discerne encore en vous de la méfiance… croyez-moi! ajouta-t-il de sa voix douce en se rapprochant à pas mesurés. Je vous le promets! Je vous mettrai à l’abri, hors de ce couvent! j’ai quelque ami qui nous hébergerait, dans un premier temps…

Il se racla la gorge avant de poursuivre:

- Nous… pourrions vivre sous le même toit… Et je deviendrais pour vous comme un frère…

- Comme un frère?
- Oui, je vous protégerais… comme un frère protège sa sœur… par amour… filial! ajouta-t-il en se raclant la gorge.

- Jusqu’à ce que je me marie! s’exclama-t-elle. Oh! Mon père, je vous en serais éternellement reconnaissante!…

Il détourna la tête un instant pour dissimuler un  sourire heureux. Dans la spontanéité de sa joie, elle fit quelques pas qui la rapprochèrent du prêtre. Il détourna la tête puis l’observa à nouveau, fasciné par sa fraîcheur.

La petite course autour du puits avait fait rosir ses joues. Charlotte respirait un peu rapidement tout en le fixant, plus déterminée que jamais. Il vit dans la profondeur de ses yeux bleus une  lumière candide et pure, percée d’un point de colère mauve. Elle se tenait là, presque haletante, les lèvres entrouvertes, frissonnant dans cette petite bise d’automne.

Il était plus grand qu’elle… d’une bonne tête au moins. Suffisamment pour donner envie de la protéger. Trois pas! Il lui suffisait de trois pas pour la prendre par les épaules et la serrer contre lui. Le prêtre Georges chassa cette pensée. Elle  l’entendit murmurer:

- Tenez-vous prête Charlotte, je vous préviendrai!

- Mon père, quand vais-je partir? Bientôt?

- Attendez d’abord le dernier recours à votre frère et rentrez! Je ne veux plus vous savoir ici!

- Mon père, jurez-moi d’abord que vous m’aiderez à fuir!

- Je vous le jure… sur ma foi!! promit-il en tressaillant.

Il se sentait défaillir. Pourtant, pâle comme un mort, le cœur battant et le front en sueur, il étendit solennellement la main devant lui.

- Je vous jure, Mademoiselle, de vous aider si votre frère persiste dans sa décision. De toute mon âme, je jure de vous protéger hors de ce couvent…

- … Je vous crois mon père, fit-elle après l’avoir observé attentivement. Votre serment, la gravité de votre visage incitent à vous porter crédit!

Ils rebroussèrent chemin par le déambulatoire, passèrent les colonnettes et s’introduisirent dans le bâtiment. La jeune fille suivit le prêtre de son petit pas rapide. Pour ne pas la regarder, il lui avait lâché le bras, marchant devant elle en fixant ses sandales.

Sitôt rendue dans sa chambre, Charlotte se mit à tournoyer sur elle-même.

- Oh quel pain béni que cette affaire! s’exclama-t-elle dans un grand rire joyeux. Je n’ai pas envie de mourir! Je veux vivre! Vivre! Il m’a suffi de me taire pour que le prêtre Georges me prenne au sérieux… non que je lui ai menti… Sciemment…!!! En tout cas, mon frère va peut-être céder, sinon je serai libre!!!!…

Elle avait crié ces derniers mots en se jetant sur son lit. De joie, elle se roula sur la courtepointe, envoyant les carreaux au-dessus de sa tête avec un rire heureux.  Une rougeur de honte lui monta bien au visage. Mais sa détermination à sortir balaya tout scrupule. Elle en oublia même le trouble fugitif causé par des mains d’homme autour de sa taille.

- Je ne fais rien de mal!… Non! Mais non ce n’est pas un mensonge!…

Elle haussa les épaules, un instant pensive, puis elle se rajouta à mi-voix:

- Non, ce n’est pas un mensonge… Certes, j’ai retenu mes lèvres! Voilà tout!  Quant à ce qu’il a cru…?  Je n’ai pas démenti…! Toute l’affaire est là, sans plus… je  donnerai l’exacte vérité quand je serai libre… Quand je serai loin de ce couvent… 

Puis elle redevint grave, avant d’ajouter à voix basse:

- Pourvu que le prêtre Georges ne se ravise pas! Pourvu qu’il tienne parole…!

Non qu’elle doute vraiment de lui! Mais il pouvait reprendre une parole arrachée dans la panique, la raisonner encore, comme dans ce terrible sermon qu’elle venait d’entendre.

Elle resta un moment prostrée sur sa chaise, méditant sur l’issue de cette promesse. Puis elle se redressa, et d’un geste de dérision elle rajouta:

- Qu’ai-je donc à faire de douter? Je n’ai plus d’autre espoir…

De son côté, il s’en était retourné les jambes molles et le front brûlant. Il rejoignit la chapelle en tentant de reprendre sa respiration. Rien n’y fit. Il haletait encore devant l’autel.

- Qu’ai-je dit!… Ô Dieu… comment ai-je pu?…

Puis il se rajouta en manière d’excuses:

- Comme elle paraît légère, fine et en même temps si forte!… Tellement fine! J’ai cru un instant qu’elle allait fondre sous mes doigts!!! Ah… ce corps si souple… si parfumé… Elle, morte!!! Je ne pourrais plus vivre!
 

Lire la suite: Chapitre 8 - Les vases sacrés

 


 

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