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D’Artagnan contre Cyrano
Quatre tomes: Le chevalier Mystère - Martyre de Reine - Le secret de la Bastille - L’héritage de Buckingham

Paul Féval fils
M. Lassez

1025 pages
1925 - France
Roman

Intérêt: **

 

Note: le dos de couverture de l'édition "La technique du livre", 1946, porte la mention "Paul Féval fils et M. Lassez ont heureusement comblé la lacune littéraire laissée par Alexandre Dumas entre ses inoubliables romans Les trois mousquetaires et Vingt ans après"

Voir les couvertures de quatre éditions différentes de D'Artagnan contre Cyrano

Ces aventures de cape et d'épée s'inspirent assez directement des Trois mousquetaires. Le héros, "chevalier Mystère", d'origine inconnue (en fait le fils caché d'Anne d'Autriche et de Buckingham, comme on le devine aussitôt) se lie d'amitié avec Cyrano de Bergerac et intrigue avec Anne d'Autriche et la duchesse de Chevreuse contre Richelieu, que sert d'Artagnan, et surtout contre Mazarin, beaucoup plus présent que Richelieu, qui cherche à faire du chevalier Mystère une arme pour tenir Anne d'Autriche à sa merci.

Complexe, l'intrigue s'étire sur un bon millier de pages. Le chevalier Mystère, qui ignore qui est sa mère, est victime des machinations de Mazarin. Il se retrouve embastillé. Cyrano se fait emprisonner pour l'en sortir. Le chevalier part alors en Angleterre où il finira par récupérer l'héritage que lui a laissé son père, Buckingham, non sans affronter d'abord des ennemis cachés qui veulent s'emparer de ces richesses.

Tout au long du récit, on assiste aux relations difficiles entre d'Artagnan et Cyrano. Des relations hostiles, à première vue, puisqu'ils ne sont pas dans le même camp. Cyrano est un ami indéfectible de Mystère et un ennemi de Richelieu; d'Artagnan, soldat, obéit aux ordres du tout-puissant ministre. Cyrano voit donc dans d’Artagnan un ennemi et le traite comme tel – contrairement à d’Artagnan qui ne le voit pas comme un adversaire.

Car cette perception de Cyrano repose sur un malentendu. D'Artagnan, en effet, est toujours dévoué en secret à Anne d'Autriche, et par conséquent au chevalier Mystère, et tente de concilier cette fidélité et son devoir de soldat. Avec un art achevé de la casuistique emprunté au jésuite Aramis, il entreprend par exemple dans certains cas d’obéir à la lettre aux ordres qu’il reçoit, tout en sachant pertinemment que, ce faisant, il facilite la tâche à Mystère et ses amis.

Du coup, si l’hostilité de Cyrano envers lui est bien réelle, la réciproque n’est pas vraie. La relation entre les deux héros est donc fortement déséquilibrée. Cyrano, plus jeune que d’Artagnan, se retrouve en position d’infériorité. Il admire le mousquetaire, le jalouse quelque peu et rage contre son apparent engagement aux côtés de Richelieu. D’Artagnan, avec son double jeu, voit plus loin que Cyrano et traite ce dernier avec une certaine condescendance amusée – ce qui l’enrage évidemment.

Un bon exemple est fourni par le premier duel auxquels se livrent les deux hommes (voir extrait ci-dessous). La scène se déroule en pleine nuit et Cyrano est intrigué par le « comportement » anormal de l’épée de son adversaire. Il finit par réaliser que d’Artagnan se bat en ayant laissé son épée dans son fourreau (parce qu’il avait reçu l’ordre de ne pas « tirer son épée de son fourreau » cette nuit-là. Une mystification qui ulcère Cyrano qui pense que d’Artagnan cherche à le ménager – intolérable humiliation ! Dans une autre scène, d’Artagnan sauve la mise à Cyrano en refusant de confirmer à Mazarin que c’est bien l’homme qu’il avait vu en compagnie des conspirateurs. Ce n’est pas lui parce que l’homme que j’ai vu avait « un nez tout petit, mi-nus-cu-le », lance-t-il, sauvant Cyrano tout en l’humiliant de nouveau profondément !

Le mousquetaire, de son côté, admire également beaucoup Cyrano pour son courage et ses prouesses à l’épée, et ne lui veut aucun mal puisqu’il sont fondamentalement tous les deux du côté de la reine. Les choses se gâtent quand, plus tard dans le roman, Cyrano refuse de se battre une nouvelle fois avec d’Artagnan car on ne se bat pas avec « un argousin, un espion ! » L’injure met d’Artagnan hors de lui et il rêve désormais d’avoir l’occasion de se battre à mort contre Cyrano. Heureusement, tout à la fin du roman, Cyrano comprend brusquement que d’Artagnan a toujours œuvré à protéger le chevalier Mystère : ils deviennent les meilleurs amis du monde. Aramis fait une apparition dans le courant de l'histoire, en tant qu'aumônier militaire.

Bien écrit, le récit est touffu, parfois obscur, et repose sur de monstrueuses coïncidences et invraisemblances. Il se poursuit avec les trois volumes de D'Artagnan et Cyrano réconcilés.

Sur le thème de la rencontre-confrontation entre d'Artagnan et Cyrano de Bergerac, le roman de H. Bedford-Jones The King's passport est beaucoup plus réussi. Curieusement, on y retrouve un "duel au fourreau" qui évoque la scène reproduite ci-dessous. Voir également une publicité concernant ce livre.

L'ouvrage, enfin, a été publié à l'étranger. Voir ci-dessous la couverture d'une édition en langue tchèque, aimablement communiquée par Peter Richter.

Extrait du chapitre 17 Le fourreau!

Dehors, le duel se prolongeait, entre les deux maîtres bretteurs, également acharnés à défendre le terrain. Aucune issue ne s'était produite encore. Cyrano avait épuisé toutes les ressources de son art de raffiné contre l'impassible sang-froid du mousquetaire.

A tous ses coups, de triomphantes parades répondaient. Ses feintes étaient successivement déjouées. Plus encore que la maîtrise stupéfiante de cet adversaire inconnu, ce qui surprenait le poète, c'était de ne point lui voir rendre coup pour coup.

Dans la ruelle, l'obscurité régnait toujours. La lame invisible de d'Artagnan semblait, en même temps, être impalpable. Elle se dérobait, échappait à toutes les prises. Prompte et légère, elle rejetait la magistrale épée hors de la ligne, bien plus, elle avait, cette lame diabolique, un étrange et troublant contact. Elle ne froissait pas, elle ne résonnait pas comme un fer ordinaire.

Cette scène d'enchantement, d'envoûtement, avait fini par étreindre le coeur du vaillant escrimeur.

"Quel jarret! quelle poigne! pensait-il. Mais, bagasse! quelle singulière rapière!"

Pour échapper à cette impression, hallucinante à la longue, Cyrano se découvrit un instant. Il s'attendait à quelque vive attaque qui allait lui permettre une riposte décisive. 0 surprise! son adversaire ne s'était point fendu, il attendait la reprise, l'épée en ligne.

- Dieu me damne! rugit le poète intérieurement. Le coquin me ménage, je crois.

Et l'heure avançait. Déjà les lueurs annonciatrices de l'aube pâlissaient le ciel.

Rageusement, Cyrano combattait maintenant, se livrant de toute sa fougue. Il fallait en finir, mille dious!

En cet instant, les quatre coups de l'heure retentirent. La porte du cloître s'étant entrouverte, M. Bernard et son jeune compagnon se glissèrent au dehors. Des cliquetis de fer, à leur droite, mais personne en vue. Le chemin était libre. Ils s'élancèrent à gauche et disparurent au tournant de la rue Saint-Jacques.

Toujours préoccupé par sa consigne, d'Artagnau crut percevoir un bruit et rompit d'un pas afin de mieux prêter l'oreille. Mais déjà, comprenant le danger, sans lui laisser le temps d'une réflexion, Cyrano l'assaillait avec une vigueur nouvelle.

Après une feinte rapide au visage, s'étant dégage vivement, il visa aux parties basses, et tira, se fendant à fond. Un coup sec écarta sa lame. Un coup qui rendit un son mat.

Alors, brusquement, Cyrano se rejeta en arrière, d'un bond effaré. Les nuages, balayés du ciel, laissaient filtrer un peu de lumière. A cette lueur indécise, le bouillant poète venait de voir... enfin... et de comprendre... Oui... de comprendre pourquoi son adversaire ne ripostait point, pourquoi le duel se poursuivait indéfiniment, sans résultat possible, pourquoi cette épée enchantée, si habile à parer, ne pointait jamais.

Furieux, et, en même temps, admiratif, il hurla:

- Eh! vivadious! monsieur, ceci n'est point de jeu. Halte-là! Je ne suis point une mazette que l'on ménage!

D'Artagnan salua de la lame:

- Je regrette, monsieur, de n'avoir pu mieux vous servir pour cette fois! Mais j'avais fait... un voeu!

Un voeu? Corbac! Ebahi, Cyrano venait de s'apercevoir que son impassible adversaire avait combattu l'épée enveloppée de son fourreau.

- Allons! dit d'Artagnan, souriant de sa stupeur malgré tout, c'est encore vous qui gagnez la partie! Une autre fois, j'aurai ma revanche.

- J'y compte bien, grogna Cyrano.

 

 

L'ensemble des sept romans composant D'Artagnan contre Cyrano et D'Artagnan et Cyrano réconciliés a été réédité en janvier 2002 dans la collection Omnibus. Avec un important appareil critique comportant notamment un historique des "rencontres" entre les deux héros, dans la littérature et au cinéma.
 


 

 

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