Le filleul d’Aramis
Paul Mahalin
254 pages 1896 - France Roman
Intérêt: **
Troisième "suite" aux aventures des mousquetaires
écrite par Paul Mahalin, après Le
fils de Porthos et D'Artagnan (Mahalin a par ailleurs écrit une suite
aux Quarante-cinq, La
fin de Chicot). Le filleul d'Aramis est Hélion de
Jussac, fils du baron de Jussac, l'ancien adversaire de d'Artagan
dans le duel opposant les mousquetaires aux gardes du Cardinal, au
début des Trois mousquetaires. Jussac et Aramis se sont
retrouvés de nombreuses années plus tard et l'ancien
mousquetaire, devenu duc d'Alaméda, a "adopté"
le jeune homme après la mort de son père.
L'intrigue se situe durant les dernières années du règne
de Louis XIV. Les puissances européennes coalisées complotent
contre la France et Aramis, également général
des jésuites, s'emploie à les contrecarrer pour obtenir
en échange le soutien de Louis XIV dans son ambition suprême:
devenir pape. Madame de Maintenon et le duc du Maine cherchent à
assurer leur emprise sur le pays en écartant la descendance
légitime du Roi. Pour ce faire, ils s'assurent les services
d'Armande de Sainte-Croix, fille de la marquise de Brinvilliers, et
aussi experte que celle-ci dans l'utilisation des poisons.
Dans ce contexte de complots, Hélion cherche à faire
ses preuves dans l'armée du Roi, afin de gagner la main de
sa fiancée, demoiselle d'honneur de la duchesse de Bourgogne.
Au gré des péripéties, cette dernière
périt empoisonnée par erreur par Armande de Sainte-Croix,
Hélion va se battre dans l'armée du duc de Vendôme
où il fait merveilles, etc.
Aramis est campé comme un vieillard au bout de ses forces (il
aurait largement une centaine d'années!) mais qui refuse de
le reconnaître et dont l'ambition est plus dévorante
que jamais. Très réussies, les pages finales le voient,
malade, retrouver des forces quand il apprend que le pape Clément
XI n'est pas bien portant, ce qui lui donne espoir de lui succéder;
puis aussitôt après, perdre toute son énergie
quand lui arrive la nouvelle de la mort de Louis XIV, son principal
soutien dans ses ambitions papales, ce qui provoque son décès.
D'une lecture agréable, nourri de références
à Saint-Simon et à la vie de la Cour, le roman
est bien mené. Il n'est toutefois pas aussi convaincant
que Le fils de Porthos.
Extrait de la Troisième partie, chapitre 4 La
condamnation
(Aramis) était debout, droit sur ses jambes, la tête
haute, la voix ferme, le regard assuré. Encore un peu,
il eût mis le poing sur la hanche pour ressusciter tout
à fait le mousquetaire d'autrefois.
Les dragons se rangeaient en bataille sur la place, et, de toutes
parts, les officiers et les soldats des autres corps y accouraient
en grand émoi. Le bruit s'était rapidement répandu
du péril que courait M. de Vendôme, et toute l'armée
aurait voulu s'envoler pour lui porter secours.
On eut quelque peine à endiguer cet excès de zèle.
L'ancien compagnon d'Athos, de Porthos et de d'Artagnan donnait
ses ordres avec une netteté toute militaire. On eut dit
qu'il avait encore sur le dos la casaque rouge à la croix
d'argent. Sa décrépitude semblait s'être
évanouie pour un moment. Une flamme de jeunesse dansait
sur l'ivoire jaune de ses joues et réchauffait le lobe
vitreux de sa prunelle. Il parlait avec volubilité, par
saccades d'une brièveté virile et sonore que soulignaient
des gestes rapides et coupants...
Et, quand il se fut assuré que les chevaux étaient
paquetés pour une course à outrance; que
les cavaliers avaient le pistolet dans la fonte et le mousqueton
le long de la cuisse; que la lame des sabres jouait facilement
dans le fourreau, et que toute sa petite troupe, enfin, brûlait
d'une ardeur sans pareille:
- Tout cela me fatigue bien un peu, murmura-t-il en respirant:
je n'ai plus vingt ans, c'est certain, et je ne devrais pas me
surmener... Mais bah! j'en serai quitte pour dormir demain la
grasse matinée... Et qui sait jusqu'où je peux
aller avec des ménagements?
Il s'approcha de M. de Jussac, qui mettait le pied à l'étrier:
- Monsieur mon filleul, lui dit-il, voici l'occasion - ou jamais
- de vous montrer digne de rentrer dans mes bonnes grâces.
Il ajouta avec autorité:
- Ramenez-nous M. de Vendôme.
Puis, d'un ton significatif:
- Ramenez-le... ou ne revenez pas.
- Monsieur, répondit Hélion, c'est bien ainsi que
je l'entends.
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