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Milady

Laura L. Sullivan

378 pages
Berkley - 2019 - États-Unis
Roman

Intérêt: **

 

 

 

Ce roman qui vient allonger encore la liste de ceux centrés sur Milady de Winter (voir encadré ci-dessous) se singularise par son approche. Le plus souvent, les livres qui reprennent l’histoire des Trois mousquetaires du point de vue de sa terrible héroïne cherchent à réhabiliter celle-ci : il s’agit de montrer comment Milady n’était pas fondamentalement mauvaise mais a dû se battre dans un monde d’hommes impitoyable pour les femmes. Ce faisant, ils demeurent globalement très fidèles au roman de Dumas, changeant simplement de point de vue sur des événements déjà bien connus. Le meilleur exemple de cette approche est le remarquable Milady, mon amour de Yak Rivais. Il y a donc relativement peu d’invention romanesque pure dans ces romans, seulement de la réinterprétation.

Avec son Milady, Laura L. Sullivan adopte une toute autre approche. Sa réhabilitation du personnage s’appuie sur une invention considérable à propos de son passé, de sa personnalité et, surtout, de la réalité des événements décrits dans Les trois mousquetaires. Thèse fondamentale de cette opération très réussie : Milady a été éduquée pour devenir espionne, elle a développé ainsi des talents hors pair de manipulatrice, si bien que presque tout ce qu’on la voit faire ou subir chez Dumas, depuis le viol par d’Artagnan jusqu’à son exécution en passant par la confiscation du blanc-seing de Richelieu par Athos ou son « procès » par les mousquetaires a été en réalité voulu et mis en scène par elle !

Que la « véritable » histoire de Milady n’ait pas grand chose à voir avec celle que l’on connaît apparaît dès le premier chapitre. On y voit la jeune femme, espionne et assassin pour le compte de Richelieu, tenter de mener une vie privée « normale » en compagnie de son amant le comte de Wardes, de leur bébé, et de son amie intime Constance Bonacieux, ces deux derniers étant eux aussi des agents secrets du cardinal… Idéalistes déçus, les trois espions de profession voudraient démissionner mais savent que leur défection serait punie de mort par Richelieu.

Le roman se structure ensuite en une alternance de scènes situées en 1615, durant la jeunesse de Milady, et 1628, année de l’histoire des Trois mousquetaires. On y découvre beaucoup de choses quant aux origines de la jeune femme. Clarice est née dans le Yorkshire, d’un père anglais, lord Paget, et d’une mère française. Son père vit à la Cour où il intrigue en permanence en quête de faveurs. Clarice vit dans le domaine familial où sa mère lui prodigue un enseignement inhabituel pour une jeune fille de bonne famille : monter à cheval comme un homme, utiliser les plantes pour soigner, tout en apprenant les doses qui peuvent tuer, porter en permanence une dague dissimulée dans ses vêtements pour pouvoir se défendre si besoin est… Toutes choses qui semblent parfaitement naturelles à cette jeune fille qui ne connaît rien ni personne d’autre. Son seul compagnon de jeu est Denys, le fils du fauconnier du domaine.

Son père se désintéresse totalement d’elle jusqu’à ce qu’il découvre que Clarice est devenue une jeune femme exceptionnellement belle, et qu’elle peut donc devenir utile à ses projets. Il l’emmène chez une amie, Mary Villiers, grande dame intrigante de haut vol. Là, elle fait la connaissance de son fils George Villiers (qui deviendra plus tard lord Buckingham). Le beau jeune homme a son âge et elle en tombe folle amoureuse. Ils se jurent un amour réciproque et Clarice croit George – à tort. Les deux jeunes gens reçoivent de la part de Mary Villiers une formation assez particulière : techniques de séduction et de manipulation, tout ce qu’il faut pour faire des ravages à la Cour. L’objectif de Mary, avec la complicité du père de Clarice, est de faire de George le favori du roi, en se servant de la jeune fille comme instrument annexe.

Arrivés à la Cour de James I, ils réussissent avec brio à discréditer le favori en place et à le remplacer par George. Clarice comprend alors qu’elle n’a été qu’un jouet et qu’elle n’intéresse absolument pas George. Curieusement, elle connaît sa première expérience sexuelle avec… Richelieu, alors envoyé de France à la Cour anglaise.

Ayant désobéi aux ordres implacables de Mary Villiers, elle est enfermée, en punition, dans le couvent de Sainte Ursule, en France. Elle y est victime de mauvais traitements de la part d’une mère supérieure sadique mais s’y lie d’une indéfectible amitié avec une autre jeune fille devenue religieuse contre son gré : une certaine Connie que l’on connaîtra plus tard sous le nom de Constance Bonacieux. Pour préparer son évasion, elle séduit Félix, le jeune prêtre qui dessert le couvent, point où l’on rejoint le roman de Dumas.

Mais c’est finalement Denys et la mère de Clarice qui viennent arracher la jeune fille à son couvent. Mourante, sa mère lui fait des révélations choc sur son enfance et sa famille. Elle, sa mère, est une espionne professionnelle au service de la France, comme l’ont été sa propre mère, les frères et sœurs de Clarice, Denys et son père, etc. « Est-ce que tout le monde autour de moi m’a trompée ? », demande-t-elle, suffoquée. Sa mère lui explique qu’elle lui a appris mine de rien tout ce dont elle aurait besoin pour devenir agent secret comme toute la famille et que le moment est venu de choisir. Elle peut mener une vie tranquille et insignifiante de lady, mère de famille, dans une campagne reculée. Ou bien elle peut opter pour la profession de toute sa famille et changer le cours de l’Histoire. Ces espions ont en effet une conception assez curieuse de leur métier : ils ne se voient pas comme les exécuteurs des basses œuvres de dirigeants comme Richelieu ou un ministre anglais. Au contraire, ils estiment œuvrer pour le bien de l’humanité. Quand ils assassinent quelqu’un, cela peut empêcher une guerre et sauver des milliers de vie… Clarice est déchirée face à ce choix mais décide en premier lieu de faire évader Connie du couvent, et le prêtre Félix par la même occasion.

Quelques péripéties plus tard, elle se retrouve dans le village de la Fère. Le futur Athos lui fait la cour et l’épouse en secret. Il fait venir un ami proche comme témoin, un certain comte de Wardes dans lequel Clarice stupéfaite reconnaît son ami d’enfance Denys pour lequel elle développe de tendres sentiments.

Quelques mois plus tard, des négociations secrètes tenues dans le château de la Fère voient arriver un diplomate anglais qui se révèle être George Villiers. Ce dernier tente de la manipuler encore une fois en lui promettant de nouveau son amour mais elle ne se laisse pas prendre.

L’épisode de la pendaison de la jeune femme par son mari le comte de La Fère intervient alors. C’est Denys qui vient la décrocher de son arbre. C’est là que Clarice fait son choix : dans ce monde impitoyable, elle décide de se faire espionne et entre au service du cardinal.

Tous ces épisodes sont donc livrés en alternance avec le récit des événements de 1628 qui livrent petit à petit une relecture des scènes des Trois mousquetaires. Le viol de Milady par d’Artagnan, apprenons-nous, est une supercherie. Le mousquetaire a bien essayé de s’en prendre à elle mais la jeune femme a utilisé l’une des drogues qu’elle maîtrise à la perfection pour le plonger dans un demi-sommeil comateux. Elle n’a eu aucun mal, s’agissant d’un de ces hommes brutaux et entièrement prévisibles, à lui susurrer à l’oreille qu’il lui avait fait tout ce qu’il avait effectivement envie de lui faire… Aussitôt après, c’est délibérément que Milady donne à d’Artagnan la bague d’Athos et lui fait apercevoir la fleur de lys qui marque son épaule : elle veut qu’Athos apprenne qui elle est. Il s’agit de la première étape de son plan. De même, elle s’arrange pour qu’Athos lui arrache dans l’auberge près de La Rochelle le blanc-seing donné par Richelieu. Tout comme d’Artagnan, le mousquetaire est manipulé de manière à faire exactement ce qu’elle voulait (voir extrait ci-dessous).

Elle est ensuite amenée à faire assassiner Buckingham, son premier amour. En revanche, l’empoisonnement de Constance n’est qu’une mise en scène. Elle administre à son amie un soporifique, toujours dans le but de tromper les mousquetaires. Elle se laisse capturer par ces derniers qui, comme elle le voulait, la « jugent » et la condamnent à mort. Mais son compagnon Denys, comte de Wardes, a pris la place du bourreau de Lille et, bien sûr, ne la tue pas. Les deux peuvent s’enfuir discrètement et rejoindre leur bébé et Constance. Ils pourront désormais mener tous les quatre une vie paisible et retirée. C’était là tout l’objectif de ces nombreuses et complexes manipulations élaborées par Milady. Elle, de Wardes et Constance aspiraient à abandonner leur vie d’espions et assassins mais savaient que Richelieu ne les laisserait pas faire. Tout signe de défection de leur part entrainerait leur mise à mort sur ordre du cardinal. Ils devaient donc simuler leur propre mort. Mais pour que Richelieu y croie, il fallait que celle-ci soit attribuable à des adversaires redoutables. D’où le « choix » des mousquetaires, provoqués par Milady jusqu’à ce qu’ils décident de la tuer.

 

Tout ceci, le lecteur le découvre progressivement grâce à l’alternance des deux époques du récit. Cette construction du roman contribue à en faire une grande réussite, tout comme la qualité de l’écriture de Laura L. Sullivan et la finesse de ses notations psychologiques sur l’évolution de Clarice, depuis ses jours heureux de jeune fille dans la campagne du Yorkshire jusqu’à ses exploits de tueuse à gages pour Richelieu. Dans une brève postface, l’auteure explique sa démarche : elle a voulu imaginer l’histoire personnelle de Milady parce que, affirme-t-elle, « cela n’avait jamais été fait ». Ce qui est faux, bien sûr, il suffit de regarder la liste ci-dessous pour s’en rendre compte. Mais sans doute n’avait-elle pas eu connaissance de ces différents ouvrages, français pour la plupart.

Son travail de création d’un passé pour Milady est en tout cas des plus intéressants, de même que la signification complètement nouvelle qu’elle donne à chacune des scènes clé du roman de Dumas est très amusante. Si son Milady n’est pas une réussite à 100%, c’est parce que Laura L. Sullivan en fait parfois un peu trop. Diverses coïncidences sont vraiment énormes, comme le fait que Denys soit devenu ami intime du comte de La Fère ou que Buckingham arrive en visite chez ce dernier. La notion d’agents secrets idéalistes au XVIIème siècle n’est pas très convaincante. En outre, sa réinterprétation des Trois mousquetaires n’est pas toujours cohérente avec l’original. Si Constance travaille pour le cardinal, par exemple, que devient tout l’épisode des ferrets de la reine ? Il est vrai que l’auteure a une explication assez élégante et astucieuse aux incohérences éventuelles : elles tiennent, dit-elle, à ce que « ce sont les vainqueurs qui racontent les histoires ». Autrement dit, le récit de Dumas reflète l’histoire telle que les mousquetaires l’avaient perçue et voulaient la faire connaître, et non pas l’histoire réelle. En dépit de ces quelques défauts, ce Milady constitue un apport de premier ordre aux variations sur le thème de la plus terrible « méchante » des romans de Dumas !

Merci à Mihai-Bogdan Ciuca de m’avoir signalé ce livre.


Extrait de la première partie, chapitre 4

The cardinal gone, I adjust my bonnet in preparation for embarking on my last great mission. I don't yet know if I will comply, but I must seem to. He has asked me to kill a man I swore I would never see again. Quite a dilemma, particularly when my mind is fixed so strongly on other things.

I hear a step without, but don't turn when the door eases open. It must be the cardinal, having forgotten some bit of information, or his embroidered red silk handkerchief. Staring at my face in the glass, trying to decide if my son will inherit my nose, I don't turn.

"Yes?"

But when there is no reply, I sigh, expecting something to be added to an already onerous assignment. When I turn, a shrouded man stands in the doorway. A cloak covers his body; a hat tugged low shadows his eyes. He shuts the door and slides the bolt into place.

"You live," he says.

"You live," I breathe, and though I was forewarned, it still feels like a ghost has manifested in my room. Up close, I see that the years have not been kind to him. He is still handsome in his way. Men can get away with a great deal of self-abuse. But his hair is graying, and his nose shows signs of the bottle. His forehead is deeply lined; his eyes and mouth are not. There has been little smiling in the last dozen years, I believe.

Buried in that ruined vessel is the man I once trusted.

"Are you a demon?" he asks.

"No more than I ever was." He makes a sound like a choked laugh. Yes, I suppose that turn of phrase would smite him.

And then there is a long silence, and I honestly do not know if his next action will smack of love or murder. In him, the two are inextricably intertwined. "I heard your conference with the cardinal. I don't care a fig for your plan to assassinate the Duke of Buckingham. The English are my enemy now, and one perfidious Englishman's life is of no consequence to me. But you will not harm a hair on D'Artagnan's head."

He is devoted to his friend. Oh, take care, young Gascon! This man's love is a dangerous thing!

"He offended me," I cry. "I will have my revenge."

His face flushes, and at last there comes an emotion I can understand. But too soon, alas, too soon! If it happens now, the fiction will become truth. I must rein him in.

He pulls a pistol from his belt, cocks it, and points it at my face.

"Demon woman! What is there left on this firmament that can offend you?"

And so I reveal how his friend violated me, telling the truth as D'Artagnan believes it. Athos blanches. The lines in his brow crease to new chthonic depths. The primed pistol wavers, and I step forward to caressingly push it even lower.

"Not my face, if you ever loved me. My heart . . . because you loved me once."

Oh Lord, it is as good as a play to see the flickers of love and lust and memory and fury dapple his face like sunshine through the trees. He knows not what to feel. Dare I heighten his confusion?

I pull down my bodice, showing luscious breast and damning scar. "Better still, shoot me there." I press the cold muzzle against the scar.

He is all atremble, and I think I will die, if not by will then by accident. His finger makes minute convulsions on the trigger.

Finally, he steps back. "Give me the letter."

"What letter?"

"I heard all, remember? Hand over the pass His Eminence gave you, excusing your every action." I hesitate, and the pistol returns to my face. "Now, or I swear by God, you'll make a hideous corpse."

What choice do I have? Overwhelmed by masculine force, I give him the letter.

Exactly as I had intended to do all along.

He does not kill me, but leaves with a look of confused anguish, and I know he has not exited my life for long.

Jointed marionettes on strings. That's all most people are. And I know this all too well, because I was a puppet once . . .


 

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