Les ferrets sont éternels
Olivier Seigneur
222 pages Librairie des Champs-Elysées - 1996 - France Roman
Intérêt: **
Curieusement publié dans la collection Le Masque de romans
policiers, ce livre réécrit de façon joyeusement délirante
l'épisode des ferrets de la Reine des Trois Mousquetaires.
Point de départ: l'auteur relève une anomalie dans
la chronologie des événements relatés par Dumas. Il
y avait en effet douze jours entre l'appel au secours lancé par
la Reine à d'Artagnan pour récupérer ses ferrets et
le bal où le roi exigeait qu'elle les porte. Mais l'expédition
en Angleterre du jeune Gascon, telle qu'elle est racontée dans Les
Trois Mousquetaires, ne dure que six jours.
Explication donnée par Olivier Seigneur: cette anomalie dissimule
le fait que le récit connu de l'affaire des ferrets est délibérément
mensonger. Car la vérité était tellement abominable
qu'il fallait à tout prix la dissimuler.
Le roman reprend donc le récit complet de l'expédition en
Angleterre, jusqu'au bal. Mais la version donnée ici est bien différente
de celle de Dumas... Complexes, les péripéties de Les ferrets
sont éternels sont parfois déroutantes. Et les
personnages y sont pris le plus souvent à rebours de leur image
habituelle.
D'Artagnan apparaît ici comme un lourdaud ne comprenant rien à rien
et qui s'est laissé entraîner dans cette galère simplement
parce qu'il avait envie d'impressionner cette garce de Constance Bonacieux
qui se refusait à lui. Buckingham est exaspéré: il
se souvient bien d'avoir vaguement flirté avec la Reine de France
par désoeuvrement, mais il ne sait pas pourquoi elle a insisté pour
lui donner ses ferrets et il aimerait bien être débarrassé au
plus vite de toute cette histoire. D'ailleurs, il a donné les bijoux à la
tenancière d'une maison close huppée, qui les a elle-même
redistribués. Il faut dire que personne n'en veut, tant ces ferrets
sont de mauvais goût...
D'Artagnan court donc désespérément après
les ferrets, tandis que gravitent autour de lui bien des personnages:
Milady, qui semble travailler elle aussi pour la Reine; Athos, qui
a suivi d'Artagnan à Londres; un tueur mystérieux qui
sème les cadavres autour de lui, etc...
Complètement perdu - comme, assez souvent, le lecteur, il faut
bien le reconnaître - d'Artagnan vit dans la terreur. Selon les moments
ou les incidents, il pense que le Roi lui-même complote la perte
de son épouse, ou que cette dernière mérite bien d'être
déshonorée. Il suspecte successivement Athos ou Tréville
de trahison.
Il faut dire que d'Artagnan a été traumatisé à jamais
par une mère tyrannique, et qu'il ne peut supporter l'idée
de la décevoir. Ce qui ne contribue pas à lui donner confiance
en lui...
Pour ajouter à la confusion, les faux ferrets se multiplient, tous
destinés à tromper l'ennemi - quel qu'il soit. Ce qui n'est
pas inutile car quand d'Artagnan les rapporte en France, quelques jours
avant le bal, ils sont encore l'objet de différents vols et substitutions.
Au tout dernier moment, d'Artagnan découvre le rôle central
joué par Marie de Médicis, la reine mère, dans toute
l'affaire, tandis que la duchesse de Chevreuse trahit à son tour
la Reine en avalant un ferret!
Au bout du compte, le Reine arbore bien ses douze bijoux à l'heure
fatidique. Mais c'est grâce à Richelieu, qui s'est révélé son
meilleur soutien dans toute cette affaire, contrairement à ce que
l'on avait toujours cru. Et dans une révélation finale, d'Artagnan
réalise que Milady n'est pas du tout la femme qu'il croyait.
Touffu, souvent déconcertant, Les ferrets sont éternels est
servi par une écriture baroque. Les scènes cocasses se succèdent,
dans le palais de Buckingham où règne l'anarchie, dans la «maison» tenue
par Wet-Wet-Gladys, dont les charmantes pensionnaires terrifient d'Artagnan,
etc... Et le portrait de ce denier en naïf immature, ignare et instable
est incontestablement mémorable.
Extrait
D'Artagnan frissonne, de froid, de fatigue, de dégoût. Le
cadet aux gardes ne prête pas attention aux branches qui lui fouettent
le visage, il se contente de suivre Athos qui galope, devant lui, à bride
abattue. Et pourquoi ne pas s'arrêter là, confier à Athos
ceux des ferrets que d'Artagnan a dans ses fontes afin que le mousquetaire
les emporte, avec les bijoux qui sont en sa garde, jusqu'à Paris?
Oui, d'Artagnan devrait sans doute tourner bride et gagner au plus vite
la Gascogne. Mais non, cela ne se peut, le cadet aux gardes a promis à la
reine de France et de Navarre, et puis, il lui faudrait rendre des comptes à sa
mère.
Soudain, un nouveau précipice s'ouvre devant le cadet aux gardes.
La reine, que sait-elle? Anne d'Autriche ne peut ignorer que son émissaire
est marquée au fer rouge. Alors, c'est que la reine de France elle-même
se complaît dans la débauche la plus effrénée.
Comment, du reste, pourrait-il en être autrement, puisqu'elle n'a
pas hésité à confier ses bijoux au principal ministre
de la nation qui est la principale ennemie du royaume de France? Et sa
femme de chambre, la grosse Constance Bonacieux, n'est-elle pas la complice
de sa maîtresse? Tout n'est donc que vilenie et luxure? D'Artagnan
a compris, les appartements de la reine de France le disputent, pour ce
qui concerne l'ignominie, à la tour de Nesle de Marguerite de Valois.
D'Artagnan veut jeter, extirper de son corps la souillure qui s'y est
accrochée sans qu'il s'en aperçoive, il veut redevenir un
petit garçon. Le cadet aux gardes ne veut plus être mousquetaire,
il veut retourner dans le Béarn, et y demeurer à jamais,
loin de ces intrigues de cour, de ces boues putrides. D'Artagnan frémit.
Non, c'est impossible, sa mère est là, impitoyable, dure,
menaçante, qui l'attend dans la grande salle lépreuse du
château délabré. Et sa mère rappelle ses mises
en garde au jeune Gascon. Les femmes, mon pauvre fils, surtout celles qui
vivent à la cour de France, sont des créatures perverses,
filles du démon tout entières tournées vers la luxure
et la satisfaction de leurs vices. Tu devras t'en méfier et ne jamais
leur accorder ta confiance.
Non, d'Artagnan ne peut retourner au château familial, ni confesser
son erreur, son imprudence, le déshonneur qu'il a infligé à sa
famille, ni avouer qu'il s'est mis au service de la plus lubrique des reines
en désobéissant à son roi, ni admettre qu'il s'est
abandonné dans les bras d'une débauchée. Oui, tout
ceci est impossible, impensable, constate d'Artagnan qui force sa monture
sans craindre de la crever sous lui. Il lui faut arriver, arriver à Paris
au plus vite. Non pour épargner à Anne d'Autriche les tourments
qui sont les siens, en attendant de connaître l'issue, favorable
ou non, de la mission confiée au cadet aux gardes, mais pour en
finir au plus vite! D'Artagnan doit rendre à la reine les preuves
de sa débauche, puis, sans même accorder le moindre regard
aux servantes de la nouvelle Messaline, aller chercher la paix dans un
monastère, le plus reculé que le cadet aux gardes pourra
trouver, l'établissement où la règle est la plus stricte
et la plus propre à lui permettre d'expier ses fautes, oui, c'est
cela et rien que cela, pouvoir, enfin, demander grâce à Dieu.
Alors, tandis que les épines du chemin creux lui déchirent
le visage, d'Artagnan sourit. Un peu.
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