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Cette mémoire du cœur
Fragments pour un Monte-Cristo suite et fin

Thomas Rien

440 pages
Editions Frappez au miroir - 1985 - Belgique
Roman

Intérêt: *

 

 

Parmi les innombrables livres inspirés de Monte-Cristo, celui-ci figure sans aucun doute parmi les plus ambitieux, à défaut d’être parmi les plus réussis.

Chercher à la résumer n’aurait pas beaucoup de sens puisqu’il ne s’agit pas d’un récit linéaire. Comme le sous-titre l’indique, le volume est composé de «fragments», c’est à dire de textes de longueurs très variables, pouvant faire partie d’une suite de chapitres ou bien complètement indépendants. Il n’y a pas non plus de linéarité chronologique.

Il s’agit bien d’une «suite» de Monte-Cristo puisque l’on y suit le comte depuis la fin de sa vengeance jusqu’à sa mort. Mais le roman comprend également de nombreux chapitres consacrés à de épisodes précédents, comme la jeunesse d’Albert de Morcerf par exemple.

A défaut de résumer une intrigue inexistante, mentionnons quelques-uns des nombreux sujets abordés dans les 80 «fragments»: la rencontre de Monte-Cristo et de Garibaldi en Amérique latine; le long voyage effectué en Grèce et au Proche-Orient par Albert; la vie commune de Monte-Cristo et de Mercédès après la fin de la vengeance; la vie misérable de Danglars essayant d’obtenir de Monte-Cristo qu’il lui rende sa banque, etc…

Un thème dominant de l’intrigue ne manque pas d’originalité: arrivé au milieu de sa vie, Edmond Dantès voit son existence se dérouler à rebours. Au lieu de continuer à vieillir comme tout le monde, il se met à rajeunir – jusqu’à s’annihiler, bien des années plus tard, redevenu bébé, dans les bras de son alors très vieille épouse, Mercédès.


Tout cela pourrait sembler original et séduisant et l’est parfois. Le problème vient de la façon dont est conçu et écrit le livre: comme un énorme mille-feuilles (les 440 pages sont imprimées tout petit et en valent bien le double) dans lequel on trouve absolument de tout et qui se révèle bien indigeste.

On peut ainsi lire dans ces fragments une énumération sur plusieurs pages des vignobles italiens, des notices détaillées sur la faune d’Amérique latine, une description approfondie de la condition des mineurs d’étain en Bolivie, etc… On trouve de longues discussions philosophiques, des échanges entre Monte-Cristo et toutes sortes de personnalités réelles (comme Charles Fourier ou Alexandre Dumas lui-même) ou imaginaires (comme Mathias Sandorf, héros de la réécriture de Monte-Cristo réalisée par Jules Verne – voir fiche sur ce livre et extrait ci-dessous), des passages pornographiques, etc…

Le tout est souvent mortellement ennuyeux, déborde d’une érudition gratuite et assez prétentieux: à titre d’exemple, l’auteur s’est astreint à faire précéder les 80 fragment d’une citation, allant de Victor Hugo à Fidel Castro en passant par Rousseau, Sade, Lénine et Simenon.

On reste rêveur devant la masse de travail et de recherche que représente ce livre: d’après les dates fournies par l’auteur, il a d’ailleurs mis 20 ans à l’écrire et l’on n’en est pas étonné. Il est annoncé dans ce volume la parution prévue de Journal de Cette mémoire du cœur, dans lequel on imagine que Thomas Rien voulait décrire le processus de rédaction de ce roman. Nous ne savons pas si ce dernier ouvrage est effectivement paru ou pas.

 Voir l'arbre généalogique du comte de Monte-Cristo


Extrait du Fragment LI Antékirtta

Edmond ne devait que très légèrement se dévoyer pour relâcher à Antékirtta, et mit à profit la proximité de cette île pour aller saluer son ami et disciple, le docteur Antékirtt alias Mathias Sandorf.

- Où est située l'île Antékirtta? demanda Haydée.

- Sur les parages de la grande Syrte, dont la réputation est détestable depuis la plus haute antiquité, à l'extrémité de cette mer que les vents du nord rendent si dangereuse, même aux navires modernes, dans le fond de ce golfe de la Sidre, qui échancre la côte africaine entre la régence de Tripolitaine et la Cyrénaïque!

- Terre! cria Haydée soudain.

- Tu devines avant de voir, en matelot consommé. Bravo.

- Non, je déduis. Les amers, les oiseaux...

Edmond sourit.

- Deux raisons, continua-t-il, ont dicté au comte Sandorf ce choix: d'abord Antékirtta était suffisamment vaste — dix-huit milles de circonférence — pour contenir le personnel qu'il comptait y réunir; suffisamment élevée, puisque un cône, qui la domine de huit cents pieds, permettait de surveiller le golfe jusqu'au littoral de la Cyrénaïque; suffisamment variée en ses productions et arrosée par ses rios, pour subvenir aux besoins de quelques milliers d'habitants. En outre, elle était placée au fond de cette mer, terrible en ses tempêtes, qui, dans les temps préhistoriques, fut fatale aux Argonautes, dont Apollonius de Rhodes, Horace, Virgile, Properce, Sénèque, Valérius Flaccus, Lucain et tant d’autres plus géographes que poètes, Polybe, Salluste, Strabon, Mela, Pline, Procope, signalèrent les effroyables dangers, en chantant ou décrivant ces Syrtes, ces «entraînantes», véritable sens de leur nom.

Le comte Sandorf tenait son faux nom de roturier d'une île achetée, comme Edmond son faux nom de noble.

- Edmond, quelle joie, je vous attendais, furent les premiers mots de Mathias Sandorf.

- Vous m'attendiez? répondit Dantès, a quia.

- Mais oui. Je vous attends toujours.

Edmond et Haydée passèrent trois journées à s'instruire en compagnie de leur hôte des dernières découvertes en matière de flore et de faune. Ils couraient sur la plage, plongeaient dans la mer azur, récoltaient des coquillages, escaladaient des falaises.

Ou ils cueillaient avec précaution des plantes qu'ils rapportaient chez le docteur, lequel avait installé au centre de l'île, dans un cratère éteint, un arboretum de huit cent treize hectares où des ombellifères malgaches côtoyaient des cactacées sibériennes, où l’aloès de Schaerbeek côtoyait la bardache de Saint-Josse-ten-Noode, où le lilas de Souabe côtoyait l'acajou d'Amazonie, où le chiendent tourangeau côtoyait le gazon australien, où la renonculacée n'était pas loin de l'actinie (en d'autres termes, l'anémone des champs de l'anémone de mer) — car le docteur avait ménagé dans ces huit cent treize hectares une mer intérieure qui en couvrait le tiers, soit 271, où le cyclamen du Bosphore voisinait avec le poivrier de l'Adriatique, le chrysanthème du détroit de Behring avec la rosé du golfe du Bengale, la tulipe du Zuyderzee avec la strélitzie du canal de Mozambique. En outre nageaient là des poissons, et des oiseaux volaient — et par souci eût-on dit de parachèvement des exocets y nageaient-volaient.

Poissons, avons-nous écrit sans autre précision. A dessein. Car une des expériences, une des réussites du docteur Antékirtt avaient consisté, grâce à un système fort raffiné d'écluses, de pistons, de godets, de siphons et de roues à aubes, à mêler si harmonieusement l'eau de la Cyrénaïque à celle des rios que les espèces de mer et d'eau douce vivaient en bonne intelligence (c'est-à-dire s'entre-dévoraient selon les lois de la nature) dans cet immense aquarium, la truite de Londres avec le requin des Canaries, le brochet de Nantua avec la sole dieppoise, le cyprin de l'Erythrée avec la vive de la Mer Morte, la sangsue de Frasnes-les-Buissenal avec l'espadon de Sesimbra, le bernard-l'ermite de Mauregny-en-Haie avec l'épinoche de Dantzig, l'axolotl de Mexico avec la baleine de Terre-Neuve, l'anguille du lac Balaton avec sa fille des Sargasses, et pour couronner le tout, enfin réunies, les sœurs depuis des ères séparées: la langoustine avec l'écrevisse.

De surcroît, par voie d'attraction, fréquentait là la gent ailée: le cormoran des Açores et la fauvette de Boitsfort, le bernache des Sandwich et le canard de Miquelon, le fou de Bassan et le friquet de Furfooz, le cygne de Montevideo et l'aigle de Tolède, pour ne donner que quelques exemples.

Edmond, comme animé par quelque vent impitoyable, dut bientôt s'arracher au charme de ce séjour et continuer son voyage.

Les deux hommes s'embrassèrent, le cœur serré.

- Ce n'est qu'un au revoir, dirent-ils d'une seule voix.

Ils le disaient pour se le persuader.

Puis le comte Sandorf demanda au comte de Monte-Cristo l'autorisation d'embrasser Haydée.

- Haydée ne tient ses décisions que d'elle-même, lui fut-il répondu.

Celle-ci n'avait du reste pas attendu la permission pour se jeter au cou d'Antékirtt.

L'Eurus mit à la voile, cap nord-nord-ouest.

Les deux comtes, qui essuyaient simultanément des larmes qui perlaient à leurs paupières, debout l'un sur le plus haut rocher de la plus haute falaise, l'autre à la poupe du bateau, agitaient un mouchoir noir.

Ils diminuaient l'un et l'autre à leur vue réciproquement et bientôt ils ne furent plus l'un pour l'autre qu'un point, qui disparut dans le même instant.


 

 

 

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