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Lord Gwynplaine

Jean-Bernard Pouy
Patrick Raynal

574 pages
Albin Michel - 2018 - France
Roman

Intérêt: **

 

 

Il y a décidément un phénomène Monte-Cristo. Si, du fait de sa popularité, la trilogie des Mousquetaires inspire un plus grand nombre de livres sous des formes variées (suites, parodies, plagiats…), Le comte de Monte-Cristo est le seul roman à faire l’objet à de multiples reprises de « remakes » littéraires. C’est-à-dire de réécritures conservant les grands traits de l’intrigue et les personnages principaux de Dumas, en les transposant dans un contexte et une époque différents (voir liste ci-dessous).

Cette fois, ce sont deux virtuoses du polar, Jean-Bernard Pouy et Patrick Raynal, qui s’y attaquent. Leur projet : démonter le roman de Dumas pour comprendre les raisons de son immense popularité et le transposer à notre époque pour vérifier si la trame du roman résiste à un tel traitement (voir l’interview qu’ils nous ont accordée). Pour ce faire, les deux co-auteurs adoptent un parti-pris de fidélité absolue au texte d’origine, qu’ils ont commencé par réécrire chapitre par chapitre.

Nul besoin, donc, de résumer l’intrigue puisque c’est exactement celle de Monte-Cristo transposée à la fin du siècle dernier et de nos jours. Le héros, Erwan Le Dantec, est un pilote d’avion. A l’occasion d’un vol en Afrique, le commandant de bord est blessé lors d’une mystérieuse escale en Libye et le jeune homme se trouve embringué malgré lui dans une magouille franco-libyenne. Arrêté suite à une dénonciation émanant de son collègue Pierre-Alain Barjac (Danglars) et de son « ami » Armand (Fernand Mondego), amoureux transi de sa fiancée Olivia (Mercédès), il est « mis à l’écart » par le procureur Villedieu (Villefort). Ce dernier le fait inculper de haute trahison et l’envoie croupir dans une prison secrète de l’armée, en plein cœur de la jungle de la Guyane française.

Là, il se lie avec un vieux prisonnier, l’abbé Vargas. Un personnage étonnant, ancien conseiller financier du baron de la drogue Pablo Escobar, devenu prêtre par la suite. Le Dantec profite du décès de Vargas pour s’enfuir de cette prison coupée du monde en s’emparant de l’hélicoptère qui évacue les cadavres. Il se rend en Colombie pour récupérer la colossale fortune en cash et en pierres précieuses que Vargas avait dissimulée pour le compte d’Escobar. Il recrute une belle et torride Colombienne, Maria-Luisa, qui devient son bras droit.

Devenu « lord Gwynplaine » (une référence au roman L’homme qui rit de Victor Hugo), il fait connaissance d’Alexandre, fils d’Olivia et d’Armand (Albert de Morcerf) à l’occasion du carnaval de Barranquilla où il le sauve des griffes des mafias locales. Arrivé à Paris, il y retrouve ses ennemis arrivés à de brillantes positions : Barjac est un banquier de haut vol, Armand Saint-Sernin a fait fortune en Afrique et est devenu sénateur, Villedieu est procureur de la République. Lord Gwynplaine monte alors diverses machinations pour causer leur chute, à l’image de celles de Monte-Cristo.

Cette transposition méticuleuse fonctionne parfaitement. Les versions 2013 (année de l’arrivée à Paris de lord Gwynplaine) de Danglars, Morcerf et Villefort sont convaincantes. La réincarnation du journaliste Beauchamp en Patrick Lestraban, rédacteur en chef au Canard Enchaîné, est savoureuse, tandis que celle de l’abbé Faria en Vargas est particulièrement réussie : ce personnage mi conseiller financier du plus grand criminel de la planète, mi homme d’église semble même comporter quelques chose du mousquetaire Aramis… (voir extrait ci-dessous).

En vieux routiers du polar, Pouy et Raynal n’ont guère de mal à trouver dans la France contemporaine l’équivalent des turpitudes décrites par Dumas dans celle du XIXème siècle. Les allusions aux « affaires » de la Vème république abondent, de Mitterrand à Sarkozy, en particulier celles concernant les relations entre la France et l’Afrique. A un siècle et demi d’écart, cynisme et absence de scrupules prévalent. Comme le dit le père de Villedieu à son fils : « en politique, mon cher, tu le sais comme moi, il n’y a pas d’hommes, mais des idées ; pas de sentiments, mais des intérêts ; en politique, on ne tue pas un homme, mais on supprime un obstacle ». Et dans une joute verbale opposant lord Gwynplaine à Villedieu, le « nouveau Monte-Cristo » dénonce le « pouvoir absolu de l’argent », une société « des riches et des puissants », tout comme son modèle s’en prenait au monde de la banque et de l’argent du milieu du XIXème siècle.

Conformément au cahier des charges qu’ils se sont fixé, les auteurs ne s’autorisent que très peu de divergences avec leur modèle. Il y a ici ou là quelques simplifications dans les détails de l’intrigue, ou encore la suppression de quelques personnages secondaires (Ali, le serviteur du comte, l’identité de l’abbé Busoni empruntée par Monte-Cristo, etc.). Plusieurs de ces modifications tournent autour d’un personnage intéressant : la Colombienne Maria-Luisa. Recrutée par Le Dantec aussitôt après son évasion, elle devient à la fois sa maîtresse (occasionnelle) et sa plus proche collaboratrice. A ce titre, elle remplace à elle seule plusieurs des serviteurs de Monte-Cristo. Enfin, à la fin du roman, c’est avec elle que s’enfuit Agathe Barjac (Eugénie Danglars) et non pas avec sa professeure de piano.

Autre différence qui peut être relevée : Raynal et Pouy ont un peu gommé le côté surhomme de Monte-Cristo. Leur lord Gwynplaine n’est pas aussi omniscient que son modèle, il n’a pas une maîtrise aussi totale de son environnement, et il se révèle un peu plus émotif. Mais globalement, c’est bien la fidélité au texte de Dumas qui prévaut. Au point que Raynal et Pouy conservent des éléments assez peu crédibles au XXIème siècle : les mariages imposés par les parents à leurs filles, ou encore la pratique du duel (remplacée in fine par une roulette russe).

A la question que se posaient les auteurs en écrivant leur livre, quand ils se demandaient si l’intrigue de Monte-Cristo résisterait à une transposition à notre époque, la réponse est clairement « oui ». La seule limite de l’exercice tient au parti-pris de départ : le choix d’une fidélité quasi absolue au modèle bride la créativité des co-auteurs.


 

Extrait de la Première partie, chapitre 7

« Je m’appelle Esteban Pablo Vargas Uribbe, mais on m’appelle Vargas. L’abbé Vargas, car je suis prêtre depuis déjà quinze ans. Je suis né dans une famille colombienne noble, mais complètement fauchée. Après des études de droit à Londres et de littérature à la Sorbonne, je suis revenu au pays ouvrir un cabinet d'avocats, mais je me suis vite mis au service d'un vieux copain de Medellin, Pablo Escobar. Je suppose que je n'ai pas besoin de vous en dire davantage, il a acquis une réputation mondiale dont il n'était d'ailleurs pas peu fier. En quelques années, je suis devenu son conseiller juridique, son comptable et son... comment dire... son corrupteur en chef chargé de blanchir l'argent de la cocaïne à travers le monde et, de préférence, dans des pays d'Europe et d'Amérique connus pour leur législation inflexible à l'égard de toutes les drogues. Je travaillais, bien sûr, dans le plus grand secret, et, en dehors de son épouse, personne ne savait à quel point j'étais proche d'El Magico. Mais sentant le vent tourner, il m'a lui-même exfiltré du cartel, et je suis allé me reposer dans une abbaye de votre belle campagne française - j'ai toujours adoré votre pays. Pour finir, j'y ai rencontré Dieu. On m'avait ordonné prêtre, et je suis resté ainsi dans la paix du Père jusqu'au milieu des années 80. Entre-temps, la police avait fait son boulot, et mon signalement, accompagné d'un pedigree assez précis, tournait dans les ordinateurs d'Interpol. »

Vargas se tut brusquement, comme s'il avait atteint les limites de ce qui lui était permis de dire. Suspendu à ses lèvres, Erwan attendait.

« Il faut avouer que le fait d'être activement recherché a passablement précipité mon ordination. Le supérieur de l'abbaye s'était lié d'amitié avec moi et je crois qu'il aurait détesté me voir partir.

- Comment a-t-il su que vous étiez recherché ? On n'annonce pas ce genre de chose à la télé ou dans les journaux.

- J'ignorais moi-même que j'avais été trahi et que le FBI avait été mis au courant de mon rôle dans le cartel de Medellin. Manifestement, il savait aussi que j'avais fui en Europe et que je me cachais dans une abbaye. Interpol a lancé une enquête et l'information a circulé au sein de l'ordre.

- Je vois.

- Non, mon ami, vous ne voyez rien. En 1988, à la suite d'une nouvelle trahison, j'ai été arrêté par la gendarmerie française.

- Dans l'abbaye ?

- Bien sûr que non. Mais pas loin. Les flics savaient que j'allais sortir et ils m'attendaient sur la route.

- C'est donc un moine qui vous a trahi.

- Oui. Vous comprenez maintenant pourquoi j'ai autant besoin d'un compagnon d'évasion.

- Pour vous venger ?!

- On dirait que ça vous choque plus que la trahison elle-même. »

 


 

 

 

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