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L’effroi mousquetaire

Jules Magret

260 pages
Les Belles Lettres - 2018 - France
Humour - Roman

Intérêt: **

 

 

 

L’effroi mousquetaire raconte l’histoire d’un jeune provincial qui se rend à Paris dans l’espoir d’y trouver la fortune et la gloire, de préférence en devenant mousquetaire. Il s’y fait très vite des amis et des ennemis aussi puissants les uns que les autres et contribue à faire échouer un complot qui menace la monarchie. D’Artagnan sous Louis XIII ? Non, Lucien de Médebigne sous Louis XIV.

L’histoire se déroule en 1673, l’année de la mort de d’Artagnan. Le jeune Lucien arrive à Paris avec une recommandation pour ce dernier donnée par sa tante Janine, ancienne maîtresse du mousquetaire. Il se rend chez d’Artagnan où il est reçu par le vieux Planchet puis par son maître qui l’accueille à bras ouverts et l’envoie au capitaine de Saint-Ouen, sorte de barbouze au service de Louis XIV. Peu après cette rencontre, d’Artagnan meurt à Maastricht.

L’arrivée de Lucien dans la capitale coïncide avec la conspiration (historique) montée par le chevalier de Rohan. Ce dernier veut créer une république en Normandie, en s’appuyant sur une alliance avec les Pays-Bas. Ces derniers disposent d’un agent à Paris, en la personne du philosophe Van Houten. Lucien tombe amoureux fou de la fille de celui-ci, Marianne.

Lucien s’est fait un ennemi mortel de Verragnac, l’homme de main du chevalier de Rohan. Verragnac le capture et l’emmène en Normandie où doit avoir lieu le soulèvement contre le roi. Rohan a organisé un enlèvement de Louis XIV pendant une chasse à Fontainebleau. Dès le roi capturé, les Hollandais débarqueront en Normandie pour rejoindre les conjurés. Mais Lucien s’échappe et fait échouer l’enlèvement du roi. Il ne reste plus à Saint-Ouen, Lucien et leurs compagnons qu’à aller arrêter le chevalier de Rohan, qui sera exécuté.

Dans ces aventures de cape et d’épée classiques, les allusions aux Trois mousquetaires sont nombreuses. Explicites avec l’apparition de Planchet et de d’Artagnan, le vieux serviteur se montrant tout ému de voir ce jeune homme qui lui rappelle son maître à ses débuts parisiens (voir extrait ci-dessous). Implicites avec de nombreux épisodes inspirés directement du roman de Dumas : à son arrivée dans la capitale, Lucien se prend de querelle avec Verragnac qui s’est moqué de ses vêtements provinciaux, un fidèle écho de la scène de l’auberge de Meung au début des Trois mousquetaires ; Lucien perd la lettre de recommandation donnée par d’Artagnan pour Saint-Ouen, tout comme d’Artagnan avait perdu la lettre de son père pour Tréville ; alors que Lucien commence à se battre en duel avec Saint-Ouen, des gardes interviennent, amenant le jeune homme à s’allier avec son adversaire pour repousser ces derniers, tout comme durant le grand duel des mousquetaires avec les gardes du cardinal chez Dumas. Autant de « figures dumasiennes », pourrait-on dire, qui ancrent résolument le roman dans la catégorie des hommages rendus aux Trois mousquetaires.

L’intérêt principal du livre, et sa vraie originalité, ne sont pas là : ils tiennent à son écriture. Si le nom de l’auteur, Jules Magret, fleure bon le pseudonyme, c’est que c’en est un : il s’agit d’un nom de plume de François Cérésa. Cet homme de lettres déjà auteur d’un roman Les trois hussards qui mêle vie imaginaire d’Alexandre Dumas et hommage aux Trois mousquetaires, est également spécialiste de l’argot. Et c’est en cette « langue verte » qu’est écrit L’effroi mousquetaire. Ce qui donne au roman un côté « d’Artagnan chez les tontons flingueurs ». Ce Dumas à la sauce Frédéric Dard regorge d’images délirantes et de métaphores hilarantes, parfois (mais rarement) à la limite du compréhensible. On y trouve des jeux de mots abominables, celui du titre et bien d’autres du style « il ne pouvait pas voir en peinture les primitifs flânant », « un godet de Gascogne », etc. L’humour s’appuie également sur moult anachronismes et allusions à l’actualité d’aujourd’hui. Le chevalier de Rohan est affligé d’une « érotomanie strauss-khanienne », Lucien affiche son patriotisme en lançant fièrement « moi, je me sens François, pas Hollande ! ». En adéquation avec le style argotique, le récit est évidemment plein de coucheries en tous genres dont les descriptions permettent à l’auteur de déployer tout son art de la métaphore. Aussi amusant que surprenant.

 

Extrait du chapitre 3

Il se retrouva dans un petit hôtel coquet, tout à fait sémillant, avec porte cochère imposante et chantournée, jardinet super bien entretenu, fontaine Charles IX au centre, cinq marches conduisant à un perron encadré de deux statues figurant Mars et Vénus, et quelques laquais qui se la pétaient. Justement, en voilà un qui rallégea, prognathe et pif rouge, douillon paillasse, grillagé de rides, qui avait quelques heures de vol, avec l'air madré du factotum qui craint de ramasser une culotte.

— C'est à quel sujet ? demanda-t-il.

— J'ai une lettre de recommandation de la comtesse Janine de Bavelle pour être introduit auprès de Monsieur d'Artagnan.

Le loufiat borgnota ce jeune trouduc taillé dans un Kinder Bueno avec un regard défiant les lois de l'attraction terrestre. Il trouvait à ce Monsieur de Médebigne une similitude avec son maître lorsque celui-ci avait débarqué à Paris dans sa tenue de gugusse emplumé, avant de se tirer la bourre avec Rochefort et de s'aboucher avec trois mousquetaires. Du coup, il adopta des manières plus diplomatiques, se dilatant aussitôt de la tirelire, renvoyant à Pétaouchnock les vocables qui taillent dans le vif.

— Vous avez de la chance, mon maître est de passage à Paris, une sorte de perme, avant de rebarrer pour le front.

Puis, sur un ton presque aimable :

— Moi, c'est Planchet, jeune blanc-bec. Je suis au service du seigneur d'Artagnan depuis un sacré bail. Si votre ramage ressemble à votre plumage, on va essayer de vous obliger !

Soulagé par l'accueil chaleureux du vieux domestique, Lucien entra dans la turne et s'installa dans un grand fauteuil, entrevoyant désormais l'avenir avec une confiance 100 % stainless. Il patienta un long moment, pensant confusément à sa tante, à Céleste et à ce foireux de Francis de La Bagouse qui, non content de lui avoir casé son prière d'insérer dans la bibliographie, lui avait peut-être en plus empalmé ses éconocroques. Dorénavant, ce dont il se méfierait en priorité dans ce bled de tous les dangers, c'était du furtif, de l'amical, du philanthropique, du consensuel qui s'entend avec tout le monde et qui, au dernier moment, vous la met profond dans le creux de l'arbre. Il en était là de ses gamberges quand la lourde s'ouvrit et qu'un vieux chêne au costard cintré pénétra d'un pas rapide dans le salon. Il était de taille moyenne, le front haut, le douillon poivre et sel, la moustagache et la barbiche ancien régime, les joues saillantes, signe d'astuce, le nez crochu et finement dessiné, signe d'intelligence et de témérité. Il s'arrêta à quelques pas de Lucien, l'examina des pieds à la tête, puis lui tendit les bras.

— Viens par là, mon enfant ! On va évoquer !

Pendant une bonne plombe, les deux hommes causèrent avec animation. Lucien était fasciné par le regard incroyablement juvénile de d'Artagnan : deux braises ardentes au fond d'un visage certes émacié, mais d'une énergie hors du commun. En le regardant, on se disait qu'un type pareil était invulnérable. Il dégageait une telle vivacité et une telle tonicité que même s'il accusait cinquante-huit carats, le vieux bretteur en paraissait dix de moins.

— Et si on se bectait quelques bricoles ?

Lucien accepta avec entrain de partager la frugale tortore de d'Artagnan. Ce fut entre la caille et le claquos qu'il sollicita son aide pour décrocher un brevet dans l'armée royale.

— Attends que je réfléchisse un peu, repartit d'Artagnan en zyeutant le plafond. À priori, ça me semble justo. D'une part, je suis à la riflette chez ces empapaoutés de Bataves, d'autre part, je ne vais pas avoir le temps de m'occuper de toi, parce que repars pour Maastricht dans deux jours. Je ne te cache pas qu'il va falloir se décrotter le béret et souquer ferme.

Puis, la mine sombre :

— En plus, l'heure est grave. L'époque n'est plus à la bravoure. Ce sont les foutriquets qui ont pris le dessus. Ils se répandent en courbettes, à l'image du prince de Léna, un cafouilleux dans les petits papiers du roi qui parle de tout sans rien savoir, prêt à se casser le disque lui-même. Et encore, j'euphémise !

Ce sombre tableau brossé par un vaillant parmi les vaillants fila les flubes à Lucien. Tout se débinait donc en peau de zob dans la France de Louis le Quatorzième ? Inutile de dire que la caille lui resta en travers du green et qu’il commença sérieusement à droper de la toiture.


 

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