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Talion
Le Monte-Cristo d’aujourd’hui

Christian de Montella
Jacques Fansten
Louis Gardel

821 pages
Seuil - 2003 - France
Roman

Intérêt: **

 


Une note en début de volume précise que le plan détaillé du roman a été établi par les trois co-auteurs et que le récit a été écrit par Christian de Montella seul.

Le comte de Monte-Cristo a été l’objet, on le sait, de nombreuses suites et d’innombrables imitations et plagiats – romans inspirés plus ou moins librement et plus ou moins ouvertement par le chef d’œuvre de Dumas. Mais il est une catégorie très particulière d’hommage qui lui a été rendu, et dont on ne retrouve guère d’équivalent ni pour la série des mousquetaires, ni d’ailleurs pour d’autres grands romans: il s’agit de ce qu’il convient sans doute d’appeler des «remakes» au sens cinématographique du terme – c’est à dire la réécriture minutieuse et intégrale de l’histoire d’origine, transposée à une autre époque.

On peut citer cinq exemples de cet exercice de style: La force du destin de Philippe Daudy (1981), The stars’ tennis balls de Stephen Fry (2000), Exact revenge de Tim Green (2005), Professor Montgomery Cristo de Kane X. Faucher (2014) et Talion.

Parfaitement explicite, la démarche des trois co-auteurs de ce denier livre est résumée dans le sous-titre qui figure sur la jaquette: Le Monte-Cristo d’aujourd’hui. Le début du livre met en scène, à Marseille en mai 1968, le jeune David Arcas, apprenti pilote, aussi bon que naïf. Au cours d’un vol au Moyen-Orient, il a pris les commandes de l’avion de ligne de la compagnie charter pour laquelle il travaille, suite à la crise cardiaque du commandant de bord et à la panique du copilote, François Champredin. Il rapporte en France un colis qu’il a récupéré au Liban à la demande de son commandant de bord, et qui n’est autre – mais il ne le sait pas – qu’une bombe destinée à un groupe terroriste français.

De retour à Marseille, il annonce ses fiançailles avec la belle Jasmine, au grand désespoir de Jean-Mi, son soupirant malheureux. Champredin pousse Jean-Mi à dénoncer David comme terroriste: il est arrêté. Le juge Becq s’apprête à le libérer quand il se rend compte que le «contact» à qui David doit livrer la bombe n’est autre que son propre fils, Didier, militant d’extrême gauche. Le juge met donc David au secret, pour donner à son fils le temps de s’échapper. Mais ce dernier fait enlever David de la prison des Baumettes par un commando terroriste pour faire disparaître ce témoin compromettant.

Dès lors, David connaît l’enfer: enfermé dans un placard pendant trois mois, puis dans une cave, puis enfin, des années durant, dans un bagne au fond du désert libyen. Là, il est «adopté» par Kagan, un grand espion soviétique prisonnier lui aussi, qui l’éduque et lui donne les clés de fabuleux fonds secrets déposés par le KGB dans des banques suisses.

A la fin des années 80, David réapparaît sous la forme d’un prince vaguement oriental, Arjuna Khan, richissime et lié à tous les grands de ce monde, du président Bush (père) à Gorbatchev.

Il s’installe à Paris où ses ennemis ont fait leur chemin. Jean-Mi a fait fortune après une carrière militaire en Afrique et est devenu député européen PS. Il est marié à Jasmine et ils ont un fils Thomas, aussi charmant qu’oisif. Champredin est devenu un banquier de premier plan, après avoir, grâce à une adhésion opportuniste au PC, joué un rôle clé – et fort rémunérateur – dans les échanges commerciaux entre Cuba et les pays d’Afrique noire. Quant à Didier Becq, il est un avocat en vue, que Mitterrand envisage de nommer Garde des Sceaux pour remplacer Badinter.

Le prince Arjuna lance alors ses intrigues qui conduisent à l’effondrement de ses ennemis, suivant des péripéties reflétant scrupuleusement celles du Comte de Monte-Cristo.


La transposition du roman de Dumas au monde de la fin du XXème siècle est très réussie et souvent fort amusante. Caderousse, le voisin d’Edmond Dantès, devient un chef des supporters de l’OM aussi alcoolique que borné; les brigands romains sont remplacés par la mafia californienne; le «délit d’initié» qui cause la faillite de la banque Champredin s’appuie sur les contrats d’armement de Saddam Hussein; la fille du baron Danglars devient une créatrice de mode vedette de la jet-set et des magazines people, etc…

Mais on en vient à regretter que la transcription soit si littérale. A contrario, quand les auteurs se permettent quelques libertés, le résultat est intéressant: ainsi du «glissement» effectué avec le personnage de Villefort-Becq. Dans le roman de Dumas, Villefort fait disparaître Dantès pour éviter que son père soit compromis – et lui-même par conséquent. Dans Talion, le juge Becq enferme David Arcas pour quelques jours seulement et veut réellement le faire libérer dès que son fils se sera éloigné. Une faute relativement vénielle: d’ailleurs, vingt ans plus tard, Arjuna et le vieux juge Becq seront en très bons termes. Et c’est au fils de Becq qu’incombe la responsabilité principale du malheur de David – comme si, dans le roman de Dumas, c’était Noirtier de Villefort qui faisait disparaître Edmond Dantès.

Mais il est rarissime que les auteurs s’écartent du texte de Dumas et leurs personnages gardent tout à fait le même profil psychologique. Au point que l’on se demande parfois quel est le but recherché: s’il était de montrer que les thèmes de Monte-Cristo - l’injustice, la vengeance, le fantasme de la toute puissance - sont éternels, eh bien c’est réussi mais, à vrai dire, on s’en doutait déjà. Dans l'interview qu'il a accordée à notre site, Christian de Montella s'explique sur sa démarche: écrire un livre, affirme-t-il, "c'est toujours réécrire (...) c'est un jeu, avec des contraintes"...

Très bien écrit, plein de personnages bien campés, bénéficiant de l’apparition de nombreuses personnalités réelles (procédé toujours efficace et séduisant), Talion se lit avec grand plaisir. Mais l’on peut tout de même préférer une autre forme d’hommage comme celle choisie tout récemment pas Arturo Pérez-Reverte dans La Reine du Sud : la référence au Comte de Monte-Cristo y est beaucoup moins littérale, mais nettement plus créative.


Extrait de la troisième partie La vengeance, chapitre 23


(Jasmine) retrouva Arjuna alors qu'il ouvrait la portière de la Maserati.

- Il faut qu'on parle, lui dit-elle.

Il la dévisagea, impénétrable, et referma la portière.

- Comme vous voulez.

- Tu n'as pas besoin de me vouvoyer.

- Vous croyez?

D’un geste, il l'invita à l'accompagner. Ils marchèrent un moment sur le trottoir de la rue Pierret sans prononcer un mot. Ce fut elle qui brisa leur silence.

- Pourquoi as-tu donné cette pierre à mon fils?

- Je suis trop riche pour faire de somptueux cadeaux. Cela n'aurait aucun sens.

- Pourquoi cette pierre?

Ils firent quelques pas sans qu'Arjuna répondît.

- J'ai connu un jeune homme, dit-il enfin, qui aimait une jeune fille. Simple et banale histoire. Ils allaient se marier. Le jour de leurs fiançailles, elle lui a donné ce caillou, comme elle lui aurait confié toute sa vie avant lui, ses parents et leur mort, le souvenir et le regret de son pays natal, son enfance - comme elle s'apprêtait à lui donner son corps et ce qu'il prenait pour de l'amour.

- Elle l'aimait, murmura Jasmine, avec force.

Sa voix était rauque. Elle frissonna. Elle croisa les bras sur sa poitrine, les mains accrochées à ses épaules.

- Elle le croyait, peut-être, dit Arjuna. Comme il a cru, plus tard, qu’elle l'attendrait.

- Tu n'as... David n'a jamais donné de ses nouvelles.

- Il était en prison.

- Il s'était évadé.

- On l'avait enlevé. Pour d'autres prisons, bien pires.

- Elle ne le savait pas.

- Du fond de ses prisons, il ne savait pas non plus ce qu'elle devenait. Il lui a fait confiance. Tout simplement. Il n'a jamais imaginé qu’elle pourrait ne pas l'attendre.

Jasmine s’arrêta net, enfouit un instant son visage dans ses bras croisés. Arjuna lui demanda si elle avait froid; elle secoua la tête avec agacement («Non.») et, comme ils avaient atteint l’extrémité de la rue, il tourna les talons et repartit vers l'entrée du passage Saint-Ferdinand. Après une hésitation, Jasmine lui emboîta le pas.

- Et est-ce qu'il pourrait imaginer qu'elle s'est sentie trahie?

- Trahie? Pourquoi?

- David avait été arrêté. Il s'était - ou elle croyait qu'il s'était évadé. Elle a espéré pendant des semaines, pendant des mois, qu’il lui ferait signe. Qu'il viendrait la chercher. Qu'il s’arrangerait au moins pour qu'elle sache comment le rejoindre. Et rien. Pas un signe. Pas un mot.

Les mains croisées derrière les reins, Arjuna la fixa de ses yeux pâles, puis, détournant la tête, reprit sa marche. Elle le suivit, un pas en retrait.

- Elle s'est mariée, dit-il de sa voix la plus atone, un an après leurs fiançailles et peu après elle était enceinte.

- Elle avait dix-huit ans. Un an, à cet âge-là, c'est toute une vie.

- Il en avait vingt-deux. Vingt ans plus tard, il n'a toujours pas eu de vie.

- Pourquoi? s'écria-t-elle. Est-ce que c'est ma faute?

Ils étaient revenus à l'entrée du passage Saint-Ferdinand. Sous la lumière des réverbères, le visage d'Arjuna semblait encore plus pâle, plus spectral. Qu'y a-t-il de commun, pensa-t-elle, entre ce fantôme et le David de mon adolescence? Comment, au premier regard, avait-elle pu le reconnaître ? Même la couleur de ses yeux semblait avoir changé - ils reflétaient la lumière, comme ceux d'un rapace nocturne, on n'y devinait aucune lueur propre, aucune sensation, aucun sentiment. Il lui fit peur.

- Non, reprit-elle, moi je ne t'ai rien fait. Je me suis contentée de vivre. Ça aussi, c'est difficile, tu sais? Non, tu ne le sais pas. Il n'y a qu'à te regarder: tu ne vis pas, tu joues ton rôle. Tu es devenu très riche, paraît-il - tu t'es arrangé pour que tout le monde le sache. Ça ne t'est pas tombé du ciel, je suppose? Il a fallu que tu la gagnes, cette fortune qui fascine et qui effraie les imbéciles? Pendant ces années-là, pourquoi tu n'es pas venu me voir, me parler, me retrouver? Qu'est-ce que tu as cru? Que moi aussi tu me fascinerais et que tu m'effraierais? Regarde-toi, mon pauvre David. Qu'est-ce que tu es devenu? Je vais te le dire: une caricature de mon propre mari. Le rêve le plus fou, le plus misérable et le plus bête de Jean-Mi et de ses semblables: un type assez riche et puissant pour se moquer des autres et de leurs sentiments. Pour les broyer, si nécessaire. Un type qui n'a qu'à claquer des doigts pour que le monde lui obéisse. Eh bien, vas-y! Claque des doigts. Qu’est-ce que tu attends?


 

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