Post-scriptum
(en guise de préambule)

(extrait de Le cerf et sa vénerie)

 

Si je n'étais pas mort, ce livre n'aurait jamais vu le jour. D'une part, parce que les deux parties qui le composent n'étaient pas destinées à coexister ; de l'autre, parce qu'elles auraient été différentes de ce qu'elles sont...

Par la force des choses, la première partie, " La Marche de la vénerie ", est la reprise pure et simple d'une série d'articles publiée en 1983 dans la Revue nationale de la chasse. Mais des recherches et des réflexions ultérieures à ce sujet m'ont permis de découvrir bien des faits complémentaires et de me forger quelques idées neuves : de quoi rendre plus complète et plus forte une démonstration dont je n'ai certes rien à retirer, mais dont je perçois clairement les lacunes. Résumées en peu de mots, voici les principales :
1° Qui pouvait ressembler le plus à saint Louis rendant la justice sous un chêne ? Nul autre que... saint Louis écoutant le rapport et décidant du cerf de chasse sous les mêmes frondaisons de Vincennes. Dans l'esprit des rois et autres grands seigneurs moyenâgeux, le courre du cerf était non seulement le meilleur entraînement à la guerre, comme on l'a souligné à mainte reprise, mais aussi une image de leur principale fonction en temps de paix. Moyennant quoi, la moindre faute - de "jugement", à l'attaque ou dans le change - pouvait s'apparenter à une erreur judiciaire... et saper d'autant leur prestige et leur autorité ! D'où cette obsession de se préserver d'un tel écueil, qui leur fit inventer une vénerie à nulle autre pareille.
2° Je n'ai pas assez mis en valeur un fait d'une importance capitale : l'évolution de cette vénerie est toujours allée dans le sens d'une " anglicisation ", et ce, pourtant, sous l'impulsion des Valois puis des Bourbons ! Ces initiatives ne pouvant paraître ainsi que plus traîtresses encore aux yeux des veneurs épris de tradition.
3° Je ne me suis procuré qu'après la publication de mes articles La Vénerie royale de Salnove. Cette lecture m'a convaincu qu'il fallait consacrer un nouveau chapitre à cet auteur : d'abord pour pallier les très importantes lacunes relatives au XVIIème siècle, ensuite pour rendre sa place à ce grand maître injustement négligé de nos jours, dont l'apport fut pourtant considérable. Personne avant lui n'a si bien parlé des mœurs du cerf et de leur évolution au cours de son existence.
4° Au sujet du marquis de Dampierre, j'ai bien montré l'ineptie de ses " fanfares pour faire connaître aux Veneurs le Cerf que l'on court ", mais sans aller suffisamment au fond des choses. En fait, il n'a composé que ce que j'appellerai des " fanfares de circonstances de la vie du Roi ", et seul ce dernier, c'est-à-dire Louis XV, put avoir la lubie d'imaginer et le pouvoir d'imposer ce détournement de sens proprement... insensé, qui allait semer la pagaille dans la vénerie du cerf. En attribuant par exemple La Royale au dix-cors et La Discrète à la seconde tête, vit-il un moyen de se magnifier (lui-même et une partie de sa famille, puisque la reine et le dauphin sont également concernés), analogue à celui qui avait si bien réussi à son arrière-grand-père quand il s'était identifié au soleil ? C'est probable... Toujours est-il que parmi les preuves de ce tour de passe-passe, voici au moins la plus évidente : s'il fut vraiment question d'annoncer la tête du cerf de chasse, toutes ces fanfares dateraient de la même année que la plus ancienne, c'est-à-dire de 1723. Alors que la soi-disant Troisième Tête n'est que de 1729 !
Venons-en à la deuxième partie de ce livre, intitulée par jeu " Requêtes, rappels et bien-aller " : assez hétéroclite et déséquilibrée, je l'avoue (mais ce livre assume sa raison d'être - rassembler des éléments éparpillés et disparates qui se sont superposés au cours de toute sa vie...), elle regroupe quelques-uns des nombreux textes sur le cerf que j'ai publiés ici ou là et qui m'ont paru à peu près dignes d'être sauvés de l'oubli. Contrairement à ceux de la première partie, tous ont d'ailleurs été revus et corrigés en temps utile. Seulement, la plupart le furent dans la perspective d'un ouvrage que je comptais intituler "Les Chasses silencieuses à travers les âges" et dans lequel devaient figurer aussi le chevreuil et le sanglier, le mouflon et le chamois. Quant aux autres éléments, j'aurais aimé les compléter par des thèmes plus en rapport avec le passé, le présent et l'avenir de la vénerie du cerf : le langage (combien de mots, qui remontent aux sources mêmes du français et que nous croyons donc immuables, ont en réalité changé de sens !), les modifications de comportement du cerf suivant son âge et son rang hiérarchique (à la fois dans sa vie de tous les jours et devant les chiens), le rapport des sexes (forcément proche de l'équilibre dans une population stabilisée, et cela même lorsque des comptages paraissent établir le contraire), le faux problème de la " cruauté " (que l'analyse de plusieurs données objectives, telles que les variations du sentiment de l'animal poursuivi, permet de ramener à ses justes proportions... assurément très faibles), la légende de saint Hubert (dont certains se mêlent aujourd'hui de tirer argument contre le principe même de la chasse, alors qu'elle n'en dénonce que les abus)... Autant de thèmes sur lesquels je n'aurai laissé derrière moi que des matériaux de travail tout à fait inexploitables, me semble-t-il, mais au sujet desquels j'avais réussi à me faire des idées sinon définitives, du moins à peu près claires... La vie ne m'aura pas laissé le temps de les exprimer - peut-être aurais-je dû chasser moins pour écrire plus ?

Inachevée dans la forme et très incomplète sur le fond, cette manière de testament n'est donc qu'un ersatz des deux livres que je comptais consacrer l'un à la chasse "à courre, à cor et à cri", l'autre à la chasse "silencieuse", deux modes et même deux mondes si différents que leurs adeptes respectifs n'ont que trop tendance à s'ignorer, voire à se mépriser ou à se combattre, alors qu'en réalité, la nature et l'ampleur de ces différences les rendent étroitement complémentaires ! Pour l'homme - j'ai moi-même toujours trouvé de " l'autre " côté mille et une raisons d'améliorer les connaissances et d'intensifier les plaisirs de ma propre pratique -, pour l'animal surtout - comme d'Yauville l'avait déjà compris, le cerf se trouverait beaucoup mieux d'être chassé conjointement de ces deux façons, à l'exclusion bien sûr des battues et autres chasses à tir plus ou moins aux chiens courants...
Or, pour nous tous qui l'aimons au-delà de tout, n'est-ce pas au cerf et à lui seul que doit revenir le dernier mot ?

F. du Boisrouvray
Décédé le 27 juillet 1996

(photographies: Boisrouvray)

Lire "A la voie", extrait de Le cerf et sa vénerie

Le cerf et sa vénerie à travers les âges, 268 pages
Editions du Gerfaut

retour à la page d'accueil