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On se rend à Conques d'abord pour y voir la Majesté
de Sainte Foy; c'est à dire une statue-reliquaire qu'on
date approximativement du Xème siècle, non sans
y reconnaître des emprunts antiques et des apports ultérieurs;
une statue en bois recouverte de feuilles d'or constellées
de pierreries, d'intailles et d'émaux; une statue qu'on
qualifie d'"étrange", de "fascinante",
de "mystérieuse"; à propos de laquelle
on prononce le mot d'"idole".Non loin d'elle se trouve
une autre image de Sainte Foy: une statuette en argent du XVème
siècle, produite par les ateliers de Villefranche de Rouergue
- quand l'origine de la Majesté reste inconnue. Ici, la
Sainte ne trône plus sur un siège en or mais se
présente debout, portant les instruments de son martyre:
gril, épée, ainsi qu'une haute palme. Le prétexte
est donc devenu dramatique: il s'agit non plus de ciel mais de
supplice. Or, voici qu'on parle d'une oeuvre "délicieuse",
"charmante", "exquise". Le phénomène
est multiple. En Auvergne, une comparaison du même ordre
peut être faite, aux alentours de Riom, entre la Vierge
de Marsat (XIIème siècle) et la Vierge à
l'Oiseau de N.D. du Marthuret (XIVème siècle). |
La Majesté d'or de Sainte Foy |
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On pourrait descendre du Massif Central, étendre l'observation
à l'ensemble des régions dont l'histoire comprend
le Moyen Age, dont l'art fut roman puis gothique. Mieux vaut
noter tout de suite la permanence du langage employé à
leur endroit: cette opposition "barbare"-"humain",
ou encore "idôlatrie"-"foi". En d'autres
termes, un signe parmi tant d'autres de l'antagonisme "païen"-"chrétien".
Ceci est curieux. N'oublions pas en effet qu'il s'agit d'images
de la Vierge ou de Saintes. Qu'on se réfère aux
historiens (Et pourquoi pas? Leurs sources sont fatalement mieux
assurées que les nôtres), l'artiste du XVème
comme celui du Xème mettait son ciseau moins au service
de la sculpture qu'à celui de la foi; l'un comme l'autre
croyait en ce qu'il représentait davantage qu'en ce qu'il
inventait; ou plutôt, ils pensaient tous les deux ne rien
inventer mais seulement représenter, reproduire.Or, il
est clair que si on applique aujourd'hui le qualificatif d'"humain"
aux oeuvres du sculpteur gothique,c'est tout simplement qu'il
était en train d'inventer l'humanisme. |
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Vierge à l'oiseau de Notre-Dame du Marthuret |
Revenons à la statuette de Conques: si "délicieuse"
en effet, si "charmante"; les vêtements si harmonieusement
plissés; les cheveux si librement dénoués;
le visage si modestement penché qu'on dirait une vierge
sage - mais offerte; réservée - mais consentante;
séduisante - parce que déjà séduite.
On doit pour en rendre compte faire sonner cette "fanfare
atroce" (Rimbaud): le langage du Bien et du Beau. Et qu'on
la regarde avec détachement, on ne peut manquer de voir
pointer sous la robe deux seins fermes et ronds, ni sous le manteau,
du côté de la main qui tient une palme, la hanche
pleine. Main et hanche gauches: cette même main qui, chez
les Vierges de l'époque, retient l'Enfant assis sur l'avant-bras;
et cette même hanche qui par conséquent se cambre
et fait saillie, dessinant avec la jambe la courbe exacte qui
sera l'invention d'un autre siècle: le pied de meuble Louis
XV.
En fait, il ne reste plus aux Vierges gothiques qu'à perdre,
avec tout vêtement, leur virginité, pour qu'elles
deviennent ces déesses, ces muses, ces amoureuses, ces
voluptueuses, ces formidables jouisseuses de la Renaissance: des
femmes.
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