Sommaire  Tous les livres  BD Expositions Musique  Arbres généalogiques Votre pastiche

Recherche


Agnès Maupré : « Je suis tombée amoureuse du personnage de Milady »

 

 

Auteure de Milady de Winter, la scénariste et dessinatrice Agnès Maupré donne à pastichesdumas sa vision du personnage de la « méchante » archétypique des Trois mousquetaires : une femme qui a choisi de « devenir dure face à la dureté du monde ».
(interview recueillie le 7 mai 2021)

D’où vient votre intérêt pour Dumas ? Est-ce un auteur que vous lisiez dans votre jeunesse ?

Je ne l’ai pas lu petite, je l’ai plutôt découvert vers la vingtaine. Mais je suis tombée dedans tout de suite et j’en ai lu pas mal. J’ai commencé avec Le comte de Monte-Cristo, peut-être parce que je suis marseillaise et que ça se passait en grande partie chez moi. Et d’ailleurs j’ai un fils qui s’appelle Edmond !

Qu’est-ce qui vous a amené à faire Milady de Winter ? Vous vouliez faire une version de Trois mousquetaires en BD et vous cherchiez un angle original, ou bien est-ce le personnage de Milady qui vous a directement accrochée ?

En fait, je n’avais pas envie de lire Les trois mousquetaires. J’étais tombée à fond dans Dumas et j’en ai lu beaucoup, donc, mais j’étais réticente à lire les Mousquetaires à cause des adaptations que j’avais pu voir, qui me donnaient l’impression que c’était un univers très manichéen, de garçons, de soldats qui se tapent sur l’épaule et ne font que guerroyer. Mais finalement je me suis quand même forcée à le lire et je me suis rendue compte, évidemment, que c’était un univers beaucoup plus complexe, beaucoup plus nuancé que ça. Surtout, je suis tombée amoureuse du personnage de Milady et je me suis demandée pourquoi dans la plupart des adaptations l’image qui était gardée d’elle était celle d’une méchante, très monolithique, belle mais implacable… Alors que c’est un personnage qui a un passé, des raisons, qui est assez complexe et ramifié. D’où cette envie de lui rendre justice. Et puis c’était très agréable de plonger dans l’univers de Dumas. En plus, centrer le récit sur Milady permettait de garder la trame narrative construite par Dumas, qui est impeccable, haletante et dynamique, et de remplir les blancs en essayant d’imaginer ce que ce personnage-là avait vécu qui n’était pas décrit dans le roman.

Dès le début, en parlant d’Athos, elle parle des hommes qui sont « sans tendresse et sans concession ». C’est un résumé de l’attitude des hommes envers les femmes à cette époque, ou plus généralement ?

Je ne dirais pas « des hommes envers les femmes », mais plutôt « de la société envers les femmes ». On ne peut pas dire que tous les hommes se sont toujours comportés comme des salopards envers les femmes, ça manquerait un peu de nuances ! Mais oui, on vit depuis fort longtemps dans une société qui est malgré tout patriarcale. La position de femme forte n’a pas été confortable, c’est un peu ça que décrit Milady.

Il y a un moment où elle dit expressément qu’elle choisit de devenir espionne plutôt que de demeurer veuve ou mère toute sa vie. Ca ressemble presque à un choix de carrière…

Oui, je pense que ça l’est ! En fait, elle est malmenée depuis le début puisqu’elle était dans un couvent, il y a ce prêtre qui tombe amoureux d’elle et elle se fait marquer au fer rouge pour cela comme si c’était elle qui l’avait séduit alors que c’était une petite fille de treize ans.

Dans le roman, on a l’impression qu’elle s’emploie très activement à le séduire, non ?

Oui, on a cette impression mais c’est un biais sociétal. De nos jours, il est considéré qu’une fille de treize ans ne peut être vue comme une séductrice. Et qu’un homme adulte est censé résister même si la fillette a une attitude provocante. Je ne suis pas sûre que Dumas lui impute clairement une responsabilité. Il dit que la société a retenu cela et qu’elle a été punie pour cette raison mais il ne s’étend pas tant que ça sur ce qu’il s’est passé dans sa jeunesse.

Vous avez cette phrase souvent citée : « dans un monde de chiens, il faut devenir un loup ». Cela montre que Milady n’a pas réellement le choix si elle veut survivre ? 

Oui, face à la dureté du monde, il faut décider si l’on continue à se laisser malmener ou bien si l’on devient dur. Dans les deux cas, on perd beaucoup mais oui, c’est un choix.

Parmi les thèmes intéressants, il y a ce refus de la maternité qu’elle manifeste pendant un long moment dans votre livre : elle a cet enfant que visiblement elle ne voulait pas, dont elle refuse de s’occuper… Et puis il y a un moment de bascule, son attitude change complètement. Qu’est-ce que cela montre ? Que même Milady ne peut pas échapper aux lois de la maternité ?

Non, ça n’est pas vraiment cela. J’ai écrit ce livre à un moment où je me posais beaucoup de questions sur la maternité et sur mon envie à moi d’être mère, mais on retrouve cette histoire de choisir d’être dur ou de se laisser malmener. Est-ce qu’on peut être dur et implacable, et garder une part de tendresse dans sa vie, ou bien si l’on décide d’être dur, est-ce qu’on le devient à tous les niveaux ? Je pense que Milady telle que je l’ai décrite a trop peur si elle s’ouvre à quelqu’un que cela lui retombe encore sur la figure. Dans ce que j’ai imaginé, elle était quand même amoureuse de lord de Winter qu’elle tue quand il la voit marquée. Du coup, elle n’a pas envie de s’ouvrir à quelqu’un d’autre. Et évidemment, avec un enfant c’est encore plus compliqué que dans les autres relations que l’on peut avoir. Déjà, il est là tout le temps ! Alors, décider de l’ignorer et de ne ressentir que de l’indifférence à son égard, c’est quand même une position extrême !

Il y a un aspect assez curieux dans les relations de Milady avec son fils : quand il commence à parler, il ne l’appelle que « Mi-la-dy », jamais « maman ». Jusqu’à ce qu’elle meure : là, il hurle « maman ! ». D’où vient cette idée que l’enfant n’appelle pas sa mère « maman » ?

Ce qui est drôle, c’est que mon fils m’appelle « Agnès » les trois-quarts du temps !

Décidément, il y a beaucoup de Milady en vous !

Oui, finalement (rire). Je crois que Milady c’est un peu le type de force que j’aimerais avoir mais dont je sais très bien qu’il n’est pas dans mon caractère et dans ma personnalité.

J’espère qu’il y a moins de cadavres autour de vous qu’autour de Milady !

Oui, beaucoup, beaucoup moins ! Et le fait que mon fils m’appelle par mon prénom et pas « maman » tient plus à sa personnalité qu’à la mienne. Dans le cas de Milady et son fils, pour moi cela voulait dire qu’entre eux il y avait une certaine fausse distance qui avait été instillée dans leurs rapports mais qu’au final ils sont évidemment très proches. Ca ressort à la fin dans le cri d’angoisse du gamin. En fait, c’est la seule personne à qui elle peut dire vraiment ce qu’elle pense, et c’est la seule personne qui l’écoute. En partie parce qu’il n’a pas trop le choix : quand on est enfant, on est toujours un peu obligé d’écouter ses parents. Et ils peuvent décider de ce qu’ils nous racontent, de quelles parts de vérités et de mensonges ils nous servent.

N’avez-vous pas envisagé de consacrer une suite de votre livre à la vie de Mordaunt, ce fils de Milady que l’on retrouve dans Vingt ans après ?

Si, ça m’a effleuré un moment mais je ne suis pas sûr que ce serait une bonne idée. On sait d’ailleurs très peu de choses sur ce qui lui est arrivé avant son apparition dans Vingt ans après. Bon, en tout cas pas tout de suite : là, je suis plongée dans la mythologie grecque.

Toujours au chapitre des relations entre Milady et son fils, qui constituent un des thèmes forts de votre livre, elle lui dit à un moment : « tu seras malheureux, tu seras seul, tu peux seulement choisir si tu seras fort ou faible ». On est toujours dans une vision de la vie très, très noire…

Pas forcément, la question c’est de savoir si l’on sera seul et malheureux tout le temps. Mais on le sera forcément à certains moments.

Il est assez frappant de constater que le thème du choix revient constamment : il faut choisir d’être fort ou faible, d’être espionne ou d’être mère, d’avoir un enfant ou de ne pas en avoir… La question est posée sans cesse dans votre livre.

Oui, et je crois que c’est justement à cause de ce statut de femme de Milady. Elle a commencé sa vie en choisissant assez peu : elle n’a sûrement pas choisi d’être dans un couvent, elle est partie avec un homme, mais c’était simplement une échappatoire, etc. Du coup, quand elle rencontre le cardinal et qu’elle devient espionne, c’est une possibilité de vivre à un autre niveau. Et de faire un vrai choix pour la première fois, d’échapper à une logique d’événements imposés.

Les choix que fait Milady sont généralement négatifs : elle ne choisit pas la facilité ou le bonheur ou la tranquillité…

Elle ne croit pas tellement au bonheur : du coup, c’est compliqué de le choisir. Je pense qu’elle considère que le bonheur c’est pour les faibles d’esprit.

Il y a une autre relation très surprenante, et qui n’est pas du tout dans le roman de Dumas, c’est celle avec Constance Bonacieux. Elle la fait prisonnière et une fois qu’elle la tient en son pouvoir, ligotée, elle lui dit qu’elle est la première amie qu’elle ait jamais eue… C’est une conception assez surprenante de l’amitié, non ?

Je crois que l’amitié, c’est quelque chose qui vous sauve beaucoup dans la vie. Les mousquetaires forment un bloc d’amis alors que Milady est seule. Elle a le soutien du cardinal, mais c’est son patron. Je pense qu’ils ont une estime mutuelle mais ce n’est pas un ami. Ca m’a plu d’imaginer cette amitié là, qui est un peu un syndrome de Stockholm de la part de Constance. Celle-ci est quelqu’un d’extrêmement bienveillant, et je pense que Milady trouve en elle un peu la même chose qu’avec son enfant, un regard innocent.

Vous considérez donc que les deux femmes sont réellement amies ? Je pensais en lisant le livre que c’était une « amitié » complètement fantasmatique de la part de Milady, que Constance ne partageait certainement pas !

Si, dans mon imaginaire à moi, elles sont amies. Mais elles le sont parce que Constance est un peu la reine des pommes ! C’est un être pur. Elle veut aider la reine qui à mon avis se fiche totalement d’elle, elle est prête à croire à son amour avec d’Artagnan alors que d’Artagnan l’oublie la moitié du temps. Pour lui, c’est un peu « une de perdue, dix de retrouvées ! » Finalement, à mon avis, Milady et Constance trouvent un peu la même chose l’une dans l’autre. Constance est l’une des rares personnes à écouter Milady – il faut dire qu’elle n’a pas le choix puisqu’elle est attachée – et je crois que l’écoute peut se faire en sens inverse : Milady doit aussi écouter Constance. Parce que Constance non plus n’a pas d’amis. 

Elles sont peut-être les meilleures amies du monde, n’empêche que Milady assassine Constance sans hésitation et sans regret !

Tel que je l’ai vu, c’est l’effet des habitudes de dureté qu’elle a prises et dont elle n’est pas capable de se défaire. C’est cela qui fait d’elle un monstre à l’arrivée. Assassiner Constance, c’est la chose injustifiable dans tout ce que fait Milady. Pour le reste, elle ne fait que se défendre et se comporter comme un soldat, des choses qu’on ne reproche pas aux mousquetaires. Mais effectivement elle aurait pu se passer de tuer Constance. D’autant que la seule raison c’est de se venger de d’Artagnan alors que ce dernier ne lui est pas aussi attaché qu’il le prétend.

Pendant une grande partie de votre livre, l’histoire comporte pas mal de différences avec le roman de Dumas. Mais quand on se rapproche de la fin, à partir du moment où Milady est emprisonnée par lord de Winter et Felton, on retrouve complètement le récit de Dumas. Pourquoi être ainsi rentrée dans les rails des Trois mousquetaires ?

Je n’y ai pas réfléchi comme ça mais oui, je n’ai pas voulu trop tricher avec les jalons de l’histoire. Je ne voulais pas la blanchir, enlever l’assassinat de Constance… D’ailleurs, le moment où elle s’échappe de sa prison en Angleterre c’est peut-être ce qui a été le plus difficile à faire pour moi. Je ne voyais pas comment mettre un peu d’humain dans la séduction de Felton, Evidemment, elle était prisonnière de son beau-frère, vouloir s’échapper pour ne pas mourir c’est une circonstance atténuante. Mais elle fait aussi de Felton un assassin, ça fait beaucoup !

Dans tout cela, on ne parle quasiment pas de d’Artagnan alors que d’habitude tout est centré sur lui. Mais vous le faites évoluer de façon intéressante. Au début, c’est une espèce de grand adolescent totalement égoïste, qui trompe toutes les femmes les unes après les autres. Et à la fin de votre livre, on a l’impression qu’il « grandit » en quelque sorte, il devient sombre, malheureux, angoissé. C’est une bascule plutôt violente, non ?

Oui, mais on voit cela aussi chez Dumas. J’avais beaucoup ri en lisant Vingt ans après. Parce que à la fin des Trois mousquetaires, d’Artagnan a une promotion, il est auréolé de gloire, et quand on ouvre Vingt ans après, on le retrouve exactement là où on l’avait laissé, c’est un gros loser ! Dumas s’est un peu vengé de d’Artagnan ! Et quand il tue Mordaunt, il a pas mal de remords de ce qu’il a fait à la mère et au fils. Il se fait rattraper par ses actes : c’est sans doute compliqué de garder l’innocence d’un enfant quand on est soldat.

Vous devriez envisager de faire quelque chose avec Vingt ans après, vous avez manifestement des idées sur la question…

J’ai beaucoup aimé la totalité de la saga. J’aime beaucoup l’histoire de Dumas en pleurs parce qu’il venait de tuer Porthos. J’aime cette idée que les personnages existent pour ceux qui les racontent, à un niveau différent des gens de la vraie vie. C’est aussi pour ça que je fais ce boulot là : ça floute les limites entre le passé, le présent et les mondes imaginaires, ça fait un univers peuplé de fantômes…

Avez-vous pleuré quand vous avez tué Milady ?

Il est probable que j’ai versé ma larme dans la page finale où le fils appelle sa mère. C’est une image que j’avais prévue dès le début dans mes carnets de recherches préparatoires. J’étais sûre que je voulais finir le bouquin comme ça. Dans ces carnets, j’avais crayonné toutes sortes de scènes que j’avais vraiment envie de mettre, sans fil directeur particulier, et ensuite j’ai ordonné.

Vous avez fait plusieurs adaptations littéraires, et tout récemment Au Bonheur des dames. C’est votre spécialité ?

J’aime bien re-raconter des histoires que j’ai adorées, j’y prends beaucoup de plaisir. Et ça peut être fait de façons très variées. Dans le cas de Milady de Winter, c’était une adaptation par le biais d’un personnage. Pour le Tristan et Yseult que j’ai fait avec mon confrère Singeon ce n’est pas une adaptation d’un livre mais plutôt la transmission d’un mythe. Et pour Zola, ses romans sont très construits, c’est donc facile à adapter. Mais son point fort ce sont les descriptions. Or, elles disparaissent quand on fait une BD. Du coup, je n’ai gardé presque aucun mot de Zola, puisque ce n’est vraiment pas un dialoguiste, il faut tout transposer. C’est un problème quasiment mathématique !

Avez-vous d’autres projets d’adaptations littéraires ?

Pas pour l’instant. Je suis actuellement dans la mythologie grecque. Ca peut se rapprocher de l’adaptation parce que je m’appuie sur des mythes qui existent mais je fais cela par le biais de deux personnages qui sont fictionnels. Ce sera un gros livre, de presque deux cents pages et qui présentera la particularité d’être un livre musical ! Dans le cadre d’un projet de la ville du Havre, où j’habite, je suis partie en résidence en Grèce et j’y ai écrit ce scénario de bande dessinée et les chansons qui vont avec. Il y a une dizaine de chapitres et une chanson par chapitre. Le groupe musical dont je fais partie est en train de sortir le disque, qui est prêt avant la BD. Et il y a un spectacle qui va avec, un concert dessiné. Moi je chante et pendant ce temps là Singeon dessine.

Propos recueillis par Patrick de Jacquelot

 

 Sommaire  Tous les livres  BD Expositions Musique  Arbres généalogiques Votre pastiche

Recherche