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Louis-Bernard Robitaille : « Dumas fut mon entrée dans la lecture »

 

Le journaliste canadien Louis-Bernard Robitaille est arrivé en France en 1972 en tant que correspondant du quotidien québécois La Presse et n’en est jamais reparti. Installé depuis cinquante ans à Paris, il est l’auteur de nombreux livres, essais sur la société française (Ces impossibles Français, Les Parisiens sont pires que vous ne le croyez) et romans. Dans Le Double, roman directement inspiré du thème de l'homme au masque de fer de Dumas, il livre une satire féroce des milieux politiques français, tout en dénonçant le danger que présente le président russe Poutine.
(interview recueillie le 31 mars 2022, quelques semaines avant les élections présidentielles françaises et en pleine invasion de l’Ukraine par la Russie)

 

D’où l’idée extravagante de recycler le thème de l’homme au masque de fer dans la vie politique française contemporaine vous est-elle venue ?

Je crois que cela tient à l’époque particulière où nous étions, celle de la crise sanitaire du Covid. Je voulais écrire quelque chose d’amusant, et qui m’amuse moi-même. Dans Les trois mousquetaires, c’est Aramis que je préférais et j’avais toujours trouvé formidable l’idée de l’homme au masque de fer. Je me suis donc dit : je vais faire l’homme au masque de fer aujourd’hui. C’est comme cela que ça a commencé. Les Russes étant partout, comme on le voit aujourd’hui, je me suis dit : le KGB, ou plutôt le FSB, a trouvé par hasard un frère jumeau du président de la République et a décidé de s’en servir pour prendre le contrôle de la France. Il faut dire que j’ai un peu une obsession russe : j’ai écrit d’autres romans avec des histoires de fin du monde et de dictature avec des Russes qui arrivent… Les Russes hantent notre imaginaire…

J’ai commencé sans savoir comment ça se déroulerait. C’est bien plus amusant, quand on écrit un roman, de ne pas trop savoir où l’on va. Je ne savais même pas jusqu’où les services secrets russes iraient. Ils auraient pu trouver un jumeau identique du président et faire juste deux ou trois coups d’éclat sur la place publique. Finalement, j’ai poussé l’affaire beaucoup plus loin !

La trame du récit n’est pas très vraisemblable…

Oui, j’admets que le degré de plausibilité n’est pas très élevé… L’idée de deux frères jumeaux identiques à 53 ans est évidemment un peu extravagante. Certes, j’ai vu un documentaire sur des jumeaux qui à 35 ans étaient tellement identiques qu’ils ont pu tromper leurs épouses respectives. Mais bon, c’est un peu tiré par les cheveux pour deux hommes qui n’ont pas vécu ensemble, l’un étant adopté par une famille de la bonne bourgeoisie de Tours - ce qui est quand même tout un programme - et l’autre par des gitans d’origine espagnole !

La sortie de votre roman quelques mois avant l’élection présidentielle française d’avril 2022 et l’invasion russe de l’Ukraine fin février se révèle en pleine actualité… Quand l’avez-vous écrit ?

Je l’ai terminé début 2021. Je voulais absolument que le livre soit publié avant les élections d’avril 2022, au cas où Macron disparaîtrait. En revanche, je n’avais pas envisagé que Poutine serait aussi « actif » ! Avec un mode d’action, l’invasion de l’Ukraine, très différent de ce qu’il fait dans mon roman, bien sûr. Mais mon livre est avant tout une satire de la vie politique française.

Que Dumas représente-t-il pour vous ?

J’ai lu Dumas entre treize et seize ans, il a été mon premier auteur. A l’époque, j’ai lu deux ou trois fois la trilogie des mousquetaires, Monte-Cristo, Joseph Balsamo, Le collier de la reine, La guerre des femmes, La reine Margot… Je lisais ça dans l’édition Calmann-Lévy. Ce sont des livres que j’ai achetés à Montréal puis que j’ai apportés à Paris.

Continuez-vous à lire Dumas ?

Il m’est arrivé d’en relire mais pas depuis assez longtemps. Ce que j’ai relu, parce que c’est particulièrement bien écrit, c’est Le comte de Monte-Cristo. Pour moi Dumas reste un « auteur d’origine » : ce fut mon entrée dans la lecture.

Cela est-il arrivé par hasard pour vous, ou bien Dumas était-il très populaire dans les années 1950 au Québec ?

Il était connu mais pas particulièrement populaire. Si je m’y suis intéressé, c’est surtout lié au fait que j’étais assez francophile, j’aimais l’esprit français.

Etre francophile au Québec à l’époque, ça n’allait pas de soi ?

Une partie des gens éduqués était francophile, pas très pro-Américains. Ils n’aimaient pas les Français mais ils aimaient la France. Ils trouvaient les Français insupportables ! Il y avait une petite colonie française au Québec à l’époque – aujourd’hui elle est énorme – mais c’était des gens qui donnaient l’impression d’être passés de l’Afrique au Canada, d’une colonie à l’autre.

Avez-vous étudié Dumas à l’école ?

Ah non, il n’en était pas question ! Quand j’avais quatorze ou quinze ans, j’étais chez les jésuites et chacun devait avoir un confesseur. J’avais choisi le plus inoffensif mais malgré cela, le jour où je lui ai dit que je lisais Alexandre Dumas, il m’a dit  « ça n’est pas possible, c’est un très mauvais auteur, un écrivain dangereux ! ». Il y avait à l’époque un bouquin, l’index des livres déconseillés du père Sagehomme*. C’est un livre très amusant : on y découvrait que le nombre de bouquins déconseillés était illimité !

Votre confesseur vous avait-il expliqué pourquoi les livres de Dumas étaient dangereux ?

Non, il m’avait juste montré qu’ils étaient dans l’enfer du père Sagehomme. Tous les Dumas y étaient marqués D ou M : Dangereux ou Mauvais… Il était vraiment très hostile à ces romans, et en particulier à La guerre des femmes. Il faut dire qu’un roman qui parle de femmes, ça n’est pas bon… Mon confesseur m’a demandé de lui apporter tous mes livres de Dumas pour qu’il les garde. Je ne sais pas s’il voulait les lire… En tout cas, il voulait que la tentation s’éloigne de moi. J’ai laissé traîner jusqu’aux vacances de Pâques et je lui ai dit que j’avais oublié. Alors il m’a dit : « tu devrais aller faire tes Pâques à Moscou avec les communistes ! » Le rapport entre Dumas et les communistes, il fallait le faire !

Mais c’est justement ce que vous faites dans votre roman – enfin, avec les Russes en tout cas !

En effet ! Ca doit être cet épisode qui m’est revenu inconsciemment cinquante ans plus tard !

Propos recueillis par Patrick de Jacquelot

* Répertoire alphabétique de 15.500 auteurs avec 55.000 de leurs ouvrages qualifiés quant à leur valeur morale de Georges Sagehomme

 

 

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