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Les chevaliers du gai
Roman de jaquette et d’épée

Cami

286 pages
1935 - France
Humour - Roman

Intérêt: *

Décidément habitué des hommages dumasiens, l'humoriste Cami, auteur entre autres du Fils des Trois Mousquetaires (une nouvelle et un roman), des Nouveaux exploits du même, ainsi que de Les Trois Mousquetaires et demi, donne avec Les chevaliers du gai une interprétation particulièrement inattendue des aventures des mousquetaires.

Au début du livre, qui se situe en 1934, la comtesse de Rivesalte, qui s'adonne au spiritisme, demande à son médium d'évoquer les célèbres mousquetaires. Ces derniers apparaissent et, à la demande de la comtesse, le médium les matérialise. Mais l'effort est tel qu'il est victime d'une attaque avant d'avoir matérialisé le quatrième, Aramis.

D'Artagnan, Athos et Porthos se retrouvent donc en plein XXème siècle, forcés d'attendre que le médium se rétablisse et redevienne capable de les renvoyer dans l'au-delà.

L'histoire raconte alors leur découverte du monde moderne: adoption de vêtements contemporains (d'où le "roman de jaquette et d'épée"), exploration de Paris, etc...

Malheureusement, le livre ne tient pas toutes les promesses de cette idée. Rarement léger, l'humour de Cami est surtout répétitif. Dès lors, on assiste essentiellement à une succession de scènes où les trois mousquetaires, qui refusent de comprendre l'évolution du monde, sèment la panique en se comportant dans le Paris du XXème siècle comme ils le faisaient trois siècles plus tôt.

On les voit ainsi découvrir la circulation automobile et préférer entrer dans Paris sur des chevaux de labour; se persuader que le conservateur du musée du Louvre est le roi de l'époque; explorer le métro; susciter une émeute sur un plateau de cinéma où le metteur en scène Rubis-Chevrier (transposition du cinéaste Diamant-Berger) tourne Les trois mousquetaires, etc...

Les trois fantômes incarnés sont arrêtés, internés dans un asile, s'évadent, partent en Angleterre à la poursuite de bandits, en un pastiche de l'expédition à Londres des "ferrets de la Reine"...

Au bout du compte, et grâce à un coup de main d'Aramis qui, demeuré esprit, veille sur eux, les trois héros sont désincarnés et regagnent le monde des esprits.

Parsemé de trouvailles astucieuses et de jeux de mots abominables (exemple: les mousquetaires exprimant un certain intérêt pour la doctrine communiste que l'on vient de leur présenter en quelques mots, parce qu'elle leur semble proche de leur devise "Un pour tous, tous pour un", un spectateur s'effraye à l'idée de les voir devenir "les trois moscoutaires"!) le livre, manifestement très vite écrit, est terriblement inégal. Dommage que cette idée des plus originales n'ait pas été mieux exploitée!

Sur le thème de la "réincarnation" des mousquetaires au XXème siècle, voir aussi Enchanted Bookshelf de William McGivern.

Extrait du chapitre 3 Les trois mousquetaires et la Belle Jardinière

Après les politesses d'usage, la comtesse prit mille formes pour faire comprendre au trio qu'à l'époque actuelle, des noms aussi particuliers que les leurs ne pourraient qu'être remarqués et provoquer des incidents.

Tout d'abord, ils ne comprirent pas.

- Par le sang de tous les diables! s'écria d'Artagnan, notre nom figura au siège de La Rochelle, et il suffisait de le prononcer pour qu'une ride d'inquiétude plissât le front de M. le Cardinal.

- Palsambleu! ajouta Porthos, l'ombre de M. de Tréville doit tressaillir de honte dans sa
tombe!

- Bonté divine! termina Athos, Georges Villiers, duc de Buckingham, nous honorait de sa confiance et la Reine-Mère avait foi dans l'honneur de notre nom. Devons-nous prendre cette proposition pour une insulte personnelle ou collective?

La vieille dame eut beaucoup de mal à s'expliquer et à les convaincre de l'incontestable utilité du changement. Après maintes objections, il fut accepté que Porthos serait M. Dupont, surveillant de coupes de bois de Panama dans la forêt congolaise; Athos serait M. Durand, fabricant de guano dans les environs de Tuamotou, et enfin d'Artagnan serait M. Dubois, président du Cercle des Canotiers et joueurs de Ping-Pong de l'île de Nossi-Mitsiou.

Cependant, d'Artagnan, féru de noblesse, voulut que celle-ci transparût dans son nouveau nom plébéien. Il n'accepta de s'appeler Dubois, qu'en deux mots, et encore insista pour que la particule s'ornât d'une majuscule. En effet, Du Bois avait une certaine allure qui faisait assez mousquetaire.

L'après-midi, M. Ernest, chef du rayon de confection pour hommes de la "Belle Jardinière", envoyé spécialement par la Direction avec un assortiment complet pour habiller au moins vingt-cinq personnes des pieds à la tête, se fit annoncer. Puisqu'ils ne pouvaient aller à la "Belle Jardinière", ce fut celle-ci qui vint à eux.

Que l'on veuille bien se représenter un instant le costume seyant des mousquetaires de Louis XIII, la cape jetée avec nonchalance sur l'épaule gauche, le baudrier de cuir fauve, les bottes à revers, le chapeau orné d'une longue plume qui permettait les saluts galants de large envergure, et nos costumes étriqués d'aujourd'hui: vestons ou jaquettes sans couleur, melons ou canotiers qui rapetissent au lieu d'agrandir, tout ce qui fait qu'une foule est uniforme, terne et grise.

Que l'on compare et l'on comprendra l'air atterré, furieux et idiot qu'eurent nos trois héros, quand ils se virent mutuellement affublés des derniers modèles de la confection parisienne.

D'abord, ils ne voulurent rien entendre, et accablèrent d'épithètes et de jurons sonores le malheureux chef de rayon qui se crut en visite dans un asile d'aliénés.

Par pudeur, la comtesse n'avait pas voulu assister à l'essayage, mais dans une pièce à côté, l'oreille collée à la porte, effrayée par le bruit et les imprécations, elle se représentait M. Ernest aux prises avec les trois soldats, attrapant au vol pantalons à double pli, vestons bordés, pull-overs et knickerbockers.

(...)

Quand arriva le coiffeur, ce fut une autre histoire.

Il fallut que les belles boucles, dont ils étaient si fiers, tombassent sous les coups de ciseaux indifférents. L'un pestait, l'autre maugréait, et le dernier invectivait.

D'Artagnan, dans son désarroi, choisit la raie sur le côté, Athos eut les cheveux en brosse, ce qui lui donnait l'air accueillant d'un gardien de prison ou d'un adjudant retraité, et Porthos fut doté d'une raie au milieu du crâne.

Aucun, bien entendu, ne se trouva satisfait de ce changement, et il faut reconnaître que leur aspect était dépourvu de l'élégance et du charme qui les avaient rendus célèbres.
Quand on parla de supprimer la moustache et la barbiche, il y eut rébellion ouverte. Armé d'un rasoir, d'un vaporisateur et d'une pince à sucre qui se trouvait là par hasard, le trio n'admit pas cette dernière atteinte à son prestige physique.

Les cheveux, soit! Ils jonchaient le sol comme les morts d'un combat épique, ils étaient les vaincus malheureux de la mode et du progrès, mais la barbiche, les moustaches, jamais!

En désespoir de cause, la comtesse préféra arrêter là la transformation capillaire de ses hôtes, d'autant plus que le coiffeur avait prudemment rangé son matériel de torture et refusait d'entamer une lutte qu'il estimait inégale.

D'Artagnan, Athos et Porthos, se regardant avec les yeux embués de larmes, les gestes gauches dans leurs costumes sans ampleur, portant sur leur bras l'uniforme splendide qui pendait lamentablement comme une défroque, les épaules courbées sous le poids de cette déchéance physique et vestimentaire, montèrent tristement l'escalier qui conduisait aux chambres d'amis.

Porthos grommela:

- Par l'Enfer de Satan...

La suite de la phrase se perdit, happée par le courant d'air de la cage de l'escalier.

- Pauvres gentilshommes! murmura la comtesse en les voyant s'éloigner, le morne costume moderne n'est pas fait pour ces héros!

- Sauf votre respect, Madame la comtesse, ricana Firmin, ces messieurs ont l'air de marchands de marrons!


 

 

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