Le comte de Montéfiasco ou la répétition générale d’un drame en 30 actes et 100 tableaux
M. Deforges M. Clairville
19 pages 1847 - France Humour - Pièce de thêatre
Intérêt: **
Note: pièce représentée pour la première
fois à Paris au Théâtre de la Porte-Saint-Martin le 3
avril 1847.
Publiée peu après la sortie du roman de Dumas (en 1844)
et son fabuleux succès, cette pièce satirique montre les
efforts d'une troupe théâtrale tentant de porter à la
scène un pastiche du Comte de Monte-Cristo. Elle
est donc écrite à deux niveaux: on y voit d'une part les
responsables du théâtre - régisseur, auteur, etc. - et
quelques spectateurs, et d'autre part les acteurs jouant
le pastiche.
La première partie se
passe entièrement à montrer les préparatifs de la
répétition générale de cette pièce hors du commun que va
être Le comte de Montéfiasco. La longueur de
l'oeuvre est telle qu'il a fallu transformer le théâtre:
les loges sont devenues de vrais appartements avec
chambre et cuisine, où les spectateurs emménagent avec
famille et domestiques pour la durée - interminable - du
spectacle...
Le régisseur, qui veut lancer la répétition de la pièce,
est interrompu par l'arrivée de M. Gobetout, spectateur
borné et prétentieux, qui fait livrer les meubles pour
aménager sa loge-appartement.
La répétition commence enfin, les scènes théâtrales
étant sans cesse ponctuées d'interventions et
commentaires de Gobetout, d'autres spectateurs, etc...
Le pastiche lui-même est très "premier degré". Le jeune
Cantès, patron du coche de Meaux, est amoureux de
Bouillabaisse. Trois jaloux, Merlan, Pendard et
Caderoussel, le font emprisonner pour avoir manqué une
nuit de garde dans le cadre de la Garde Nationale.
En prison, il fait la connaissance de Larifla, qui lui
livre le secret d'un trésor (voir extrait ci-dessous).
Après son évasion, il devient comte de Montéfiasco,
riche au point de pouvoir tout acheter: quand il apprend
que ses ennemis sont respectivement en Inde, à
Constantinople et en Amérique, il exige qu'on les lui
amène en une heure, et offre millions sur millions
jusqu'à ce que ce soit fait!
Montéfiasco fait exécuter ses trois ennemis, mais
ceux-ci ressuscitent aussitôt car "si ces messieurs
étaient morts, la pièce serait finie... et comme elle
doit durer quinze jours?"
La pièce s'achève sur un rideau qui se baisse, annonçant
la suite (voir image ci-dessous).
De bout en bout, la représentation du Comte de
Montéfiasco est entrecoupée des commentaires
ineptes de Gobetout et d'autres spectateurs. Avec comme
lien entre les deux niveaux du spectacle le fait que
Gobetout, trompé par sa femme, se met à chercher dans Le
comte de Montéfasco une source d'inspiration pour
la vengeance qu'il médite...
L'humour de la pièce est plutôt
lourd et peu raffiné. L'aspect le plus intéressant de
l'ensemble tient au basculement incessant entre la
parodie et sa représentation. Soulignons enfin que les
auteurs avaient vu assez juste en imaginant en 1847 un Comte
de Montéfiasco en 30 actes et 100 tableaux. Quand,
à partir de 1848, Alexandre Dumas et Auguste Maquet se
lancent dans une adaptation théâtrale du Comte de
Monte-Cristo, il leur faudra quatre pièces (Monte-Cristo
1ère partie; Monte-Cristo 2ème partie; Le comte de
Morcerf; Villefort), totalisant 20 actes, pour en
venir à bout! Voir ci-contre page de caricature de Cham
parue dans Le Charivari du 6 février 1848, qui se moque
de la longueur de l'adaptation.
Extrait du 2ème tableau, scène 2
LARIFLA,
CANTÈS, passant la tête par un trou qui est près du
plancher, à droite.
CANTÈS. Vous êtes seul?
LARIFLA. C'te bêtise!
(...)
LARIFLA. Allons! entre donc...
CANTÈS. Aidez-moi, père Larifla.
LARIFLA, le tirant. Ah!.... hisse!.... ah! hisse!...
CANTÈS. Pas si fort!... vous me disloquez...
LARIFLA, l'attirant à lui. Cré coquin! Quelle
résistance!
CANTÈS dans le cachot; il est très gros; sa barbe
et ses cheveux sont longs et en désordre.
Ouf!... j'ai cru que je resterais en chemin.
Décidément, père Larifla, il faut élargir notre
corridor...
LARIFLA. Seriez-vous enflé, ô mon fils?
CANTÈS. Que voulez-vous... les chagrins... et le régime
farineux de la prison... J'ai pris du ventre!
LARIFLA. Heureusement que votre instruction a autant
profité que votre enveloppe animale... Car je t'en ai
flanqué, en veux tu, en voilà, de cette instruction. Je
t'ai montré la chimie, la géographie, la nécromancie, la
soulographie... Je t'ai montré l'art de te faire trois
mille livres de rentes en élevant des lapins... Je t'ai
montré toutes les langues mortes et vivantes... même la
mienne... Eh bien! tout cela n'est rien auprès de ce
qu'il me reste encore à te montrer...
CANTÈS. Miséricorde! qu'est-ce que ça peut être?
LARIFLA, pleurant. Depuis cinquante ans et plus
que je gémis dans les fers. (Il pleure.)
CANTÈS. Ne pleurez pas, ne pleurez pas...
LARIFLA. C'est mon heure de pleurer...
CANTÈS. Il est deux heures...
LARIFLA. Ah! alors ce n'est pas mon heure... (Il met
son mouchoir dans sa poche.) Depuis cinquante ans
et plus que je gémis dans les fers, je n'ai pas passé un
seul jour, que dis-je, une heure, que dis-je une minute,
que dis-je une seconde, sans m'occuper de mon évasion...
Les règlements de la prison s'opposant à ce qu'on nous
accorde de la lumière, je suis parvenu, après dix ans de
bonne conduite, à obtenir une paire de mouchettes...
CANTÈS. Pourquoi faire?
LARIFLA. Tu vas le voir... A l'aide de cet instrument
de ménage, j'ai confectionné tout ce qui me manquait...
CANTÈS. En vérité...
LARIFLA. Une arme!... (Il tire de sous son habit un
yatagan.) Une lanterne sourde... (Il la montre)...
de l'argent (Il tire un bas).
CANTÈS. Ah! bah!
LARIFLA. Oui, dans un bas... Trois cents francs en
pièces de six liards...
CANTÈS. Elles viennent d'être supprimées.
LARIFLA. Nous en ferons autre chose... et enfin une
échelle de corde... (Il montre un bout de l'échelle
de corde qui est roulée autour de son corps.)
CANTÈS. Toujours avec les mouchettes?...
LARIFLA. Toujours, en y ajoutant quelques toiles
d'araignées.
CANTÈS. C'est merveilleux!
LARIFLA. Ce n'est pas tout.
CANTÈS. Il y a encore quelque chose? Quoi donc?
LARIFLA, lui montrant un papier qu'il tire de sa
savatte. Un secret!... Tiens!
CANTÈS. Ça?
LARIFLA. Oui!
CANTÈS. Où?
LARIFLA. Là!
CANTÈS. Quoi?
LARIFLA. Vois!...
CANTÈS. Mais...
LARIFLA. Va...
CANTÈS. Ciel!
LARIFLA. Chut!
CANTÈS. Non!
LARIFLA. Si...
CANTÈS. Oh!...
LARIFLA. Tu as compris?
CANTÈS. Du tout...
LARIFLA. Ce papier, à demi grignoté par la flamme, a
été trouvé, je ne te dirai pas en quels lieux!... Qu'il
te suffise de savoir qu'il m'a mis sur la trace d'une
découverte immense!...
CANTÈS. Vraiment?
LARIFLA. Ecoute... voici le peu de mots que la flamme a
épargnés. (Il lit) Vers... tanneur...ayant...
fut...toute... dans...
CANTÈS, cherchant à comprendre. Vers...
tanneur... ayant... fut... toute... dans...
LARIFLA. Y es-tu?
CANTÈS. Parole d'honneur, non!...
LARIFLA. Eh bien, à force d'intelligence, de science et
de persévérance j'ai vu combler mon espérance.... et
j'ai eu la patience de compléter le sens de cette
correspondance.
CANTÈS. Quelle chance!
LARIFLA. Oui, Je suis parvenu à reconstituer le texte
primitif, et à lire: "Vers 1793, un tanneur
du quartier Saint-Marcel, ayant été dénoncé
comme accapareur de cuirs, fut exécuté après
avoir enfoui toute son immense fortune dans
l'île de Montéfiasco..."
CANTÈS. Ah! c'est pyramidal! monumental! Phénoménal!...
deviner que ce tanneur...
LARIFLA. Il m'a fallu bien du temps!... mais ce n'est
pas tout.... (Il se baisse peu à peu avec Cantès).
Je sais où se trouve cette île de Montéfiasco qui n'est
visible à l'oeil nu que lorsque les eaux sont au-dessous
du niveau le plus bas. (Ils se trouvent tout à fait
assis à terre.) Elle est située entre Asnières et
Saint-Ouen.
CANTÈS. Ah! Ouin...
LARIFLA, se levant. Maintenant voici mon
plan...
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