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D’Artagnan, agent secret du Roy

Patrick McSpare

310 pages
Bragelonne - 2023 - France
Roman

Intérêt: **

 



Ce roman dont d’Artagnan est le héros présente deux caractéristiques: son auteur Patrick McSpare, nom de plume de Patrice Lesparre, affirme s’inspirer du personnage historique, et non pas de celui de Dumas; plus original, il y recycle la mythologie des James Bond. Deux choix qui peuvent paraître à première vue difficilement conciliables…

Comme le titre l’indique expressément, le d’Artagnan de ce roman est un agent secret du roi - ou plutôt de Mazarin. C’est en ce sens que le héros s’inspire du personnage historique plutôt que de celui des Trois mousquetaires: comme le rappelle l’auteur dans l’interview qu’il a accordée à pastichesdumas (Patrick McSpare: « Une aventure de d’Artagnan davantage inspirée de James Bond que des Trois mousquetaires »), on sait que le vrai d’Artagnan a effectué des missions secrètes pour le cardinal. McSpare place donc son personnage aux véritables dates de son modèle historique (contrairement à Dumas qui le faisait naître beaucoup plus tôt) et évacue les apports spécifiquement dumasiens: Athos, Porthos et Aramis n’apparaissent pas (sauf pour une mention en forme de clin d’œil, tout comme Planchet), pas plus que Milady. Mais la dimension historique s’arrête là: le roman est de la fiction intégrale, « totalement inventée ». Il ne s’agit donc nullement d’un roman historique réaliste, mais bien d’un pur divertissement.

Le mousquetaire y est présenté comme l’un des trois premiers agents secrets recrutés par Mazarin. Un autre est assassiné à la place de d’Artagnan dès les premières pages, tandis que le troisième est François de Besmaux, personnage historique et ami de d’Artagnan dans la réalité. Plusieurs intrigues s’enchevêtrent. D’Artagnan contribue à contrecarrer la Conjuration des Importants, complot véridique monté contre Mazarin par quelques-uns des plus puissants personnages de la Cour. Il s’emploie à neutraliser un ennemi redoutable de la France: le corsaire Killer Whale, véritable pirate en fait, qui, au service de l’Espagne, mène la vie dure aux navires français. Enfin, il démasque un espion installé au cœur de la Cour.

Ces différentes intrigues sont menées à un rythme d’enfer. Les combats se succèdent mais d’Artagnan doit payer de sa personne à bien des égards. Il lui faut par exemple coucher avec la duchesse de Longueville pour se renseigner sur les activités de son mari, soupçonné d’œuvrer pour les intérêts espagnols. Dans sa lutte contre Killer Whale, il noue une alliance avec la sublime Dorothy Moore qui espionne pour le compte des Hollandais. Alliance professionnelle qui inclut une liaison aussi torride que sans lendemain entre les deux agents.

De bout en bout, le lecteur retrouve des motifs typiques des aventures de James Bond. Dorothy Moore est une James Bond girl modèle, Killer Whale, avec sa cruauté sans limite, est un « méchant » comme les affronte 007. Les changements de lieux constants sont également caractéristiques. L’action se déplace de La Haye à Paris, puis à Dunkerque dans les Pays-Bas espagnols, avant une séquence en mer puis en Espagne et retour à Paris. Les événements incluent des scènes à grand spectacle: la destruction du camp des corsaires caché dans les montagnes espagnoles fait immanquablement penser à celle des bases secrètes du Spectre (voir extrait ci-dessous). Plus caractéristique encore: un aide de Mazarin est une incarnation de Q, le fournisseur de gadgets high-tech de James Bond. D’Artagnan se trouve ainsi doté d’ingénieuses inventions qui tombent toujours à point nommé: chaussures à talons truqués, couteaux pliants, ceinture dissimulant des réserves de nourriture suffisantes pour une semaine (hum…). L’agent secret britannique emblématique du XXème siècle a donc servi de source d’inspiration inattendue pour les nouvelles aventures du mousquetaire du XVIIème siècle: une démarche parfaitement assumée par Patrick McSpare.

Fort bien écrit, le roman se lit avec grand plaisir. Le refus de l’auteur de s’inscrire dans le sillage direct de Dumas ne nuit en rien. D’une part, parce que s’il a voulu reprendre le personnage de d’Artagnan devenu l’archétype du héros de cape et d’épées, comme il le dit dans son interview, c’est bien Dumas qui en a fait cet archétype. D’autre part parce qu’en injectant dans son d’Artagnan les éléments du mythe moderne de James Bond, McSpare se rapproche peut-être de ce qu’écrirait aujourd’hui le père immortel des Trois mousquetaires


Extrait du chapitre 18 Course contre le temps

Killer Whale contemplait le cadavre du colosse et la porte entrouverte du dépôt d'armes. Il découvrait soudain ce que sa colère lui avait occulté précédemment. Quand Dorothy, Besmaux et moi le dépassâmes, je croisai son regard et y lus une haine féroce à mon égard. Sa blessure à la cuisse n'était pas profonde, mais détaler ne le sauverait pas. Sans monture à proximité, aucune chance, il venait de le comprendre.

«Tu ne détruiras pas mes rêves!» fanfaronnait-il peu auparavant. Ebé si. Le prédateur des mers avait perdu sa dernière course. Contre le temps, celle-là.

Alors que les pirates encaissaient le choc frontal d'une première ligne de corsaires, Dorothy, Besmaux et moi franchissions le portail. Nous jetâmes nos montures sur la voie, en talonnant leurs flancs comme des diables. Tous les muscles contractés, j'attendais la déflagration. Chaque mètre parcouru nous éloignait du trépas. Nous pûmes encore galoper un peu puis l'explosion survint. Sa puissance, que je redoutais pourtant, m'étonna. C'était un souffle brûlant et non le vent qui agitait ma chevelure. Je me couchai sur l'encolure de mon cheval qui hennissait de terreur. Devant moi, Dorothy et Besmaux agissaient de même. Des gravats nous frappèrent dans le dos, heureusement trop légers pour infliger de réels dommages. En revanche, je vis trois énormes moellons heurter le sol loin sur ma gauche. Si de semblables blocs nous atterrissaient dessus, crotz de palha, nous serions aplatis comme des galettes de froment.

Plusieurs autres déflagrations retentirent ensuite, moins fortes et à intervalles rapprochés. Les pierres ne volaient plus autour de nous, aussi nous fîmes ralentir nos chevaux pour finir par les arrêter avant d'atteindre le bourg principal. Regards braqués vers la sierra, Besmaux, Dorothy et moi contemplions un spectacle de jugement dernier. Des remparts éventrés de l'hacienda montait une nappe de fumée grise qui tranchait avec le noir des cieux. En s'effondrant, les murailles avaient façonné une sorte de cratère chaotique. Par-delà, on ne distinguait rien de la cour, mais les crêtes de flammes géantes y ondulaient.

La horde pirate prévue pour remplir cinq frégates et l'équipage du Leviathan se retrouvaient décimés. Les plans d'attaque de Killer Whale avaient brûlé avec lui. La marine française ne pâtirait pas des velléités de riposte espagnoles, nos navires marchands ne risqueraient plus de rencontrer le plus dangereux des corsaires.

Et, contre toute attente, nous trois sortions vivants de cet enfer.


 

 

 

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