Le nouveau Monte-Cristo Tome 1 - Le nouveau Monte-Cristo Tome 2 - L’étoile d’amour
Georges Spitzmuller
576 pages Fayard - Le Livre populaire n°192 et 193 - 1927 - France Roman
Intérêt: **
Voilà un intéressant "remake" du Comte
de Monte-Cristo. L'histoire, il faut bien le dire, vient
tout droit du roman de Dumas. Pierre Lefort, jeune hussard cantonné
à Marseille, se fiance avec une ravissante ouvrière
modiste, Denise Fresole. Mais leur bonheur
suscite la jalousie de l'infâme Guillaume Wilfeld, dit
"le Boche", maréchal des logis de Lefort. A
force de provocations, il pousse le hussard à la frapper.
Ce qui vaut à ce dernier d'être envoyé en
bataillon disciplinaire en Algérie.
Là, dans l'enfer du bagne des Bat' d'Af', il fait la connaissance
du brave Joseph Ribeau, qui arrive en fin de peine. Sur son conseil,
Pierre s'enfuit et se réfugie dans les montagnes du Maroc,
où il vit longtemps seul. Il y rencontre la très
jeune Zohra, fille du cheikh local et y découvre un prodigieux
gisement de pétrole.
A la mort du cheikh, Zohra fait nommer Lefort à la tête
de la tribu. Il lance l'exploitation du pétrole: le voilà
métamorphosé en richissime et puissant seigneur
marocain, l'agha Si-Hadjar Chérif.
Travaillé par le désir de retrouver Denise et de
se venger de Wilfeld, il s'installe en grande pompe à
Paris où ses fastes orientaux éblouissent la bonne
société. Avec l'aide de deux détectives
privés, il retrouve Ribeau qui devient son secrétaire
et Wilfeld, qui est devenu un riche industriel.
Pour se venger de ce dernier, il prête de l'argent à
volonté à son fils Rodolphe, un bon à rien,
et pousse un autre vaurien de bonne famille, le vicomte de
la Mésonière, à enlever Dorothée,
la fille de Wilfeld, pour la déshonorer.
En ce qui concerne Denise, qui est tombée malade et a
perdu la mémoire après la condamnation de son fiancé,
les recherches s'orientent dans deux directions. Des aigrefins
au courant de ses démarches lui font passer une jeune
fille, Simone, pour Denise, sur la foi d'une ressemblance physique.
Pas sûr de la reconnaître, mais hésitant,
l'agha l'installe chez lui. Elle en tombe amoureuse et ne veut
plus aider ses anciens compagnons à dépouiller
Si-Hadjar. Simultanément, Lefort est fasciné par Germaine
Rochefort, une mystérieuse actrice qui, elle aussi, ressemble
à Denise.
Au bout du compte, Simone se sacrifie pour sauver Pierre, celui-ci
châtie Wilfeld en prouvant qu'il espionne au profit de
l'Allemagne, retrouve Denise (c'était bien Germaine Rochefort).
Et Zohra, folle amoureuse elle aussi, qui avait secrètement
suivi l'agha à Paris, s'efface devant sa rivale...
Rien
de bien original dans tout cela, donc. Le nouveau Monte-Cristo
n'est, dans une large mesure, qu'un vulgaire plagiat, reprenant
les grandes lignes du roman de Dumas en le simplifiant grandement,
et sans rien y ajouter. Et pourtant, le livre fonctionne et se
lit avec grand plaisir.
D'une part parce qu'il est bien écrit: les scènes
dans la montagne marocaine, la vie de Pierre devenu agha, l'évocation
de la pègre parisienne sont très convaincantes.
D'autre part parce que les nombreux personnages sont très
bien campés. C'est le cas de la jeune Zohra, subjuguée
par le Français au point d'amener sa tribu à la
prendre pour chef; de Ribeau, parfois réticent face au
désir de vengeance de Lefort, mais qui ira jusqu'au meurtre
pour le protéger; de Simone, qui trouve sa rédemption
dans son amour pour le mystérieux agha...
Finalement, à défaut de renouveler le mythe, le
livre de Spitzmuller est une bonne variation sur le thème
de Monte-Cristo et se révèle prenant.
Notons que ce livre est paru dans une autre édition, sous le titre Fleur d'amour ou le nouveau Monte-Cristo, sous la double signature de Spitzmuller et de René de Bargis. Les textes semblent identiques, à quelques détails de style près.
Merci à Denis Dupeux pour m'avoir fourni les informations sur cette dernière édition.
Extrait de la deuxième partie Pour l'amour et
la vengeance, chapitre 1 Servien frères, détectives
Tels apparaissaient les frères Amédée
et. Benoît Servien, détectives, passant pour les
plus habiles de Paris...
Benoît prenait la lettre que lui tendait son aîné
et, posément, la parcourait. Mais, si maître de
soi qu'il fût, il ne put réprimer, dès les
premières lignes, un geste d'étonnement et une
exclamation presque effarée.
Amédée, animé, s'exclama:
- Lis tout haut!... Cela en vaut la peine, bigre!...
Docile, le cadet lut:
"Messieurs, que le Seigneur soit avec vous et avec votre
maison! Qu'il vous protège et aveugle vos ennemis! Qu'il
vous comble de ses bénédictions!..."
- Tordant!... fit Amédée en riant de bon coeur...
On croirait une blague, hein?...
Sérieux, Benoît prononça:
- N'en est-ce pas une?...
- Mais non!... Continue... Tu verras!...
Le cadet des Servien reprit:
" Moi, Si-Hadjar Chérif. agha des Berabers, cheik
des Beni-Mellal...
- Hein!... s'écria Benoît en s'arrêtant de
lire... Pas possible!... Par exemple!...
Une stupéfaction folle se peignait sur son visage, tandis
que l'autre, hochant la tête, murmurait:
- C'est raide, dis ?...
- L'agha!... répétait Benoît... Mais que
nous veut-il ?...
- Continue!... conseilla son frère...
Le cadet poursuivit:
" Ayant aujourd'hui besoin de vos estimés services,
je vous prie de vouloir bien vous rendre auprès de moi
avant demain. Je vous attendrai 90 ter avenue des Champs-Elysées..."
- C'est extraordinaire! balbutia Benoît.
- Pourquoi? fit Amédée... Attends d'abord de savoir
ce qu'il nous veut!... De fait, j'avoue que l'événement
me semble un peu bizarre... Car, enfin, l'agha n'est à Paris que depuis avant-hier...
- Oui... C'est ce matin même que les journaux donnent son
portrait et publient sur lui des renseignements interminables.
- Un grand seigneur marocain!... Archi-millionaire!... Bigre!
Quel client sérieux pour nous, frérot!... Je suis
d'avis de nous rendre sans retard avenue des Champs-Elysées.
Qu'en dis-tu?...
- Je le crois aussi!... fit Benoît, encore interloqué
de cette lettre singulière.
L'aîné avait attiré un journal enfoui sous
des documents et étalait la première page où une photographie montrait un chef musulman dans son somptueux
et original costume.
- Tiens!... Ecoute ce que dit le reporter au sujet de l'hôtel
de l'agha...
Et, emphatique, Amédée Servien lut:
"Dès le seuil, on est saisi d'une sorte de sensation
violente, étrange, respectueuse... Les yeux clignent,
étonnés. On demeure immobile... On croit rêver...
"La porte s'est ouverte... et c'est comme si, brusquement,
on était transporté à des milliers de lieues
de Paris, de l'Europe... de l'Occident, pour se trouver, en une
seconde, plongé dans toutes les splendeurs des Mille
et Une Nuits... L'Orient vous accueille, tout l'Orient! Et
cela commence au nègre athlétique qui, dans son
pagne vert s'incline devant vous, muet, mystérieux..."
- Arrête! ... s'exclama Benoît Servien. Tu vas m'enlever
toute surprise... Puisque nous allons chez l'agha, laisse-moi
jouir de cette sensation rare!... |