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Les quatre d’Artagnan

Paul Troche

70 pages
Le Petit Courrier - 1890 - France
Roman

Intérêt: *

 

 

 

Ce petit roman a été publié en feuilleton en trente-cinq épisodes (d’où l’équivalence d’environ soixante-dix pages) dans le quotidien Le Petit Courrier du 3 septembre au 12 octobre 1890. Son intérêt tient tout entier dans l’idée exprimée dans le titre : mettre en scène quatre d’Artagnan, en l’occurrence quatre petits-fils du célèbre héros.

Pour que le lecteur s’y retrouve, Paul Troche énumère précisément la liste et la généalogie de ses personnages dès le deuxième épisode : « Pour bien établir l’âge et la situation respective des quatre frères, nous répétons : M. d’Artagnan l’aîné, enseigne aux gardes françaises, a vingt-cinq ans ; M. Raoul d’Artagnan, capitaine-major des gardes, vingt-quatre ans ; M. Louis d’Artagnan, cornette aux mousquetaires du roi, dix-neuf ans ; et M. le chevalier d’Artagnan (Charles), enseigne aux gardes, dix-huit ans ». Les quatre frères, ajoute-t-il, sont « les fils légitimes du mestre-de-camp de cavalerie Pierre de Montesquiou d’Artagnan », lui-même « fils de ce fameux d’Artagnan, capitaine général des Mousquetaires, dont Alexandre Dumas, en trois immortels ouvrages, a écrit l’histoire merveilleuse ».

Ces détails généalogiques, affirme l’auteur, « sont absolument historiques » et proviennent principalement du document L’Etat de la France datant de 1687. Il n’en est rien, en fait. Selon le chercheur Mihai Ciuca, L’Etat de la France ne mentionne que les trois premiers d’Artagnan, sans indiquer quels liens de famille les unissent. En outre, Pierre de Montesquiou est en réalité le cousin et non pas le fils du grand d’Artagnan (qui a en fait eu deux fils prénommés tous les deux Louis). Dès lors, la démarche de Troche semble claire : à partir de quelques indications sur l’existence de plusieurs d’Artagnan, il a imaginé d’en faire les petits-fils du héros et en a ajouté un quatrième pour faire écho aux quatre mousquetaires puis leur faire vivre des aventures dans la veine de Dumas. Tout au long du feuilleton, les quatre d’Artagnan ne cessent d’ailleurs d’évoquer leur glorieux ancêtre et son amitié avec Athos, Porthos et Aramis.

Si l’idée était intéressante en soi, l’exécution n’est malheureusement pas à la hauteur. L’histoire commence quand d’Artagnan l’aîné et le chevalier d’Artagnan (qui seront les personnages principaux de l’intrigue, leurs deux frères faisant plutôt de la figuration) viennent au secours d’une belle inconnue agressée par des hommes de main. Les deux d’Artagnan en tombent aussitôt amoureux (et leurs deux frères feront de même quand ils la rencontreront) et jurent de la défendre contre ses ennemis. L’intrigue suit ensuite des sentiers plutôt rebattus : la jeune Marie de Fougereuse est victime des machinations d’un parent infâme, le comte de Chamarande, qui a tué son père, s’est emparé de sa fortune et cherche à la faire disparaître. Les quatre frères tentent de mobiliser des soutiens à la Cour pour faire reconnaître les droits de l’orpheline, la défendent contre de nouvelles attaques des sbires de Chamarande (durant l’une desquelles Louis d’Artagnan est tué), etc.

Au gré de rebondissements qui partent un peu dans tous les sens, Chamarande se brouille avec son épouse Clotilde qui du coup l’empoisonne. Durant une interminable agonie, il a le temps de faire une confession complète, de reconnaître tous les droits de Marie à sa fortune, de tendre un piège à Clotilde… Marie épouse Charles d’Artagnan, Clotilde tente de l’assassiner, se suicide non sans avoir auparavant commandité un assassinat de d’Artagnan l’aîné (qui rate, là encore). Fin du récit.

 

Celui-ci, on le voit, ressasse de façon décousue toutes sortes de clichés des feuilletons de cape et d’épée. Les « méchants » manquent totalement de consistance. Chamarande se rallie d’un seul coup à la cause de sa victime, tandis que son épouse, qui ne jouait aucun rôle, devient un véritable démon, etc. Surtout, Troche n’exploite nullement le thème des quatre frères évoquant les quatre mousquetaires. Deux des frères figurent à peine dans le récit et l’un meurt rapidement. L’idée de les faire tomber amoureux tous les quatre de la même femme était intéressante : elle aurait pu susciter tensions et désaccords. Mais les quatre hommes sont pleins de vertu. Du coup, le plus jeune, Charles, peut épouser Marie sans que cela n’occasionne le moindre drame.

Les hommages aux mousquetaires de Dumas sont constants. Les quatre petits-fils évoquent sans cesse, on l’a dit, leur glorieux ancêtre et ses trois amis. Deux personnages secondaires jouent un rôle sympathique : Planchet et Mousqueton, fils de ceux des Trois mousquetaires. Troche fait également réapparaître brièvement des personnages mentionnés furtivement dans la trilogie de Dumas, Trüchen, veuve de Planchet père, et Frantz Hoëller, cousin de celle-ci.

Certaines scènes renvoient directement à Dumas. En particulier celle où les quatre d’Artagnan « jugent » l’abominable Clotilde, en un écho fidèle du jugement de Milady à la fin des Trois mousquetaires (voir extrait ci-dessous). L’ensemble n’en demeure pas moins, malheureusement, fort médiocre : une bonne idée gâchée.

Merci à Mihai-Bogdan Ciuca de m'avoir signalé ce texte.


 Voir l'arbre généalogique de d'Artagnan

 

Extrait de la deuxième partie, chapitre VII Les vengeurs

— Que voulez-vous bégaya Clotilde d'une voix altérée. Et qui êtes-vous ?

— Le capitaine Raoul d'Artagnan, dit le gentilhomme. Et voici mon frère M. d'Artagnan l'aîné, mon ami M. de Mongon, et un brave homme du nom de Planchet qui se ferait tuer pour nous.

D'Artagnan ! La comtesse tressaillit. Mais bientôt elle se redressa, très digne.

— Je reconnais M. votre frère, dit-elle. Mais je ne savais pas qu'il fût devenu chevalier de grand chemin... Pourquoi ce guet-apens, s'il vous plaît ?

— Madame, dit Raoul, sans ambages, vous êtes une coquine et nous sommes venus pour vous juger, pour vous punir.

— Vous êtes fou, Monsieur, riposta Clotilde avec hauteur.

— Non, Madame, reprit d'un ton bref le capitaine. Je défends simplement une pauvre jeune fille que vous avez volée d'abord, que vous avez voulu faire tuer ensuite ; je venge un malheureux qui vous aimait, qui, pour vous, a commis tout les crimes, et que ce matin même vous avez empoisonné.

Mme de Chamarande blêmit. L'accusation était nette, vigoureuse, tranchante comme la lame d'une hache. Cet homme devait être inflexible.

Clotilde n'essaya même pas de se discuter (sic). Elle dit seulement :

— Vous n'êtes pas un juge !

— Si, répliqua le capitaine. Le mari toujours a droit de mort sur sa femme infidèle ou coupable. Feu le comte de la Fère pendit à une branche d'arbre Anne de Bueil, la voleuse marquée à l'épaule d'une fleur de lys.

— Vous n'êtes pas mon époux ! interrompit violemment la comtesse qui perdait l'esprit.

— Heureusement, répondit Raoul. Mais le comte de Chamarande m'a légué sa vengeance. Un testament est chose sacrée. Une promesse faite à un moribond est sacrée aussi.

— Deux fois sacrée, dit M. d'Artagnan l'aîné.

— Folie ! exclama la comtesse, folie !... Vous n'avez pas le droit de me tuer.

— Aviez-vous le droit de faire brûler Fougereuse ? riposta le capitaine. Aviez-vous le droit de faire assassiner le vicomte et de voler ses biens ? Aviez-vous le droit d'attenter aux jours de sa fille Marie ? Aviez-vous le droit enfin d'empoisonner celui qui vous prostitua son nom ?

Et comme Clotilde, atterrée, baissant le front, serrait les poings de rage impuissante :

— Calmez vos fureurs, madame, ajouta le jeune homme. Nous ne vous tuerons pas. Votre dernière victime veut que vous viviez...

La comtesse, à ces mots, releva la tête.

— Oh, vous serez châtiée plus durement que si l'on vous tuait, dit le capitaine.

Et, se tournant vers ceux qui étaient venus avec lui, Raoul — tandis que Montgeorge, effaré, muet d'hébétement, se sentant perdu sans retour, gisait inerte comme un paquet de guenilles, mi-partie sur le siège où il était tombé, mi-partie sur la table où il s'appuyait, — Raoul, disons-nous, ajouta :

— Messieurs, vous savez de quoi cette femme et cet homme sont coupables. Elle fut la tête, lui le bras. Dans l'intégrité de votre conscience, pensez-vous que cette femme et cet homme doivent être punis, comme l'a demandé celui qui nous envoie ?

— Oui, dit M. d’Artagnan l’aîné, d’une voix sifflante.

— Oui, dit de Mongon, tout pâle.

— C’est bien, reprit Raoul.

 

 


 

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