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Le talon d’Achille

Georges Delaquys

52 pages
L’Effort - 1941 - France
Roman

Intérêt: **

 

 

 

Le talon d’Achille est le deuxième roman de Georges Delaquys inspiré par Les trois mousquetaires présenté sur pastichesdumas. Alors que le premier, Hortense Mancini, la plus jolie des nièces de Mazarin, avait été publié en 1939, à la veille de la guerre, dans Le Populaire de Paris, Organe Central du Parti Socialiste, celui-ci le fut en pleine Occupation dans le journal L’Effort, le quotidien socialiste de la reconstruction nationale. Un quotidien socialiste lui aussi, mais avec la particularité d’être publié sous le régime de Vichy. La publication de ce feuilleton s’étagea sur 52 épisodes, du 14 décembre 1941 jusqu’au 17 février 1942.

Si Hortense Mancini se passe à l’apogée de la puissance de Mazarin, Le talon d’Achille se déroule en 1636 quelques années avant la mort de Richelieu (1642). L’action de ce court roman est beaucoup plus ramassée que celle du premier. Elle tourne, comme bien d’autres romans situés à cette époque, autour des complots menés contre le tout-puissant cardinal. Aramis y joue un rôle central en tant qu’abbé d’Herblay, haut placé dans la hiérarchie des Jésuites.

Le récit commence lors d’un dîner qui rassemble différents hauts personnages, tout autant amis d’Anne d’Autriche qu’ennemis de Richelieu. On y trouve le prince de Marsillac, amant de la duchesse de Chevreuse, Pierre de La Porte, porte-manteau de la reine et proche confident de celle-ci, Aramis, etc. Leur conversation est surprise par un agent du cardinal. Aramis, qui s’en est rendu compte, les met tous en garde : ils vont désormais être surveillés par Richelieu.

En très mauvais termes avec Louis XIII et persécutée par le cardinal parce qu’elle n’a pas voulu céder à ses avances, la reine se réfugie souvent dans le couvent du Val-de-Grâce. Richelieu y a nommé une de ses cousines comme supérieure du couvent pour espionner la reine. Mais celle-ci a fait la conquête de la religieuse qui trompe donc son cousin Richelieu.

De fait, Anne d’Autriche a beaucoup à cacher. Elle est en correspondance avec sa famille en Espagne et à Bruxelles, et participe à différents complots dirigés contre la France pour renverser Richelieu. Au cœur de ces complots figure comme toujours la duchesse de Chevreuse qui lui rend visite en cachette dans le couvent. L’objectif de la duchesse est de bâtir une grande coalition contre la France rassemblant l’Espagne, l’Empire, l’Angleterre et autres Etats.

Richelieu, qui se doute de quelque chose, fait surveiller tout le monde. Il charge le chancelier Séguier d’aller fouiller la chambre de la reine au couvent et la reine elle-même pour trouver sa correspondance. Mais la mère supérieure récupère les lettres de la reine pour les mettre à l’abri.

Bourrelée de remords, elle veut se confesser des mensonges commis pour sauver la reine. Son confesseur est remplacé, sur ordre du général des jésuites, par Aramis déguisé, sous le nom de Don Simara (Aramis à l’envers). Celui-ci la convainc, avec des raisonnements parfaitement jésuitiques, qu’elle n’a pas vraiment menti ni trahi... (voir extrait ci-dessous). Aramis confesse ensuite le roi puis la reine. Il révèle à cette dernière qui il est, lui dit qu’un enlèvement pourra être organisé pour la mettre à l’abri des persécutions du cardinal et du roi.

En l’absence de preuve de la culpabilité de la reine, une réconciliation officielle est organisée entre le roi et elle, apparemment avec le soutien de Richelieu. Mais celui-ci fait aussitôt arrêter La Porte. On l’interroge pour lui faire dire ce qu’il sait sur la correspondance de la reine avec les ennemis de la France. Il nie tout.

Le roi redevient plus soupçonneux que jamais et recommence à persécuter la reine, qu’il accuse de crime contre l’Etat. La Porte, à la Bastille, continue à affirmer qu’il ne sait rien. Personne ne parlant, incapable de trouver des preuves concrètes du complot, Richelieu s’avoue vaincu. La reine est contrainte de signer un aveu très partiel, le roi la pardonne à contrecœur, ils se réconcilient de nouveau officiellement.

Pour Aramis, il est clair que la menace de disgrâce de la reine persiste. Anne d’Autriche, estime-t-il, ne sera à l’abri que le jour où elle pourra donner un dauphin à la France. Ce qui est a priori impossible, le roi et elle n’ayant plus aucune relation depuis des années. Aramis persuade alors Mlle de La Fayette, favorite du roi entrée au couvent, de le convaincre de donner un héritier au trône. Ce qui finit par arriver avec la naissance du futur Louis XIV.

 

Tout comme Hortense Mancini, ce petit roman est un plaisir à lire : enlevé, très bien écrit, avec des portraits brillants des personnages, des mœurs de l’époque, de la situation politique, etc. Très forte, la dimension dumasienne tourne tout entière autour d’Aramis, mis à part quelques allusions à d’Artagnan ou à l’affaire des ferrets de la reine des Trois mousquetaires. L’ancien mousquetaire devenu abbé est le personnage central de l’intrigue, cheville ouvrière des complots destinés à protéger ou à sauver la reine. Au début du roman, cet abbé pas comme les autres est décrit ainsi : c’était « un homme d’une trentaine d’années, très fin de visage, bien qu’abbé, l’air subtil et conciliant, fort élégant, au surplus, vêtu en cavalier, l’œil velouté, la main très soignée, le port galant, bien qu’abbé, avec dans toute sa personne quelque chose de malicieux à la fois et d’ingénu, d’énergique ensemble et de tendre, qui devait, bien qu’abbé, le rendre sympathique aux belles ».

Son habileté, son audace sont sans limites. Lors d’une scène très amusante, Aramis se déguise en peintre en bâtiment pour rejoindre la duchesse de Chevreuse dans l’hôtel de la Rochefoucauld en trompant les espions de Richelieu. Le soutien des puissants jésuites lui permet de remplacer du jour au lendemain le confesseur du roi, de la reine et de la supérieure du Val-de-Grâce, sans se faire démasquer. Les admonestations qu’il leur adresse démontrent à quel point Aramis maîtrise désormais parfaitement l’art du raisonnement des jésuites. Enfin, si l’on admet que c’est grâce à son intervention auprès de Mlle de La Fayette que Louis XIII accepte de se rapprocher enfin de son épouse, c’est bien à Aramis que l’on doit finalement la naissance de Louis XIV !

Merci à Mihai-Bogdan Ciuca de m'avoir signalé ce texte.

Extrait du chapitre IX La confession de la Supérieure

Alors avec une précipitation d'affamée, d'assoiffée, de famélique à l'aspect d'une bonne table, la mère supérieure se rassasia de contrition.

— Mon père, je m'accuse du péché de mensonge, de dissimulation, de fourberie, de félonie et de traîtrise envers ceux qui m'honorent de leur confiance et que j’ai sciemment et volontairement induits en erreur, au risque des plus grands malheurs publics et privés. Je suis une impardonnable criminelle devant les hommes et devant Dieu et ne puis vivre ni respirer la lumière du jour si je ne suis absoute de ces fautes horribles dont je me repens amèrement.

Ayant vidé d'un trait tout son chargement de méchefs, la sainte mère, tout essoufflée, mais déjà moins oppressée de remords, soupirait comme une femme que l'on délivre du mal d'enfant.

— Voilà, ma sœur, il me semble, une conscience bien chargée, fit le prêtre espagnol. Mais il faut examiner tous ces crimes l'un après l'autre, car il peut y en avoir qui se confondent en un seul délit et vous seriez ainsi moins coupable que vous ne le redoutiez. Voyons. Vous avez parlé du péché de mensonge. Quel est-il exactement ?

— Mon père, je l'ai commis en paroles destinées à déguiser la vérité.

— Bien. Mais avez-vous dit le contraire de la vérité ou nié cette vérité ; ou simplement passé sous silence cette vérité ? Et d'abord, en quelles circonstances ?

— Mon père, je vous dirai la vérité et qu'une auguste personne vient de fois à autre se retraiter dans notre sainte maison pour y faire ses dévotions. Elle y reçoit parfois des visites, bien qu'elle n'en doive point recevoir, d'ordre du roi. Mais cette auguste personne est si touchante et si malheureuse que j’ai eu de la compassion et toléré ces visites. Et l'une d'elles, qui possède une clef de la petite porte, y vient à cheval et laisse sa monture dans notre écurie, à côté de notre mule Cornette. Et Son Eminence a su par un jardinier qu'il y avait un cheval dans notre écurie qui n'y devait pas être. Il m'a fait appeler, m'a demandé ce que c'était que ce cheval et je lui ai perfidement répondu que je n'en savais rien: ce qui était contraire à la vérité.

— Certes, ma sœur, on le pourrait prendre ainsi, si l'on s'arrêtait à l’apparence. Mais votre intention n’était pas de tromper pour causer un dommage, ce qui est le propre du mensonge. Elle était, au contraire, de prêter assistance à une personne malheureuse qui excitait votre compassion. Ce n'est donc point là un péché, mais une action charitable dont il vous faut louer.

— Cependant, mon père, j'ai menti.

— Peccadille, ma sœur. Mensonge pour le bien. Je vous absous de ce péché qui se confond, au surplus, avec celui de fourberie et de dissimulation, commis dans un but louable de soulagement et d'assistance au prochain. Vous avez parlé ensuite du péché de félonie et de traîtrise.

— Hélas ! Mon père, celui-ci est plus grave encore, car il y allait d'intérêts d'Etat et je n’en ai pas dormi de toute cette nuit.

— Dites-moi comment cela s'est fait.

— En revenant de l'audience de Son Éminence, je me rendis dans la chambre de l'auguste personne dont j'ai parlé et j'y étais dans le moment que Monsieur le Chancelier y vint, envoyé par le roi, pour trouver chez la... chez l'auguste personne, des documents fort redoutables que l'on pensait y découvrir. Cette auguste personne les tenait justement à la main quand le chancelier parut et, les dissimulant derrière son dos, elle me les tendit à l'insu du chancelier. Je les pris et les cachai sous ma guimpe ; puis me retirai, horrifiée de mon action criminelle.

— En quoi, ma sœur, cette action vous parait-elle délictueuse ? Le crime est à ceux qui sont venus violer la pieuse retraite de la... de l'auguste personne qui se croit en sûreté chez vous et qui ne l'est pas. Le secret des correspondances est chose sacrée et qui le prétend surprendre et violer se rend coupable de forfait contre la conscience d’autrui. Vous avez, en dissimulant les documents que l'on prétendait criminellement dérober, accompli une action méritoire, conjuré un éclat détestable et permis à l'innocence de n'être point iniquement condamnée. Je ne puis vous absoudre de ce qui n'est point une faute ; mais vous félicite pour ce courageux appui que vous donnâtes à la vertu. Et que fîtes-vous ensuite de ces documents ?

— Je les rendis à l'auguste personne qui me les redemanda aussitôt que le chancelier fut parti.

— Bien. Est-ce là tout, ma sœur ? N'avez-vous point commis quelque autre faute? Point de gourmandise ? Point de médisance ? Point d'excès de zèle, ni d'injustice dans l'exercice de votre autorité abbatiale ?

— Oh ! mon père, je me suis montrée sévère pour une de nos filles qui n'accomplit pas toujours sa tâche avec la ponctualité nécessaire.

— Prenez garde, ma sœur. Vous savez que le Seigneur parlait à Marie, disant qu'elle avait la meilleure part, pour ce qu'elle aimait et rêvait au lieu de travailler, comme sa sœur Marthe. Vous ferez pénitence pour cette faute contre l'esprit des Ecritures et la divine préférence de Jésus. Cette fille est-elle jeune ?

— Elle est très jeune, mon père. Elle est de joli visage et elle en tire quelquefois vanité.

— Voila encore, ma sœur, une occasion de vous repentir de jugement téméraire et de méconnaissance grave de la bonté du Créateur qui a fait cette fille jolie afin que soit attestée et louée la perfection de sa puissance créatrice. Les anges ont un beau visage, ma sœur, et les séraphins sont séduisants qui entourent l'Eternel de leur immortelle jeunesse. Vous ferez double pénitence, et m’enverrez demain cette fille à confesser, afin que j'examine si le démon de l'orgueil n'est point en elle à cause de beauté. Récitez votre Confiteor.

Quand la supérieure eut fini de marmonner sa patenôtre, l’abbé « espagnol » fit le signe de la Croix, lui dit les paroles rituelles :

Te absolvo.

— Ainsi soit-il ! répondit la mère abbesse, merveilleusement absoute des péchés qu’elle croyait avoir perpétrés et singulièrement punie pour ceux qu’elle n’avait pas commis.

 


 

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