Le trésor de Monte-Cristo
Jules Lermina
640 pages Imprimerie Charaire et fils - 1885 - France Roman
Intérêt: **
Publié sans nom d'auteur, ce gros volume est bien la
suite du Fils
de Monte-Cristo de Jules Lermina. En
premier lieu, le livre commence là où l'autre finit,
avec la mort du comte qui jette à la mer un flacon
contenant son testament et les indications permettant de
trouver la cachette de son trésor. En deuxième lieu, une
conversation entre deux personnages du livre, qui
évoquent l'assassinat d'Espérance, le fils de
Monte-Cristo, par Benedetto est accompagnée de la note
de bas de page suivante: "Ces aventures ont été
racontées par l'auteur de ce roman dans le Fils de
Monte-Cristo".
La structure de ce
roman est complexe, même s'il est nettement moins long
que Le fils de Monte-Cristo. Le prologue
intitulé Le serment du nihiliste commence donc
avec un rappel de la scène où Monte-Cristo lance son
testament à la mer, dans une bouteille. L'action se
déplace ensuite à Paris, où une nihiliste russe, Véra,
vient tirer le comte Serge Soïloff de son exil doré en
France et le rappelle à son serment de révolutionnaire
décidé à renverser le régime tsariste. Serge décide de
repartir à Moscou et laisse ses biens à son meilleur
ami, le docteur Houdas, en en faisant son héritier s'il
ne revient pas au bout d'un an. Pour s'accaparer cette
fortune, Houdas dénonce Serge à la police russe. Arrivé
à Moscou, celui-ci est aussitôt arrêté et expédié en
Sibérie.
La première partie, Le ressuscité, raconte la
captivité de Serge dans le bagne sibérien dirigé par le
comte Potoleff et l'expédition montée par Véra et un
groupe d'aventuriers excentriques, le Club des
Terre-Neuve, pour le délivrer. Le captif s'enfuit, seul,
et trouve dans les eaux arctiques la bouteille contenant
le testament du comte de Monte-Cristo.
Dans la deuxième partie, Le testament mystérieux,
Soïloff, qui a atteint Paris, tente de décrypter le plan
du trésor de Monte-Cristo avec l'aide d'Houdas, dont il
ne connaît pas la trahison. Serge veut cette fortune
pour financer le soulèvement mondial des opprimés contre
les tyrans, Houdas la convoite pour lui. Après bien des
péripéties, la trahison de ce dernier est révélée et le
message est décrypté. Celui-ci mène Soïloff à Marseille,
dans une maison gardée par un vieil homme, Ali, le
dernier survivant des proches serviteurs de
Monte-Cristo.
A son insu, Ali est surveillé depuis des années par...
Benedetto, que l'on avait cru mort dans Le fils de
Monte-Cristo, mais qui est revenu et attend sa
vengeance.
Ali emmène le héros jusqu'au trésor, dans une île de la
Méditerranée, suivi de Benedetto. Mais au moment précis
de la découverte du trésor, un tremblement de terre fait
s'effondrer la grotte de la cachette...
La dernière partie du livre, La résurrection de
Monte-Cristo, commence par la tentative de
suicide, à Paris, de Valentin Morel et de sa femme. Au
dernier moment, une apparition les sauve: celle de
quelqu'un qui semble bien être le comte de Monte-Cristo
lui-même. L'histoire de Valentin est alors racontée: il
est le fils de Maximilien Morel et de Valentine de
Villefort, partis tous deux en Inde, puisque Le
fils de Monte-Cristo avait révélé, sans
s'étendre, que Valentine était en réalité la fille d'un
prince indien. Les aventures de ces derniers sont
détaillées, ainsi que celles de Valentin, devenu
champion de la lutte pour l'indépendance de l'Inde.
Mis en contact avec les amis de Soïloff, Valentin part à
la recherche de ce dernier. Une course poursuite
compliquée s'engage entre le Club des Terre-Neuve et
Benedetto (qui fait équipe avec le fils de Cavalcanti)
pour retrouver les restes du trésor.
La scène finale se déroule dans la caverne du trésor.
Elle oppose Valentin à Benedetto dans un duel où ce
dernier est tué après avoir vu apparaître Monte-Cristo
lui-même. Le trésor est remis aux héros des opprimés,
qui apprennent que Monte-Cristo (joliment appelé par
tout le monde "le grand comte") n'était en fait pas mort
et avait veillé jusqu'au bout au sort réservé à sa
fortune.
Le
trésor de Monte-Cristo s'inscrit dans le
prolongement du premier livre de Lermina. Quelques
sérieuses faiblesses l'entachent: multiplication des
"résurrections" de personnages morts dans le premier
épisode, réapparition totalement artificielle de
Monte-Cristo, etc.. Le livre n'en est pas moins bien
écrit. L'utilisation des personnages issus du roman de
Dumas (les Morel et leur fils, Ali, Cavalcanti et son
fils, et toujours l'abject Benedetto) est habile. Les
évocations des horreurs de la répression tsariste ou de
la colonisation anglaise en Inde ne manquent pas de
puissance. Le message politique de Lermina est encore
plus accentué que dans Le fils de Monte-Cristo,
ce qui contribue à donner à cette suite une saveur toute
particulière.
Extrait: dernière page
Mais, à ce moment, il sembla (à Benedetto) voir la
muraille s'écarter... et une apparition inouïe,
formidable, se montra à lui...
C'était un vieillard, de haute taille, à la longue barbe
blanche, au front rayonnant, aux yeux magnétiques...
- Monte-Cristo! cria Benedetto.
Et au même instant, l'épée de Valentin fit un trou dans
sa poitrine.
Benedetto tomba en avant, sur les mains.
- Monte-Cristo ! répéta-t-il, malédiction...
malédiction...
Il se raidit dans un dernier spasme et retomba mort...
............................................................................................
Etait-ce une vision?
Ou bien Monte-Cristo était-il sorti de la tombe pour
punir le bandit qui s 'était fait l'adversaire de tous
ceux qu'il aimait ?...
A quelque temps de cela, dans un hôtel du bois de
Boulogne, à Paris, le club des Terre-Neuve tenait
séance.
Soïloff présidait, ayant Bouche-Rouge à sa droite et
Gordon à sa gauche.
- Frères, dit-il, j'ai à vous faire connaître les
suprêmes volontés du comte de Monte-Cristo...
" Vous l'avez entendu vous-même vous expliquer comment,
ayant songé à mourir lorsque son enfant lui a été
enlevé, le grand comte déjà couché volontairement dans
sa tombe avait ressaisi le courage de vivre.
" Il avait encore une tâche à remplir. Il voulait que
ses immenses richesses tombassent en des mains qui les
employassent à une cause sainte...
" C'est à nous qu'il a légué définitivement ces sommes
énormes, six cents millions...
" A nous qui avons recueilli le dernier soupir du
centenaire qui n'attendait pour mourir que d'avoir
trouvé les hommes qu'il cherchait.
" Il nous a jugés dignes d'être ces hommes...
" Et voici ce qu'il nous a dit:
" Délivrez les peuples opprimés, ébranlez les colosses
brutaux, soyez les ennemis et les vainqueurs de la
force, soyez les champions du droit...
" Délivrez l'Irlande, délivrez la Pologne, délivrez le
Canada, délivrez les Indes, délivrez l'Alsace et la
Lorraine!
" Attendez l'heure, mais soyez prêts.
" Chacun de vous représente une nationalité. Qu'il vive
pour elle et pour la grande cause de la liberté! Citoyen
d'une patrie, qu'il soit le citoyen de toutes les
patries!...
" Frappez au coeur l'Angleterre égoïste, la Prusse
brutale, la Russie persécutrice...
" Jamais cause ne fut plus grande.
" Moi, j'ai perdu ma vie en des luttes stériles et
égoïstes. J'ai puni des hommes; vous, punissez les
peuples coupables.
" Mais que toujours vous soyez guidés par le flambeau de
justice!
" Adieu, mes amis, et que le trésor de Monte-Cristo vous
serve à régénérer le monde.
" Amis, jurons d'obéir à la volonté de Monte-Cristo.
Tous ces hommes répondirent
- Nous le jurons!
Et aujourd'hui ces hommes attendent l'heure propice.
Déjà des convulsions sourdes annoncent que l'heure
vient, que leurs efforts touchent au but...
Selon la volonté suprême de Monte-Cristo, les coupables
seront frappés, les innocents seront délivrés... et, sur
la tombe du grand comte, les fils des persécutés
d'aujourd'hui viendront bientôt jeter comme une prière,
comme un hymne d'amour et de reconnaissance, les mots
qui résument toute la vie des peuples...
JUSTICE! LIBERTE!
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