C’est du Pont, mon éminence! Mémoires inédits de Nicaise du Pont de la Bouze de Bedousse, le cinquième mousquetaire
Jean Burnat
238 pages Amiot-Dumont, Paris - 1955 - France Humour - Roman
Intérêt: **
Ces Mémoires retracent la vie de Nicaise du Pont,
gentilhomme béarnais imaginé par Jean Burnat et ayant
fait toute sa carrière de soldat aux côtés –
ou dans l’ombre – des mousquetaires
de Dumas.
Jeune homme sans le sou montant à Paris pour y faire fortune,
du Pont se trouve rapidement mêlé à toutes sortes
de grands événements, au contact des plus hauts personnages
de la Cour. Mais, le lecteur s’en rend bien vite compte, le
Béarnais est terriblement vantard. A en croire ses Mémoires,
il a joué un rôle déterminant – quoique
malheureusement passé inaperçu – dans les épisodes
les plus importants de son époque.
Du Pont s’attribue ainsi sans vergogne une bonne partie des
exploits des Mousquetaires, et singulièrement de d’Artagnan.
Et cela dès le début: la fameuse bataille entre les
mousquetaires et les gardes du cardinal, qui scelle l’amitié
des quatre héros de Dumas, c’est lui! C’est lui
tout seul qui a tué tous les gardes du cardinal – qui
étaient d’ailleurs au nombre de trente! – et qui
en a fait «cadeau» à d’Artagnan… Les
ferrets de la Reine? C’est lui qui les a retrouvés (d’Artagnan
était bien allé les chercher, mais les avait perdus).
La prise de La Rochelle? C’est lui, etc… Jusqu’à
Constance Bonacieux qui était sa maîtresse – aucune
femme n’a jamais résisté à du Pont –
alors que d’Artagnan jouait les amoureux transis…
En dépit des innombrables exploits qu’il s’attribue,
le malheureux Nicaise n’en tire guère profit. Il faut
dire que ses gaffes l’empêchent de faire à la Cour
la carrière qu’il mériterait. Cela dit, tout ce
qu’il raconte n’est pas de la pure affabulation: les
relations qu’il a eues avec une Reine, et la preuve bien visible
qui en est résultée, lui vaudront d’être
emprisonné – sous la garde de d’Artagnan –
pour le reste de ses jours sous un masque de fer!
«Tournant» sans cesse autour du roman de Dumas en y
apportant des éclairages inattendus, le livre de Burnat est
fort amusant. Il se caractérise par une langue très
travaillée, truffée de mots et d’expressions d’époque,
au point de nécessiter huit pages de glossaire à la
fin du livre.
Extrait du chapitre 8 Comment Porthos et moi allumâmes
nos pipes; comment Filantrope faillit faire rater un beau mariage; comment je sauvai la France en attrapant la culotte d’un ambassadeur
et comment d’Artagnan partit pour Londres à cause de
ferrets qui ne plaisaient plus à sa Majesté la Reyne
L'élue de mon cœur se nommait Constance, prénom
prometteur, et son mari Bonacieux, nom qui ne disait rien. Ce cocu
important avait sévi dans la mercerie et il avait tellement
volé l'élégant sur les gants de senteur et le
taffetas gaufré qu'il s'était retiré, fortune
faite.
D'Artagnan s'était trouvé aller loger chez ce frelaure
qui était râpeux de la générosité
au point de ne jamais faire l'honneur de sa cave aux gentilshommes
qui rendaient visite à son locataire.
Constance Bonacieux était aussi fine mouche que son gras-à-lard
de mercier était lourdas; elle tenait la lingerie de Sa Majesté
la jeune Reyne, avec qui elle était à tu et à
toi, rapport aux secrets d'Etat qu'elles faisaient ensemble.
D'Artagnan, sous ses dehors d'avaleur de poil et de plume, n'était
pas homme à casser les oreilles de ses galantes, qui se gaussaient
entre elles de sa maladresse parcimonieuse au déduit. Depuis
qu'il servait comme garde au régiment de M. des Essarts et
portait soubreveste de soldat, il s'était mis en tête
d'encorner celle de M. Bonacieux et, pour en arriver là, se
donnait, avec des airs de mystère, des façons d'amoureux
transi. Et je me roule dans une cape, et je me tords les yeux en friture
de merlan, et je rase les murailles, et je soupire, et je transpire,
et chou blanc.
Il passait ses journées à plat ventre dans la chambre
que lui avait louée M. Bonacieux pour essayer de voir l'adorable
Constance. Seulement, Constance elle n'était jamais là
et d'Artagnan, il n'avait que le mercier pour se rincer l'oeil.
Depuis qu'il traînait son mousquet devant la guérite
du Louvre, mon jeune compagnon était devenu fier comme les
coqs de son pays, qui portent d'autant plus haut la crête qu'ils
n'ont plus de plumes au fondement, et il cherchait à nous en
faire accroire à tous, avec son fameux amour pour Constance
à qui il débitait des madrigaux de zani à faire
fleurir le soufre.
—Alors, monsieur le garde, ça va comme vous voulez? on lui demandait par politesse.
Il vous prenait le bras:
—Non, rien ne va plus. Ma Constance a encore été
enlevée cette nuit!
—C'est les gardes du cardinal, on lui répondait.
—Je m'en doutais.
Et il repartait en remâchant sa colère.
Constance et moi, on s'esbaudissait de la chose, vu qu'on avait
passé la nuit ensemble, dans ma nouvelle chambre de la rue
Neuve-des-Champs, rapport que je ne pouvais pas emmener une si belle
demoiselle dans un appartement que je partageais avec Porthos.
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