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Le dernier amour d’Aramis
Ou les vrais Mémoires du chevalier René d’Herblay, qui devint évêque de Vannes, duc d’Alameda, Grand d’Espagne, ambassadeur de Sa Majesté Très Catholique, Préposé général des Jésuites, et fut mousquetaire du Roi de France dans la compagnie de M. de Tréville sous le nom d’Aramis

Jean-Pierre Dufreigne

217 pages
1993 - France
Roman

Intérêt: ***

 

Sans nul doute le plus ambigu des quatre mousquetaires, Aramis est aussi - ce n'est sûrement pas un hasard - le seul survivant à la fin du Vicomte de Bragelonne. Bien des années plus tard, le voici vieillard, aveugle, dans son palais de Saragosse, comblé d'honneurs et de richesses, mais seul, toujours seul.

Jusqu'à ce qu'arrive sa filleule Louise-Charlotte, orpheline et libertine. Entre le septuagénaire et la très jeune femme se noue alors une passion intense et scandaleuse qui consumera les derniers jours de l'ex-mousquetaire.

C'est pendant ces quelques mois frénétiques qu'Aramis dicte ses mémoires, destinés à sa jeune maîtresse. Le vieil homme s'y livre tout entier, racontant son enfance, ses années de formation, d'initiation, sa passion pour les femmes, l'intrigue, le pouvoir. Et son cynisme, sa solitude.

Dans la grande amertume qui imprègne cette vie pourtant apparemment marquée du sceau du succès - Aramis est parvenu au faîte des honneurs et de la fortune - l'amitié avec les trois mousquetaires disparus, ainsi que l'amour de deux femmes (la première et la dernière) sont les seuls rayons de clarté.

Ces Mémoires, qui mêlent sombres méditations et morceaux de bravoure (comme le duel au pistolet où le vieillard a le dessus sur un jeune rival malgré ou grâce à sa cécité) tracent un portrait fascinant et subtil du moins aimé des mousquetaires.

Superbement écrit, Le dernier amour d'Aramis est peut-être le plus bel hommage récent aux Trois Mousquetaires, comme les Mémoires de Monte-Cristo de François Taillandier, peuvent l'être pour l'autre grand héros de Dumas.

 Voir l'arbre généalogique d'Aramis


Extrait du chapitre L'abbé et le lieutenant

Tréville et Athos et Porthos, Chevreuse et Guéménée, d'Harcourt et La Puisaye et la Reine et le Roi, les fossés des Tuileries et l'hôtel de la rue de la Harpe, plus quelques ombres dans la rue aux Ours. Dans Paris, rien n'avait changé. Au registre des nouveautés, deux seules silhouettes. Le cardinal, Armand du Plessis de Richelieu, dont l'ombre s'étendait sur notre coterie, sur la cour, la France et le Roi. Un géant dans un petit corps, une volonté à laquelle nous cherchions à échapper. Dans nos rangs, un titan débutant, efflanqué, moustachu, brun de peau, nerveux, famélique et insolent comme un écolier, Charles de Batz de Castelmore d'Artagnan. Pour un Gascon, c'était modestie de n'enfiler que trois noms à son lever.

Un lion et un enfant, voilà le changement dans l'habituelle litanie de troubles de Rouen jusqu'en Provence, d'Aunis en Aquitaine, dans le Roussillon et les Cévennes. Le Roi et son ministre pacifiaient la France, bousculaient les protestants, leur laissant, comme l'exigeait la mémoire du feu roi Henri, la liberté de leur culte. Le Roi et ses soldats se battaient contre des princes, les Rohan, les Soubise. Nous suivions, nous ferraillions, montions aux premières lignes. Aux heures de paix, un duel nous remettait en train. Mais ces affaires-là étaient vues d'un mauvais oeil par le nouveau ministre. Des Français s'entre-tuant devant les Habsbourg applaudissant comme à la comédie, et qui grignotaient nos frontières, prêts à avaler quelques places négligées dont les noms reposaient sous certain pli enfermé en Avignon. Et que je taisais.

Mon oncle mort, je ne confiais rien à personne sinon à ce brelan d'amis et aux belles dames de la coterie de la Reine. On ne pouvait plus qualifier cette engeance de parti, l'ombre du cardinal avait tout rétréci si l'on mesurait à son aune. D'Artagnan m'amusait mais je m'en méfiais. Si Athos me perçait à jour, toujours avec indulgence et affection, le Gascon me surveillait et me jugeait. Il avait un oeil d'aigle des Pyrénées et fourmillait d'inventions quand nous étions désargentés, c'est-à-dire chaque jour que Dieu nous octroyait. En cas de disette prolongée, Athos se retranchait derrière un rempart de flacons vides et décrétait: "D'Artagnan aura une idée." Le Gascon répliquait: "Et Aramis une duchesse." J'écrivais un poulet. Des pistoles répondaient. D'Artagnan tomba amoureux d'une lingère de la Reine et épouse d'un riche aubergiste, Mme Bonacieux. Un souvenir me pinça l'âme mais je m'abstins de geindre. Son prénom lui seyait: Constance. Elle était de notre cabale à la fois espagnole, ultramontaine et anglaise. Quel fouillis! La Reine avait une tête têtue, mais manquant de sagesse et d'ordre. Nous n'étions qu'un ramassis de mécontentements. Nous vibrionnions, nous n'agissions pas, dans un désordre d'idées et de contrordres. Mais quel sourire à la bouche de Mme de Chevreuse! Comme elle s'amusait! Cela me suffisait et mes amis m'aidaient en soupirant. Cela les délassait. Comme d'estafiler un peu la peau des gardes du cardinal. L'intrigue nous servait de jeu d'échecs, le duel entretenait nos muscles comme la courte paume. Le Roi nous grondait par devant, nous récompensait dès que le cardinal tournait le dos. M. de Tréville nous protégeait, nous félicitait et nous invitait à souper. Alors nous mangions à notre faim. L'héritage de l'oncle avait fondu comme savon en lessive. Athos était ruiné, Porthos à peine voleur. D'Artagnan ignorait jusqu'au son du mot argent. Moi, je pensais à Mgr Mazarini qui explorait l'Église pour y trouver de l'or et en entassait dans ses caves des tonneaux entiers. Ma casaque bleue à croix d'argent me plaisait mais une bonne soutane et un gracieux collet offriraient un autre rapport. Le temps n'était pas encore prêt pour que j'abandonne le service. Et puis j'avais enfin des amis. Chacun risquant cent fois d'être tué, chacun tenant au bout de son épée la vie des trois autres.

Nous eûmes des coups d'éclat à nous mériter un duché-pairie et des coups bas à nous valoir le cachot. Nous restâmes pauvres et mousquetaires. Porthos calculait la rente d'un mariage à une belle dot. D'Artagnan rêvait au bâton fleurdelisé de maréchal de France. Athos ne désirait rien même pas le lendemain. Moi, dans le désordre où je nageais comme poisson en eau vaseuse, je notai les foucades de Gaston d'Orléans, les informations lâchées par Marie de Chevreuse dont j'étais encore un peu l'amant et bientôt l'ami car la belle duchesse avait ce talent que tous ses amants restèrent ses amis. Les sottises de la Reine qui dut avoir de bien mauvais professeurs pour une infante car elle n'en gagna aucun esprit politique. Le Roi l'eût-il aimée mieux, ceci pour la défense de notre souveraine, qu'elle ne se fût point entichée de n'importe quelle idée soufflée par un visage plaisant ou un rire de femme, ou par un ministre anglais. Je notais, je notais et cachais ces minuscules écrits sous le tablier de ma cheminée. Au-delà de tout espoir, cela me servira. D'abord brimborions d'intrigues, ils prirent du poids pendant quatre lustres jusqu'à me sacrer évêque, puis bien au-delà.


 

 

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