Jérémie ! Jérémie !
Dominique Fernandez
298 pages Grasset - 2005 - France Roman
Intérêt: *
Curieuse histoire que celle de ce roman contemporain,
centré sur un étudiant français parti à la découverte
d’Haïti, mais qui évoque sans cesse Alexandre Dumas…
Le
personnage principal, Fabrice Jaloux, est étudiant en
lettres à Paris. Il cherche à faire un mémoire de DEA
sur son auteur favori, Alexandre Dumas, mais les
professeurs d’Université ne veulent pas en entendre
parler. Ce qui vaut d’ailleurs des scènes des plus
réjouissantes au début du roman. Le premier enseignant
considère que Dumas est un auteur pour enfant, le
deuxième ne s’intéresse qu’à la théorie littéraire et
n’accepterait comme sujet de mémoire que «Porosité de la
frontière entre mimésis et diégésis dans le roman
dumassien». Quant à la troisième, elle estime que «seul
les cow-boys peuvent aimer Dumas!».
Fabrice est quelque peu démoralisé par cet échec,
d’autant qu’il traverse en même temps une crise
sentimentale – il ne sait plus où il en est avec sa
fiancée – et d’identité – il vient d’apprendre que son
père, qu’il idolâtrait, était en fait collaborateur
pendant la guerre…
Du coup, il décide de se joindre à un groupe de jeunes
partant faire du travail humanitaire en Haïti. De quoi
se changer les idées et, en même temps, enquêter sur un
sujet qui le passionne: les origines familiales de
Dumas, dont le père est né en Haïti des amours d’un
aristocrate français et d’une esclave noire.
Le petit groupe, qui comprend entre autres un Russe, un
Italien et des Belges, débarque dans l’île et s’installe
à Jérémie, ville d’origine de la grand-mère de Dumas.
Ils découvrent l’effroyable misère des Haïtiens, mais
aussi leur vitalité et leur joie de vivre.
Les jeunes Européens commencent leur travail humanitaire
(enseignement, etc.) mais ils découvrent vite que ce que
l’on attend d’eux, c’est de former du personnel pour des
hôtels de luxe dont la construction vient de commencer.
Organisé par un mystérieux et tout puissant Consortium,
le projet apparaît à Fabrice et ses amis comme devant
ruiner la région et exploiter ses habitants. Le
Consortium essaye d'acheter leur collaboration (voir
extrait ci-dessous), mais en vain. Dans un climat de
plus en plus violent, ils s’opposent au projet – et
l’histoire se termine très mal.
La partie de l’intrigue qui tourne autour des projets du
Consortium est à dire vrai assez peu convaincante.
L’auteur, qui décrit de façon frappante la terrible
misère des Haïtiens, semble considérer qu’un projet de
développement touristique serait une catastrophe pour le
pays. Il est vrai que, pour faire bonne mesure, il fait
du Consortium une entreprise assassine, qui n’hésite pas
à envoyer des petits enfants pêcher des tortues dans des
rivières infestées de crocodiles, causant la mort de
nombre d’entre eux!
Le roman ne s’en lit pas moins agréablement, du fait
notamment de ses belles descriptions d’Haïti. Et
l’omniprésence des références à Dumas, à l’histoire de
son père et de sa grand-mère, ne peuvent qu’intéresser
les fans de l’écrivain.
Extrait du chapitre 28
«Et puis, mon cher Fabrice, vous êtes attaché à
Alexandre Dumas et à sa famille, si je ne me trompe?
Vous travaillez sur son œuvre? Vous avez donc avantage à
la faire connaître le plus largement possible? Quand
votre thèse sera imprimée, vous aimerez qu'elle se
vende? Hé! hé! on a ses intérêts d'auteur! On ne vit pas
que d'eau fraîche et d'idéalisme humanitaire! Fonds
de boutique aussi riche, ne se laisse pas en friche.
Proverbe vaudois. Moi-même je n'ai pas lu grand-chose de
Du-mas, mais un type qui a pondu des centaines de
bouquins mérite le respect. Quel gaillard! Bien trop
négligé aujourd'hui, n'est-ce pas? Vous n'avez pas
trouvé sans peine un directeur de travaux? Votre fonds
de commerce pourrait vous rester sur les bras? A vous,
mon cher, de le revaloriser, par des initiatives
pratiques, des méthodes modernes de promotion. Le
Consortium, je m'en porte garant, vous prêtera un coup
de main.»
La réfection de la place Alexandre-Dumas et la pose de
plaques copiées sur le modèle parisien n'étaient qu'un
début. Le projet incluait l'ouverture d'un musée
Alexandre-Dumas. On y exposerait les livres de Dumas,
très populaires à Jérémie, des photographies de Dumas,
des objets évoquant la période coloniale de ses
grands-parents paternels, avec tact, évidemment, pour ne
pas froisser la susceptibilité de la population. Mais
surtout, on vendrait dans la boutique annexée au musée
une série d'artiles dérivés qui porteraient loin dans le
monde la gloire du père des Trois Mousquetaires
car les touristes ne voudraient pas avoir bronzé idiots
et repartiraient de Jérémie en emportant dans leurs
bagages des tee-shirts marqués à l'effigie de Dumas, des
compotes de mangue, des gelées de goyave dans des pots
étiquetés Dumas, des bouteilles de rhum grand cru
Dumas...
«Mon cher Fabrice, vous pourriez aménager ce musée, le
gouverneur ne serait pas opposé à prélever dans son
budget un poste de conservateur-bibliothécaire. Quant à
moi, évidemment, je me ferais un plaisir d'appuyer votre
candidature, non sans suggérer au Consortium d'étoffer
vos appointements...»
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