Mademoiselle Monte-Christo
Charles Bernard-Derosne
260 pages Les Publications Littéraires Illustrées - France Roman
Intérêt: *
Note : dans le titre de cet ouvrage, Monte-Christo
s’écrit bien avec un H.
Ce roman est extrêmement peu connu. Il ne figure pas
dans le catalogue de la Bibliothèque Nationale. Il est
paru en feuilleton dans Les Publications
Littéraires Illustrées – Journal du Jeudi publié
par M. Bord, libraire à Bordeaux. Mademoiselle
Monte-Christo a rempli presque intégralement les
numéros 38 à 76 de la revue, chaque numéro comprenant
également de petits contenus de complément: textes ou
partitions de chansons, rébus, etc…
L’auteur, Charles
Bernard-Derosne (1825-1904), semble avoir été surtout
actif comme traducteur de l’anglais vers le français. Il
n’est donc pas impossible que ce livre soit une
traduction. Mais à la lecture, rien ne donne cette
impression.
L’histoire est celle de Catherine Dangerfield. Cette
jeune fille d’excellente famille vit dans la somptueuse
propriété familiale, dans la campagne anglaise, en
compagnie de son père, veuf, qui l’adore. Seule
héritière de la fortune familiale, elle est courtisée
pour cette raison par son cousin Richard Dangerfield,
qu’elle déteste. Impulsive et fantasque, elle se prend
de passion pour un bel Américain dont on ne sait rien,
Gaston Dantrée.
Elle obtient de son père d’épouser cet homme, contre le
premier sentiment du vieil homme qui a bien senti chez
Dantrée l’aventurier coureur de dot.
Tout souri donc à Catherine: elle est séduisante,
riche, idolâtrée par son père, fiancée à l’homme qu’elle
aime. Mais entre en scène une mystérieuse Mme Vavasor, à
qui le père de Catherine semble ne rien pouvoir refuser.
Elle s’installe dans la propriété familiale et ne
dissimule pas sa haine pour Catherine.
De fait, le jour du mariage, Mme Vavasor fait éclater
le scandale: Catherine est une enfant d’origine inconnue
qui a été substituée à la vraie fille des Dangerfield.
Du coup, le véritable héritier de la fortune familiale
est le cousin Richard. Le fiancé Gaston Dantrée la
laisse tomber, bien sûr, et son père meurt sous le choc.
En quelques heures, Catherine a perdu son père, son nom,
sa fortune, son fiancé. Frappée au plus profond de son
être, elle meurt aussi et est enterrée dans le village
voisin. Avant de mourir, elle a prévenu tous ses ennemis
que, morte ou vivante, elle reviendrait se venger…
Quelques années plus tard, Richard Dangerfield est à la
tête de la fortune familiale. Il est marié et une
cousine de sa femme, ainsi que le père de la cousine,
vivent chez lui. Sa femme, qui n’a jamais connu
Catherine Dangerfield, engage une gouvernante, Mlle
Herncastle. Son arrivée fait sensation car elle
ressemble comme deux gouttes d’eau à la défunte
Catherine. Pas étonnant: c’est bien elle. Catherine
n’était en fait pas morte (elle était juste tombée en
catalepsie) et elle revient ainsi après six années
passées en Amérique, pas du tout changée, et tout le
monde s’extasie sur la ressemblance sans chercher plus
loin…
La gouvernante lance alors son œuvre de vengeance,
essentiellement contre Richard Dangerfield. Elle le
terrifie en jouant aux revenantes, elle lui fait perdre
de très grosses sommes au jeu, etc… A cela se mêlent de
très complexes histoires d’amours contrariées, d’enfants
qui ne sont pas ce que l’on croit mais qui, par le plus
heureux des hasards, retrouvent aussitôt leurs vrais
parents, etc… Autant d’imbroglios sentimentaux et
mondains, à base de coïncidences monstrueuses, dans
lesquels on se perd un peu. Tout finira plutôt bien.
L’histoire est donc bien directement inspirée du roman
de Dumas, comme revendiqué dans le titre. Notons au
passage que la référence à Monte-Cristo est
réservée au titre et ne figure jamais dans le roman.
La première partie – la chute – est la plus fidèle à
son modèle et la plus convaincante. La vengeance, en
revanche, s’en éloigne davantage et sombre parfois dans
le roman mondain.
Loin d’être un chef d’œuvre, le livre se lit cependant
assez agréablement. Les personnages sont bien campés et
la description de la vie de la gentry dans la campagne
anglaise au XIXème siècle est assez réussie.
Extrait de la troisième partie Le beau
spahi, chapitre XI Chassée à outrance
- Je confesse, continua-t-elle, que je me suis rendue
coupable de tous les crimes mis à ma charge. Je suis
Catherine Dangerfield. J'ai été enterrée et je suis
sortie du tombeau, et, après cette résurrection, ma
nature a semblé changée. Toutes mes pensées s'étaient
absorbées sur un seul sujet... mes griefs, au point, je
crois, que la tête m'en avait tourné. Je m'enfuis de la
maison de mon fidèle et loyal ami, Henry Otis, et je
suis allée en Amérique. J'y suis devenue l'actrice de
New-York que vous avez si habilement reconnue.
D'Amérique j'écrivis à Otis, je lui dis de faire
enterrer décemment Gaston Dantrée, s'il était mort, et,
s'il était vivant, de lui donner de l'argent pour
quitter l'Angleterre; que, s'il vivait et que sa raison
ne lui fût pas revenue, comme je le craignais, il
l’envoyât au Trou-Perdu et non dans un asile. Je
désirais qu'il fût soigné, et j’avais entendu dire
d'horribles choses de ces asiles ouverts à la folie. Je
savais qu'Hannah serait bonne pour lui par affection
pour moi.
» Quand tout espoir fut perdu, Otis m'obéit et pendant
près de cinq années, Gaston Dantrée a été le spectre du
Trou-Perdu. D'habitude, il est tranquille et inoffensif,
mais, parfois, il pousse des cris terribles et cherche à
s'échapper de sa chambre. Il a besoin d'être
incessamment surveillé.
» Pendant ces cinq années, je suis restée à New-York.
je me suis livrée avec ardeur au travail qu'exigeait ma
profession, et je me suis fait une position. Je gagnais
de l'argent et je l’amassais comme une avare. Chaque
jour de chaque année devenait de plus en plus forte ma
détermination de revenir en Angleterre pour tenir le
serment que je m'étais fait. Je vous le dis encore, je
crois qu'il y a des moments où je devenais folle. La
mort seule aurait pu me faire reculer.
» J'attendais patiemment, tout en brûlant d'impatience.
Je travaillai, j'amassai, et enfin mon jour vint. Je
revins en Angleterre et je m'introduisis dans la famille
de sir Richard Dangerfield. Ma vengeance avait commencé.
Ceci, vous le savez, ne remonte qu'à quelques semaines.
Je jouais d'abord une mauvaise partie, je jouais pour
perdre. Je savais que mon secret ne pouvait ne pas être
découvert, mais j'osais tout.
Le sort, dans un sens, s'est déclaré en ma faveur:
j'avais un double motif en revenant en Angleterre;
d'abord me venger, ensuite découvrir ma famille. J'avais
un indice, et, chose étrange, en poursuivant un but, je
travaillais à atteindre l'autre. Vous savez ce qui
suivit. Je jouai le rôle de revenant. Lord Ruysland
avait raison, et j'ai terrifié le possesseur de
Scarswood comme jamais, je crois, il n'avait été
terrifié. Je faisais la nuit des visites au Trou-Perdu,
je n'osais pas m'y rendre le jour. Vous vous rappelez
tout cela, sans doute. II y a une issue dont on ne fait
plus usage, par laquelle je sortais et je rentrais.
» Lady Dangerfield m'a tyrannisée et insultée dès le
principe; je pense lui avoir bien fait payer ses
persécutions. Enfin, jouant le rôle de Gaston Dantrée,
j'ai gagné à sir Richard Dangerfield cet or qu'il
idolâtre. Pourquoi ai-je joué le rôle de Gaston Dantrée?
c'est à peine si je le sais moi-même. Sir Richard était
trop aveugle pour me reconnaître et, c'est une fantaisie
qui s'est emparée de moi. Combien de temps cela
aurait-il duré et comment cela eût-il fini, si vous ne
me m'aviez pas reconnue, sans vos soupçons et vos
découvertes? Je l'ignore.
» Je n'ai pas à avoir de rancune contre vous. Vous
faisiez votre devoir et je vous honore pour l'avoir
fait. Quant à sir Arthur, il n'y avait guère sujet de
tant vous effrayer. Je voyais un triomphe à l'enlever à
lady Cecil, à exciter la colère de lady Dangerfield;
mais, toute mauvaise que je sois, je ne pense pas que
j'aurais été assez vile pour l'épouser, lors même qu'il
m'aurait offert sa main. Il ne m'avait jamais fait de
mal et je ne faisais la guerre qu'à ceux qui me
l'avaient faite.
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