Monte-Cristo
Marcel Dubois
104 pages Les Editions de l’Amicale - 1952 - France Pièce de thêatre
Intérêt: **
Cette "pièce en cinq actes et huit tableaux d'après
le roman d'Alexandre Dumas" constitue une
adaptation théâtrale à destination des troupes
d'amateurs. Un objectif qui impose de très sérieuses
contraintes: effectifs modestes, nombre de décors réduit
au minimum, brièveté. A titre de comparaison, rappelons
que l'adaptation théâtrale réalisée par Dumas lui-même
comprend quatre pièces successives de respectable
longueur, avec plusieurs dizaines d'acteurs.
Sur le premier point,
la pièce de Dubois réduit à dix-sept le nombre de
personnages permettant de retracer la saga de
Monte-Cristo du début à la fin. Encore est-il précisé
que "en dehors des rôles d'Edmond Dantès, de
Danglars, de Caderousse et de Fernand Mondego, tous
les autres rôles masculins peuvent être doublés en
utilisant des combinaisons diverses. La distribution
est ainsi ramenée à douze personnages (neuf hommes et
trois femmes)".
Les décors sont au nombre de trois seulement: le cachot
du château d'If, le salon du comte à Paris, et surtout
le restaurant de Marseille qui sert au début (pour
l'arrestation de Dantès), au milieu (quand, libre, il
enquête sur les circonstances de son arrestation) et à
la fin (pour le dénouement de sa vengeance).
Entre ces contraintes matérielles et la nécessité de
produire un spectacle relativement bref, le texte est
réduit à sa plus simple expression. Les grandes lignes
sont respectées au prix de lourds sacrifices: la
suppression du personnage de Villefort, par exemple. La
fin est également fortement modifiée pour la rendre
"jouable", avec l'arrestation de Danglars à Marseille.
Cette adaptation est loin d'être un chef d’œuvre. Mais,
sans prétention, elle atteint sans doute plutôt bien son
ambition: permettre à des acteurs amateurs de bien
s'amuser en entrant sur scène dans la peau de
Monte-Cristo, Faria ou Mercédès!
Extrait de l'acte cinq
SCÈNE I (fin)
DANGLARS, avec désespoir - Et voilà. Avoir
connu la richesse, les honneurs, et tomber brusquement
dans la détresse la plus noire!... Avoir été riche et
être à la veille de mourir de faim! C'est atroce!
MONTE-CRISTO, qui est entré sans bruit au fond.
- Oui, Danglars, c'est atroce de mourir de faim, mais
cela est arrivé à d'autres, à d'autres qui ne le
méritaient pas.
(Danglars et Caderousse se sont retournés.
Monte-Cristo ferme à clef la porte de la rue et
descend en scène.)
SCÈNE II
MONTE-CRISTO, DANGLARS, CADEROUSSE.
DANGLARS, abasourdi. - Le comte de
Monte-Cristo!
MONTE-CRISTO. - Vous vous trompez, Danglars, je ne suis
pas le comte de Monte-Cristo.
DANGLARS. - Mais...
MONTE-CRISTO. - Le comte de Monte-Cristo n'existe pas.
Il n'a jamais existé.
DANGLARS. - Qui êtes-vous donc?
MONTE-CRISTO. - Je suis celui sur lequel vous avez
marché pour vous hausser jusqu'à la fortune. Je suis
celui dont le père est mort de faim par votre faute... (Il
s'approche de Danglars.) Regardez-moi, Danglars,
regardez-moi bien... Cherchez très loin dans vos
souvenirs... Je suis Edmond Dantès!...
CADEROUSSE. - Mon Dieu!
DANGLARS, dans un cri. - Dantès!
MONTE-CRISTO. - Oui, Edmond Dantès que vous avez
calomnié, vendu, déshonoré, ici même, il y a vingt-deux
ans...
DANGLARS. - Edmond Dantès! Ah! je comprends tout... ce
mépris, cette haine que je devinais en vous,
l'acharnement que vous mettez à me perdre. Ainsi donc,
vous me poursuiviez jusqu'à Marseille et c'est vous qui
avez donné des instructions à la banque Thompson pour
qu'elle refuse de me payer le million qui m'appartenait.
MONTE-CRISTO. - Cet argent ne vous appartenait plus. Je
l'ai fait verser aux hôpitaux à qui vous avez volé six
millions. Je me charge de rembourser les cinq autres
grâce aux pertes que je vous ai fait subir dans vos
opérations de Bourse.
DANGLARS. - Vous, c'était vous...
MONTE-CRISTO. - Oui, Danglars, le moment est venu de
payer.
DANGLARS. - Je vous en supplie, Dantès, je ne demande
même plus la liberté, mais au moins laissez-moi vivre.
MONTE-CRISTO. - Rassurez-vous, vous aurez la vie sauve.
Pareille fortune n'est pas arrivée à votre complice
Fernand.
DANGLARS. - Qu'allez-vous faire de moi?
MONTE-CRISTO. - Rien. C'est à d'autres qu'il appartient
de vous juger.
(A cet instant, on entend frapper à la porte de la
rue.)
UNE VOIX, à la cantonade. - Au nom de la Loi,
ouvrez.
DANGLARS, d'une voix tremblante. - Qu'est-ce
que c'est?
MONTE-CRISTO, à Caderousse. - Allez voir.
CADEROUSSF, après avoir regardé à la fenêtre. -
La police.
LA VOIX, à la cantonade. - Ouvrez.
(Monte-Cristo fait signe à Caderousse d'ouvrir la
porte. Celui-ci s'exécute. Paraît le commissaire de
police que l'on a vu au début, et la scène du premier
acte va se reproduire très exactement.)
SCÈNE III
LE COMMISSAIRE DE POLICE, MONTE-CRISTO, DANGLARS,
CADEROUSSE.
LE COMMISSAIRE DE POLICE. - Lequel de vous, messieurs,
s'appelle Lucien Danglars?
DANGLARS. - C'est moi.
LE COMMISSAIRE DE POLICE. - Je suis le commissaire de
police du quartier Saint-Jean.
DANGLARS, tremblant. - Que me voulez-vous?
LE COMMISSAIRE DE POLICE. - Lucien Danglars, au nom de
la Loi, je vous mets en état d'arrestation.
DANGLARS. - M'arrêter? Et de quoi m'accuse-t-on?
LE COMMISSAIRE DE POLICE. - D'avoir détourné à votre
profit une somme de six millions appartenant aux
Hospices de Paris.
DANGLARS. - C'est faux. Je prouverai qu'il s'agit d'un
malentendu.
LE COMMISSAIRE DE POLICE. - Vous vous expliquerez
devant le juge d'instruction. En attendant, je vous prie
de me suivre.
DANGLARS. - Vous n'avez pas le droit de m'arrêter. Je
suis le baron Danglars. J'ai des amis puissants et...
LE COMMISSAIRE DE POLICE. - Ce n'est pas mon affaire.
Je dois m'assurer de votre personne. J'obéis aux ordres.
DANGLARS. - Où me conduisez-vous?
LE COMMISSAIRE DE POLICE. - Au château d'If.
DANGLARS, effondré. - Au château d'If?... (Se
tournant vers Monte-Cristo.) Au château d'If!
MONTE-CRISTO. - Oui, Danglars, mais soyez tranquille.
Vous, au moins, vous n'y resterez pas dix-sept ans. (Danglars
regarde une dernière fois Monte-Cristo et sort en
titubant, suivi du commissaire de police.)
|