Souvenez-vous de Monte-Cristo
René Reouven
199 pages 1996 - France Policier - Roman
Intérêt: **
Le triste héros de ce roman policier, un jeune homme
aigri, envieux et parfaitement amoral, convoite la
fortune de son oncle. Pour éliminer ce dernier sans être
soupçonné, il imagine d'utiliser un procédé éprouvé de
la littérature policière: dissimuler le meurtre qui
l'intéresse au milieu d'une série de meurtres ne le
concernant en rien et répondant à une toute autre
logique.
Pour ce faire, César B runel s'appuie sur Le
comte de Monte-Cristo, ou plutôt sur l'anecdote
qui a inspiré Dumas, telle que la rapporte l'archiviste
de la Préfecture de police Jacques Peuchet: l'histoire
d'une terrible vengeance menée par un homme trahi qui,
après sa sortie de prison, assassine méthodiquement ses
anciens amis. Brunel entreprend donc une série de
meurtres reproduisant fidèlement ceux rapportés par
Peuchet, en laissant à chaque fois l'inscription
"Souvenez-vous de Monte-Cristo" près du cadavre. Ce qui,
au passage, a pour effet d'inciter les policiers
parisiens chargés de l'enquête à se replonger dans les
oeuvres de Dumas...
Là où l'histoire de corse, c'est que le neveu indigne
n'est pas le seul à se souvenir de la vieille histoire.
Et en parallèle à sa vengeance fabriquée, s'en développe
une autre bien réelle...
On ne saurait en dire plus sans déflorer ce roman très
astucieux. Disons simplement que ce polar de Reouven est
des plus réjouissants et constitue un bel hommage tant
au Comte de Mont-Cristo qu'à la source
d'inspiration de Dumas!
Extrait de la première partie Les soliloques de
l'assassin
J'approfondis ma lecture. Tout de même, tout de même,
quelques-unes des feuilles évoquaient un message
mystérieux rappelant un crime antérieur, encore que la
plupart crussent à quelque plaisanterie macabre commise
a posteriori par l'un des témoins du drame. Un quotidien
spécialisé dans le calembour reprenait à ce propos une
blague éculée, introduisant l'information en caractères
gras qui n'avaient pas, hélas, la dimension d'une
manchette:
- "As-tu vu Monte-Cristo?
- Non, je n'ai vu monter personne."
Je dus attendre Le Monde de l'après-midi pour que
quelque chose de concret fût imprimé. Le journal
rapportait qu'au dire des enquêteurs l'écriteau
découvert près de Solari offrait des ressemblances
troublantes avec celui qu'on avait déposé près du
cadavre de Jean Chaubard, le mandataire aux halles
poignardé le mois précédent sur le pont des Arts. En
fait les services techniques de la rue de Dantzig
avaient à peu près établi que le matériel et la
technique utilisés pour la confection du message étaient
l'oeuvre d'une même main. Cela ne jetait pas plus de
lumière sur l'énigme. Des premières conclusions de
l'enquête, il résultait que Chaubard et Solari ne se
connaissaient pas. Il devait pourtant exister entre eux
un lien occulte, qu'on recherchait activement.
Il fallut qu'un hebdomadaire consentît à évoquer
l'affaire pour enfin lui donner le relief et la couleur
littéraires que je lui avais souhaités. Le journaliste
écrivait notamment:
"Il n'y a aucune relation apparente entre Jean Chaubard,
mandataire aux halles, et Hubert Solari, jeune cadre
dans une entreprise de publicité - ni géographique, ni
sociale, ni professionnelle. La seule qu'on leur
connaisse est ce message mystérieux déposé près des
corps: SOUVENEZ-VOUS DE MONTE-CRISTO. Alors, un cadavre
commun dans un placard? Peut-être conviendrait-il de
mieux fouiller leur passé. Peut-être s'apercevrait-on
que Chaubard, c'est Danglars, que Solari, c'est le comte
de Morcef, et qu'il serait temps de veiller à la
sauvegarde d'un troisième, voire d'un quatrième quidam,
lesquels seraient la projection perverse dans la réalité
présente du Villefort et du Caderousse d'Alexandre
Dumas..."
J'aurais embrassé le plumitif, et sans être croyant
j'adressai à quelque Dieu informel, à quelque patron
anonyme des assassins, une prière fervente pour que le
policier chargé de l'enquête prît connaissance de cet
article.
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