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Les amours de Chicot (Les Quarante-Cinq)

Edouard Cadol

596 pages
L. Boulanger - 1885 - France
Roman

Intérêt: **

 

 

 

Ce roman s’inscrit dans la série des relativement nombreuses suites données aux Quarante-Cinq de Dumas. Rien d’étonnant à ce que différents auteurs se soient livrés à cet exercice: Les Quarante-Cinq, dernier volume de la trilogie des Valois (après La reine Margot et La dame de Monsoreau), laisse un goût d’inachevé. On n’y suit pas la grande histoire jusqu’au terme de la dynastie des Valois et le sort des Quarante-Cinq et surtout du héros principal, Chicot, demeure inconnu.

Le récit des Amours de Chicot commence exactement au même moment qu’une autre suite des Quarante-Cinq, Le dernier Valois, c’est-à-dire juste avant l’assassinat du duc de Guise par le roi Henri III. L’histoire va cependant bien au-delà, puisqu’elle couvre l’assassinat du roi et la progression d’Henri de Navarre, futur Henri IV, vers la couronne. Elément intéressant de comparaison entre Le dernier Valois et Les amours de Chicot: s’ils traitent tous les deux de l’assassinat du duc de Guise, le premier prend entièrement le parti du duc contre Henri III, tandis que le second défend la cause adverse!

Si Edouard Cadol n’a aucune sympathie personnelle pour Henri III, on y reviendra, il décrit le monarque au début du livre comme ayant été réduit à un état de quasi captivité par le duc de Guise et les ligueurs catholiques: enfermé dans le château de Blois, sans aucune liberté d’action ni moyens financiers, ayant en fait à peine de quoi se nourrir. Le roi ne peut d’ailleurs même plus payer les gages de son entourage, si bien que les fameux Quarante-Cinq, qui forment sa garde privée, ont commencé à déserter.

Le premier exploit de Chicot, qui apparaît dès le début du livre, consiste d’ailleurs à apporter de l’argent à Henri III. Cet étonnant personnage, à la fois gentilhomme, bouffon du roi et ami intime de ce dernier, réussit un tour de force bien dans sa manière: au cour d’un séjour à Paris, ville tenue par les ultra catholiques, il a réussi à se faire passer pour l’un d’entre eux et à obtenir de la duchesse de Montpensier, sœur du duc de Guise, une grosse somme d’argent destinée à financer l’assassinat d’Henri III. Somme que Chicot s’empresse d’aller remettre au roi, ce qui permet à ce dernier de faire revenir les Quarante-Cinq et de reprendre le dessus dans le château de Blois. Chicot aura donc indirectement permis au roi de financer l’assassinat du duc de Guise avec l’argent destiné par les Guise à le tuer lui, Henri III!

En ce qui concerne la trame historique, le roman couvre donc la mort de Guise, celle d’Henri III tué par le moine Jacques Clément, manipulé par la duchesse de Montpensier, puis le début de la campagne du futur Henri IV pour accéder au trône de France. La trame romanesque tourne autour de Chicot, et d’abord en lui faisant jouer un rôle central dans les événements historiques. Il constitue le meilleur soutien d’Henri III (même s’il désapprouve l’assassinat du duc), il fait tout son possible pour prévenir le roi de la menace que représente Jacques Clément (en vain, bien sûr), il joue un rôle clé dans le rapprochement entre Henri III et le futur Henri IV, puisqu’il est également ami d’enfance de ce dernier.

Ensuite, Chicot et ses amours sont au centre de divers épisodes romanesques. Notons à cet égard que le pluriel dans le titre du roman est légèrement trompeur: Chicot n’a jamais eu qu’un seul amour dans sa vie. Bien des années auparavant, il a eu des relations illicites avec Marguerite, son amour d’enfance, qui a été contrainte d’épouser contre son gré l’infâme Jean de Domfront, dit Jean le Terrible, frère bâtard des Guise. Il en est résulté la naissance d’un garçon, devenu le chevalier de Val-Ré, qui ignore tout de ses parents. Chicot en a fait son compagnon, sans pouvoir lui révéler qu’il est son père. Or, Val-Ré est amoureux d’une jeune fille, Henriette de Giac, promise au non moins infâme La Motte-Serrant. Chicot se démène donc pour faire épouser Henriette par Val-Ré, ce qui n’empêche par la jeune femme d’être exposée à un autre péril: la convoitise d’Henri de Navarre qui ne tolère pas qu’une femme lui échappe. Il lui faut donc manœuvrer pour empêcher son ami futur Henri IV de déshonorer sa belle-fille. Heureusement, le gentilhomme bouffon réussit mieux à protéger son entourage affectif que son ami Henri III.


Les amours de Chicot est un roman agréable à lire, agrémenté en outre de 74 illustrations pleine page de bonne facture. L’action est bien menée, surtout dans sa composante « fiction ». Le personnage de Chicot est attachant avec sa ruse, son habileté à se jouer de ses nombreux ennemis, son affection pour les deux souverains Henri III et Henri IV, sans illusion sur leurs graves défauts. L’écriture est enlevée mais souffre parfois d’un certain relâchement avec des apostrophes directes au lecteur un peu gratuites. Enfin, Edouard Cadol, qui avait visiblement de fortes convictions républicaines et anticléricales, multiplie les attaques contre Henri III, Henri IV, le duc de Guise, les catholiques, le clergé, dans un esprit très « fin du XIXème siècle » qui colle mal avec le XVIème siècle, époque du roman.


Extrait du chapitre XIII Un pieux assassin élevé à la brochette


(la duchesse de Montpensier parlant à son demi-frère Jean le Terrible)

— Voilà, mon pauvre Jean.
Tu as tout préparé, n'est-ce pas, pour le couronnement du roi que la Ligue substitue au monstre déchu, cet Henri III, l'assassin de nos frères ?

— Tout est préparé, en effet.
Le légat nous a fait tenir la bulle du Pape, qui autorise monseigneur le cardinal de Bourbon a dépouiller la pourpre sacerdotale pour ceindre l’épée de Charlemagne et troquer la barrette contre la couronne royale.
On n'attend plus que l'arrivée de monseigneur, qui tarde un peu, nous semble-t-il.
Jusqu'aux moindres détails du couronnement, tout est disposé de façon à produire un effet majestueux.
Elu roi, sous le nom de Philippe VII, dans la cathédrale, il dépouillera la tiare aux pieds du maitre-autel de Notre-Dame de Paris. Les chefs de la Ligue, le Parlement, les quarteniers, tout le clergé, les archevêques mitrés, la crosse en main, l'acclameront, tandis qu'il coiffera la couronne et saisira le sceptre.
Puis, après une prière accompagnée d'une musique grandiose, il s'avancera sur le parvis et là, devant la foule de son peuple, il dictera la loi en attendant que les chemins soient assez sûrs pour qu'on le conduise en cortège à Reims, pour être oint de la Sainte-Ampoule.
Tel est le programme.
Qu'en penses-tu, ma sœur?

— Le plus beau du monde ! répliqua la duchesse.

— N'est-ce pas ? C'est moi qui l'ai imaginé.

— Je t'en fais tous mes compliments, mon frère ! Seulement !...

— Seulement? répéta le comte de Domfront.

— Seulement, mon ami, tu peux décommander les violons.

— Parce que ?

— Parce que il ne manque rien à l'affaire, rien que le principal objet.

— Quel objet ?

— L'intéressé, le monarque, le nouveau roi, enfin.

— Monseigneur de Bourbon ?

— Justement.

— Il est en retard, il est vrai; mais ce n'est qu'un petit retard. Il arrive, sans doute.

« — Il arrive !... il arrive !... » comme la marée ; comme les convois de vivres, de munitions, de bestiaux; comme le blé et la farine, que ces gueux de royalistes et de parpaillots navarrois, arrêtent et se partagent, dans tous les environs de la capitale.

— Que veux-tu dire ? demanda Jean le Terrible, avec inquiétude.

— Je veux dire que, pas plus que farine, blé, bestiaux, munitions, vivres. etc., Philippe VII n'arrivera jusqu'à Paris.

— Tu plaisantes ?

— Je n'en ai pas envie, je te jure, mon frère.
Mais je suis renseignée, et je sais que notre cardinal de Bourbon, au lieu d'accourir, pour mettre le comble à vos vœux, a été acheminé dans un château-fort de la Vendée, où il gémit sur la paille humide des cachots.
Ce qui d'ailleurs est une figure, ajouta-t-elle. Car la paille est un excellent lit de plumes, pas humide du tout; et le cachot, un vaste appartement très confortable, d'autant plus sûr, qu'à chaque porte, deux sentinelles et un huissier sont de planton, armés jusqu'aux dents, et prêts à le larder d'outre en outre, s'il faisait mine de vouloir s'échapper de sa prison dorée. Voilà, ce qui retarde l'arrivée de ton roi, mon bon Jean; voilà ce qui fait qu'on peut l'attendre longtemps sous l'orme, et que l'on s'est mis en frais de cérémonial en pure perte, jusqu'à nouvel ordre.

Le comte de Domfront restait consterné.

— Et sais-tu qui nous a joué ce nouveau tour, mon cher frère?

— Comment veux-tu que je devine?

— Parce que le gaillard est coutumier du fait.

— Je ne vois pas.

— Quelqu'un qui en vingt circonstances vous a bravés, ouvertement; mes pauvres frères défunts, et Mayenne, et moi-même, sans t'oublier, mon Jean, toi plus encore que nous peut-être.

— Chicot?

— Chicot ; tu vois bien que tu pouvais deviner.

Au nom du bouffon, Jean le Terrible était devenu vert, et tous ses membres s'étaient mis à trembler.

Cet homme, ce fou maudit, il l'avait toujours trouvé en travers de son chemin. Autrefois, durant l'exil, après l'explosion de l'arsenal, il lui avait repris sa femme, en avait eu un fils, et l'avait raillé, en plein visage, sous les yeux du roi.

Plus tard, il l'avait saisi, arrêté, couvert de ridicule en l'enfermant dans une cave, pendant qu'il allait à cette Marguerite, son ancienne fiancée, lui parler de ce fils dans l'hôtel même de Domfront.

Peu après, alors qu'on le tenait ce fils, ce chevalier de Val-Ré, pendant que le mari trompé, bafoué, était sur le point de se venger de la mère infidèle, et de l'enfant bâtard, l'infernal Chicot était encore intervenu, les avait délivrés, soustraits à sa haine.

Et le chevalier l'avait éborgné, rendu laid.

Et voilà encore que Chicot faisait écrouler tout le plan que lui, Jean le Terrible, avait formé de donner un nouveau roi à la France, et cela, en arrêtant, en incarcérant la future majesté, un homme d'Église !

Ah ça! est-ce qu'il avait reçu mission du ciel et de l'enfer pour contrecarrer tous les projets de cette famille des Guise, qui pourtant travaillait si pieusement pour Notre Saint Père le Pape !

— Toi, encore, dit la duchesse, il ne s'est pas joué de toi comme d'un écolier. Mais moi, qui me croyais si fine! Il m'a escroqué de beaux écus d'or, destinés à payer le meurtre du roi. Et j'avais si bien combiné mon affaire que le coup fait, je le dénonçais à la vengeance des royalistes, en fournissant des témoins contre lui, de façon à ce que, méconnaissant sa qualité de gentilhomme, il fût roué vif et tiré à quatre, à huit chevaux, en Place de Grève .
Quelle joie je me promettais d'assister à ses dernières tortures ! Quelle joie j'aurais eue de m'approcher et de lui rire au nez à cet instant suprême.
Le coquin ! m'a-t-il roulée !
Loin d'amener l'assassin à la victime, il l'a fait pendre en route.
Et quant aux écus d'or, il les a donnés au roi, pour lui rattraper la fidélité des Quarante-Cinq, qui crevant de faim, se dispersaient ; pour réchauffer le zèle de ceux qui l'ont débarrassé de notre Balafré, et de notre frère le cardinal.
Et il se moque de moi, je te dis, par dessus le marché, et il sera impossible de l'atteindre, tant que vivra son maitre, cet Henri III du diable !

 

 

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