Les amours de Fannie
Raymond Dumay
380 pages 1953 - France Roman
Intérêt: *
Ce troisième volet des aventures de Fannie (après Bonjour
Fannie et Fannie à Paris)
voit l'irrésistible écuyère
emportée dans un tourbillon de complots et d'intrigues en Belgique
et aux Pays-Bas: sociétés secrètes oeuvrant à
la chute des monarchies européennes, enlèvements, chantages,
sombres manoeuvres de l'infâme Guillaume d'Orange pour s'emparer
de Fannie, etc..
L'ensemble se lit toujours aussi agréablement, mais malheureusement
pour les amateurs de Dumas, ce dernier ne fait plus qu'une très
brève apparition au tout début du livre.
Et notre écrivain s'éclipse des
aventures ultérieures de Fannie. Dans le quatrième volume, Fannie en Orient, il est tout juste mentionné et n'apparaît
plus du tout en personne. Il revient heureusement dans le volume suivant, Fannie et sa rivale.
Extrait du chapitre 1 de Les amours de Fannie, Il est
trop tôt pour sourire
(la scène se passe le lendemain de la première de Henri
III et sa cour, la pièce de Dumas)
- Mais regardez donc par ici, Fannie, qui donc nous arrive là,
n'est-ce point quelqu'un de vos amis?
- Dumas, c'est Dumas... s'écria
Fannie.
- Alexandre Dumas? L'écrivain? questionna Saint-Véran,
je l'ai vu mais je ne le connais pas. Comment pourrait-il venir ici?
- Mais lui vous connaît et vous admire, interrompit Fannie.
Permettez-moi d'aller au-devant de lui...
Avant
même que Saint-Véran eût pu répondre, elle
se précipita vers la porte, traversa les couloirs en courant
et s'élança dans le jardin. Le marquis la vit courir
dans les allées avec une grâce d'hirondelle en plein
vol. Il perçut la joie de Dumas à la vue de la jeune
fille, la hâte gourmande qu'il mit à lui baiser les
deux mains. "Mais il est amoureux, ma parole! Décidément
mon nouveau rôle ne s'annonce pas comme devant être de
tout repos!"
- Venez vite monsieur Dumas, cria Fannie, vous allez pouvoir connaître
monsieur de Saint-Véran, vous en ferez un personnage pour vos
pièces. C'est un homme extraordinaire...
- Ma petite Fannie, laissez-moi vous expliquer...
- Mais non, plus tard, venez vite...
Elle obligeait le bon Dumas à courir avec elle, et le lévrier
Kali, tout heureux, bondissait autour d'eux.
Fannie opéra dans la salle à manger une entrée
triomphale.
- C'est lui, c'est monsieur Alexandre Dumas, dit-elle, tournée
vers Saint-Véran. C'est grâce à lui que j'ai connu
Klébert. Il a été mon premier, mon meilleur ami! Monsieur Dumas, voici monsieur de Saint-Véran que vous désirez
tant connaître.
- Monsieur... commença Dumas, désespérant de
placer un mot.
- Soyez le bienvenu, monsieur Dumas, dit Saint-Véran, avec
cette courtoisie qui faisait de lui le plus exquis des grands seigneurs
et permettez-moi de vous féliciter. Les gazettes, ce matin,
sont pleines de votre succès.
Dumas s'inclina, conquis. D'un regard il avait noté la noble
grâce de l'homme, son élégance, le pur ciselé
des traits virils, l'étincelle ironique jaillissant des yeux
verts, l'émouvant reflet des cheveux qui s'argentaient aux
tempes.
- Je vous rends grâce, monsieur! Aucun compliment ne pouvait
me toucher davantage, dit-il en tendant vers son hôte une main
que celui-ci serra avec sympathie. C'est à peine si j'ai pu
passer chez moi depuis cette nuit pour changer de toilette. Des admirateurs
trop empressés ont mis mes basques en morceaux. Ils se sont
jetés sur moi comme à la curée. J'avais un habit,
je suis rentré chez moi comme Lord Spencer, avec une veste
ronde, le reste est devenu relique. Ça ne fait rien, ajouta-t-il
en passant sa petite main brune sur ses cheveux crêpelés,
je suis bien content... c'est-à-dire, corrigea-t-il le visage
soudain sombre, que je le serais si ma mère... Ah! monsieur,
dit-il en se laissant tomber accablé sur un fauteuil, ma pauvre
mère est bien mal...
- Pouvons-nous faire quelque chose pour vous? s'enquit Saint-Véran
en dissimulant sa surprise. Avez-vous un bon médecin?
- Merci, vous êtes bon, répondit Dumas avec élan,
nous avons monsieur Florence, le médecin du Théâtre-Français.
Mais je ne suis pas ici pour cela. Voyez-vous. monsieur, je ne savais
où cette adresse me conduirait. Bon, je vois qu'il faut que
je vous explique tout. J'ai d'abord. cherché Fannie qui avait
disparu hier soir. Harel n'a pu suivre longtemps votre voiture, elle
allait un train d'enfer. Je n'ai pas dormi de la nuit, je n'ai fait
qu'embrasser ma pauvre mère et placer sous ses doigts les fleurs
de mon triomphe. Mais je voulais retrouver Fannie. J'ai couru chez
Vidocq qui ne savait rien. Il me fallait pourtant demander à
Fannie... enfin, c'est-à-dire...
Dumas souffla, parut gêné, dans la mesure où sa
nature lui permettait de l'être, et acheva brusquement: je
désirais savoir si son mariage, avec monsieur de Montrieux
était toujours une chose décidée.
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