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Bonjour Fannie

Raymond Dumay

358 pages
1952 - France
Roman

Intérêt: **

Curieuse oeuvre que cette série de romans (Bonjour Fannie, Fannie à Paris, Les amours de Fannie, Fannie en Orient, Fannie et sa rivale, La revanche de Fannie) qui tiennent du roman d'aventures et du roman à l'eau de rose - agrémenté d'un zeste d'érotisme - et qui mêlent héros imaginaires et personnages réels. Avec parmi les rôles principaux... un certain Alexandre Dumas!

Publié en 1952, Bonjour Fannie porte d'ailleurs curieusement comme dédicace "A mon ami Alexandre Dumas, avec reconnaissance". Le livre narre les aventures quelque peu échevelées de Fanny, jeune écuyère de petit cirque ambulant. Dotée d'une grâce, d'un charme et d'un sex-appeal qui lui permettent d'ensorceler à l'instant même tous ceux, hommes et femmes, qui l'approchent, cette adolescente de seize ans, d'origine inconnue (mais on sent poindre la révélation d'une haute naissance...) connaît de multiples tribulations, entre les manigances des infâmes qui la convoitent et les efforts des nombreux amis qui prennent sa défense.

Dès le début du livre, Fannie fait la conquête de deux amis dont l'un, Klébert de Montrieux, deviendra son fiancé, tandis que l'autre, Alexandre Dumas lui-même, en tombe instantanément amoureux.

Alors âgé de 26 ans - le récit se passe en 1828 - et tout jeune auteur dramatique, Dumas joue en fait dans le roman le rôle d'un ami dévoué. Il présente Fannie à Harel, futur directeur de théâtre, et à Mlle George, future grande actrice, alors en tournée misérable dans le sud de la France.

L'intrigue voit ensuite s'enchevêtrer poursuites policières, complots révolutionnaires et imbroglios sentimentaux, en France et à Naples. Ballottée par les événements, mais farouchement indépendante, Fannie s'enfuie finalement, accompagnée de l'enfant noir, du perroquet et des deux chevaux qui lui servent pour son numéro, en direction de Paris, où l'on ne doute pas qu'elle retrouvera Dumas dans le prochain volume, Fannie à Paris...

Très présent dans la première partie du livre, Dumas est fort bien campé: on le voit en éternel amoureux et en ami fidèle, il initie Fannie aux mystères du théâtre, il lui présente en mondain achevé ses nombreux amis... N'apparaissant pas directement dans les péripéties les plus romanesques du récit, l'écrivain devient ainsi un héros de roman tout à fait réaliste!

Extrait du chapitre 13 Les amazones

Elle s'élança vers la voiture, en bondissant comme un cabri. Au bout de quelques minutes, Dumas vit apparaître, au bout des marches de bois la plus adorable des cavalières. La robe de velours épousait les contours délicats et fermes du jeune buste, dégageait la taille fine, laissant deviner les hanches pleines et l'harmonie des jambes. Le petit feutre blanc était crânement posé sur l'échafaudage des boucles, Fannie ayant, pour la circonstance, relevé ses cheveux sur la nuque, ce qui faisait d'elle l'exquise soeur des belles de la Régence.

Elle descendit deux marches, avec la plus gracieuse assurance, découvrant Lipou qui, derrière elle, assumait le poids de la traîne sous laquelle il disparaissait à demi, en roulant des yeux blancs.

- Bravo! cria Dumas. Voilà une entrée réussie. Vous avez l'air d'une duchesse, n'est-ce pas Harel ? De qui êtes-vous donc la fille, Fannie, pour être aussi racée?

Le sourire qui fleurissait les lèvres de la jeune fille s'effaça.

- De personne, dit-elle les sourcils froncés.

- Je m'en doutais, petite Aphrodite! Vous devez être née de l'écume de la mer. Venez plus près, qu'on vous admire. Fannie, avez-vous pensé avec quelle grâce vous porteriez les costumes XVIIIe?

Fannie lui adressa un joli sourire un peu las. "Ne m'en demandez pas tant, semblait-elle dire. Je ne suis qu'une bohémienne et j'ignore beaucoup de choses. Mais j'arriverai à les connaître, n'en doutez pas."

- Trêve de futilités, dit Dumas. Vous ne me questionnez pas sur madame de Montrieux?

- Si et d'abord, comment est-elle cette dame? Grande et belle, avec une perruque poudrée et des robes de taffetas noir?

- Pas du tout, dit Dumas. Ne vous attendez pas à une douairière. Elle est petite et vive comme un oiseau, des yeux noirs qui flambent, des cheveux bouclés, crêpelés, vivants. Elle fait mentir la tradition qui veut que les créoles soient dolentes et languides.

- Elle est créole?

- De la Martinique.

Fannie, médita quelques secondes sur cette réponse, mais Dumas ne lui laissa pas le loisir de parler et reprit:

- Allez vous déshabiller, ma jolie, sinon le serein va mouiller votre costume. Nous irons faire un tour dans les bois.

Fannie s'en fut changer de robe et revint vêtue d'une ample jupe sombre et d'un corsage jonquille que serrait à la taille un corselet de velours noir.

Dumas n'entraîna pas sa compagne bien loin. Il s'arrêta dans une clairière limitée par des hêtres et des tilleuls, où des troncs abattus figuraient des sièges. La fraîcheur verte de la forêt pesait sur leurs épaules comme un sortilège. Les oiseaux qui s'endormaient faisaient entendre quelques pépiements menus et le bruissement d'une source, qui se faufilait sous les herbes devenait perceptible.

Les jeunes gens se laissèrent baigner quelques instants par ce calme, puis Dumas rompit le silence.

- Asseyez-vous, Fannie. Voici ce que je voulais vous dire: je ne peux plus reculer mon départ pour Paris. Je dois partir.

- Quand? demanda Fannie.

- Dès demain.

La jeune fille demeura interdite. Sans en avoir conscience, elle s'était accoutumée à l'affectueuse présence de Dumas. Le savoir non loin d'elle, prêt à accourir au premier signe, lui donnait une impression de sécurité, presque de confort. Et puis il était son ami et son conseiller. Il savait tant de choses! Que deviendrait-elle sans lui?

- Mais, dit-elle, pourquoi si vite? Je ne veux pas, moi!

- Il le faut pourtant bien, dit Dumas. Je ne suis pas assez riche pour vivre à ma guise. Beaucoup d'argent m'est encore nécessaire, et ce n'est qu'à Paris que je peux en obtenir. Savez-vous ce qu'est le métier d'auteur, Fannie?

- Pas très bien. Mais ne me le dites pas. Ne pouvez-vous changer de métier?

- Hélas, je crains que les autres ne vaillent guère mieux! Je vous confie à madame de Montrieux. J'ai dit à Harel de s'occuper à vous faire briller dans un acte de Marivaux. Il vous expliquera. D'ailleurs, écoutez-moi. Il se pourrait que Klébert soit au château d'ici quelques jours. Vous voyez bien que je dois partir.

- Pourquoi? demanda Fannie.

- Mais comprenez donc! dit Dumas presque avec impatience. Vous voulez approcher Klébert, c'est votre droit; j'ai fait ce qu'il fallait pour cela, à présent c'est à vous de prendre la situation en mains. Vous ne pouvez pas me demander de rester; d'ailleurs, je ne le pourrais pas.

- Je comprends, dit lentement Fannie. Mais, tout de même votre départ me peine. Ce monsieur de Montrieux, je ne le connais pas, après tout! Vous m'abandonnez...

Dumas regarda la jeune fille pour juger de sa sincérité, mais il lui vit les lèvres serrées sur une moue malheureuse et les yeux humides.

- Ma petite Fannie, dit-il doucement, je ne vous abandonne pas le moins du monde, et vous ne courrez aucun danger au château de Montrieux. Vous m'avez laissé entendre que Klébert vous... vous attirait. Vous me connaissez plus que lui. Il faut rétablir l'équilibre. Et puis après, mon Dieu... Vous... choisirez.

"Je dis des bêtises", pensa-t-il furieux. "On n'a pas idée aussi, c'est tout juste si elle ne me reproche pas de la livrer au bourreau."

- Eh bien, Fannie? Vous êtes convaincue? demanda-t-il.

- Non, dit Fannie simplement. Je pensais... Je pensais que vous m'aimiez.

Elle se leva brusquement et un rayon de lune de mai fit de sa chevelure un nimbe argenté.

Le jeune homme se leva à son tour et prit dans les siennes les mains de sa compagne.

- Fannie, dit-il sourdement. C'est vrai que je vous aime. Non seulement je vous... je vous admire - il avait reculé devant un terme plus précis - mais encore je vous chéris comme une petite soeur et votre présence m'est si bonne que je pourrais jouer avec vous et courir le monde comme avec le meilleur de mes amis. Je voudrais vous aider dans la vie, et s'il le fallait, pour vous, je deviendrais avare et je... je me marierais même, si vous le souhaitiez.

- Vous marier? Pourquoi? Et avec qui? demanda Fannie alarmée.

- Mais avec vous, petite sotte!

 


 

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