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Milady

Dean Reavey

622 pages
Autoédition - 2019 - États-Unis
Roman

Intérêt: **

 

 

 

Raconter l’histoire des Trois mousquetaires du point de vue de Milady, en la réhabilitant, est décidément très à la mode. Le premier auteur à avoir ainsi pris la défense de celle qui incarne en général le mal absolu est Yak Rivais avec son très remarquable Milady, mon amour en 1986. D’autres auteurs s’y sont essayé ces dernières années, y compris en bande dessinée (voir encadré ci-dessous).

Le Milady de Dean Reavey adopte la même formule que ses prédécesseurs en nous racontant toute l’histoire d’Anne de Breuil sous un angle complètement différent de celui de Dumas : celle d’une femme qui toute sa vie a eu à lutter contre l’oppression des hommes.

Le récit commence quand Anne, jeune fille dont la beauté tourne la tête de tous les hommes et de quelques femmes également, est promise en mariage par ses parents à un seigneur qu’elle ne connaît pas et dont on ne lui dit même pas le nom (ce qui est peu crédible mais permet un effet de surprise plus loin dans le roman). Or il se trouve qu’Anne est folle amoureuse de Thérèse, la fille de fermiers de ses parents. Les deux jeunes femmes rêvent ensemble de liberté et Thérèse aide Anne à s’enfuir en faisant croire qu’elle s’est suicidée. En route vers le couvent des Bénédictines de Templemars où elle doit se réfugier, Anne rencontre Rochefort qui lui donne de l’argent et lui offre d’entrer au service de Richelieu quand elle le voudra (ce qui finira par arriver de nombreuses années plus tard).

Son séjour dans le couvent est raconté en détail, et en particulier sa rencontre avec le prêtre Henri, avec qui elle noue une passion physique. Les deux s’enfuient ensemble, sont arrêtés, s’enfuient de nouveau, Anne est marquée au fer rouge par le bourreau frère d’Henri, etc. Durant leur errance, Anne se prostitue (avec enthousiasme) pour leur trouver des moyens de subsistance. Toute cette partie du roman, jusqu’à ce que l’on retrouve le début des Trois mousquetaires, est ainsi parsemée de nombreuses scènes de sexe très explicites qui en font un livre à ne pas mettre dans toutes les mains.

Le roman décrit ensuite en détail l’arrivée du couple chez le comte de La Fère (le futur Athos). Celui-ci tombe amoureux d’Anne et se heurte à une violente hostilité de la part de ses parents. Il l’épouse malgré tout. Durant sa vie de jeune épousée, Anne commence à s’intéresser de près à l’œuvre de Catherine de Médicis en matière de poisons. Ca tombe à pic : quand la mère d’Athos menace la jeune femme de révélations sur sa relation avec son pseudo frère (le prêtre Henri), elle tombe sérieusement malade…

Après la chute qui révèle sa fleur de lys et sa pendaison par son mari, Anne est sauvée par Henri et s’enfuit en Angleterre. Là, elle fait la connaissance (physique là encore) d’une autre jeune fermière qui travaille pour les seigneurs de Winter. Elle est engagée comme femme de chambre de Bennett, celui des deux frères Winter qui est célibataire. Très vite, il la demande en mariage. Son objectif est en fait d’utiliser Anne, dont il a perçu les talents, dans sa quête de pouvoir et d’influence. A sa demande, elle s’emploie donc à séduire toutes sortes d’hommes importants, diplomates et autres. C’est à la Cour de Londres qu’elle fait la connaissance du comte de Wardes qui l’attire fortement et dont elle découvre avec stupeur que c’est lui que ses parents voulaient lui faire épouser ! Son mari Bennett de Winter se montrant de plus en plus odieux avec elle, elle l’empoisonne lentement jusqu’à ce qu’il meure.

De retour en France, elle se procure les recettes secrètes de Catherine de Médicis en matière de poisons. C’est alors que Rochefort la retrouve : elle entre enfin au service de Richelieu. Dans le cours de ce nouveau « travail », elle noue une amitié profonde et sincère avec Rochefort : un cas unique dans son existence de relation étroite mais pas physique avec un homme.

C’est à ce moment là que le récit retrouve la trame des Trois mousquetaires : l’apparition de d’Artagnan à Meung, première scène de Dumas, l’affaire des ferrets, etc. L’ensemble des péripéties des Trois mousquetaires qui font intervenir Milady est raconté de nouveau de son point de vue, avec beaucoup de fidélité au texte de Dumas. Ce n’est que tout à la fin de Milady, lors de son exécution par le bourreau de Lille, que les récits divergent, permettant une sorte de happy end un peu surprenant.

 

Ce roman offre un curieux mélange de qualités et de défauts (sans oublier le contenu franchement pornographique de certains passages qui peut, selon les points de vue, appartenir à la première ou à la deuxième catégorie). La première moitié qui traite de la vie de Milady avant le début du roman de Dumas est bien menée. Les péripéties de son existence sont imaginées de façon convaincante et détaillée, sans surprise radicale mais en bonne adéquation avec Les trois mousquetaires. Le message martelé de bout en bout est similaire à celui des autres romans imaginant la vie de Milady : celle-ci est une victime du comportement des hommes de son temps. Sa beauté tournant la tête de tous les hommes lui vaut d’être accusée en permanence de chercher à les séduire même quand ce n’est pas du tout le cas. Tous les hommes qui l’approchent veulent traiter Anne comme leur propriété privée sans se soucier de ses propres sentiments : son père veut la marier pour des raisons d’intérêt, les inconnus la convoitent, ceux à qui elle s’intéresse la voient comme leur appartenant. « Toutes les femmes sont confrontées à la même épreuve, affirme Anne : passer leur vie à convaincre les autres qu’elles existent au-delà de leur beauté, ou de leur absence de beauté ».

Dans ce monde cruel régi par les hommes, elles n’ont donc guère le choix des moyens si elles veulent survivre. Comme Thérèse l’explique à Anne au tout début du roman : « fais tout ce qu’il faut – n’importe quoi – pour survivre jusqu’à ce que je te retrouve. Mens, trompe, vole, manipule, séduis – la moralité est bonne pour une jeune fille innocente sur le point de se marier mais une fois seule tu devras être sur tes gardes, il faudra que tu deviennes une mercenaire. C’est la seule façon de survivre. N’oublie jamais que nous sommes dans un monde d’hommes – sois aussi impitoyable, aussi rusée, aussi indifférente, aussi forte qu’un homme ».

Le récit bénéficie d’un certain nombre de trouvailles astucieuses. L’idée que le comte de Wardes, dont Milady tombe amoureuse, était le mari qui lui était promis et qu’elle avait fui est amusante. Trouvaille amusante également lors d’une description de l’extraordinaire parcours de Buckingham vers la puissance et la fortune durant lequel il n’a connu aucune opposition, n’ayant « en quelque sorte rencontré aucun prédateur naturel »… jusqu’à l’arrivée de Milady de Winter, « le premier prédateur naturel qu’il connaîtrait jamais ». Dans un autre registre, de passage à Paris, Milady et son mari fraichement épousé Athos assistent à une exécution publique. La jeune femme est horrifiée mais pas son mari qui lui dit : « je n’ai pas vu mourir un homme, j’ai vu un criminel être pendu. Et les criminels ne sont pas humains ». Une remarque qui fait comprendre à Milady quelle sera la réaction de son mari s’il découvre un jour la fleur de lys sur son épaule.

On peut citer également un passage assez curieux où Anne bavarde avec un enfant noir s’appelant Alexandre, adopté par une paroisse de Paris, charmeur, drôle, qui lui confie son ambition de conquérir la capitale : le personnage n’apparaissant nulle part ailleurs dans le roman, on peut y voir un clin d’œil à Alexandre Dumas lui-même.

A côté de cela, le livre souffre de quelques sérieux défauts. Il comporte un certain nombre de gros anachronismes ou d’impossibilités psychologiques ou sociales, comme c’est bien souvent le cas dans les romans contemporains. Florilège : les personnages prennent à de multiples reprises le « ferry » qui relie la France et l’Angleterre ; Milady et Athos se promènent au milieu des terrasses de café qui parsèment les rues de Paris ; les plus grands seigneurs se font appeler par leur prénom par leurs subordonnés ; Bennett demande sa femme de chambre en mariage en public au milieu d’un grand bal…

Plus gênant, l’auteur, qui veut rester fidèle pour l’essentiel au roman de Dumas, a bien du mal à justifier le comportement de Milady vers la fin du livre, quand elle fait assassiner Buckingham, empoisonne Constance, etc. Elle se pose bien des questions sur le fait qu’il lui faudrait en théorie pratiquer la solidarité féminine contre la tyrannie des hommes, mais ça ne l’empêche pas de tuer la jeune femme malgré tout. Un problème qui confirme que la première moitié du livre, plus inventive parce que l’auteur est plus libre d’imaginer son récit, est plus réussie que la deuxième, davantage contrainte par le récit de Dumas.

 

 

Extrait de la quatrième partie Return to France, chapitre 19 The Visitor

Anne woke from dreams of nooses and cherry blossoms to find Ketty shaking her awake. She opened her eyes and stared around herself, momentarily confused as to where she was. Then she realised that she had fallen asleep on the sofa. The empty wine bottle was on the floor, near at hand. "Wha -?" Anne mumbled, as Ketty hauled her to her feet.  "We must attend Mass, Madame, you told me it was absolutely necessary today," said Ketty. "Do I have to?" Anne asked petulantly. Ketty hauled her into her dressing-room, where she splashed cold water on her face. "You told me, Madame, and I quote: do not let me miss this week's Mass, Ketty, or there will be hell to pay for the both of us," she said as she got to work helping Anne with her toilet. "I also found a locksmith to change the locks, and a man will come today to hang a new door." "Another man," grumbled Anne. "Why, they're everywhere. Couldn't you have found a woman, Ketty?" 

Ketty snorted. "A woman!" she said. "And where, pray tell, would I find a woman locksmith? A woman carpenter, Madame? The wine must have truly gone to your head." "I am an expert at sword fighting," Anne pointed out, as Ketty helped her with her dress. "And I have done countless things, Ketty. Do you know they call me an adventuress?" "Yes, I do, Madame," said Ketty. "And many other things besides. It was the reason I was so anxious to work for you. There are few women like you in this world. Not that they don't have the potential, but few today attempt it." She smiled a little. "I admire you, Milady," she said. Anne stared at her, this little soubrette gifted to her by the Cardinal, or possibly Rochefort. She had never thought Ketty might have had ulterior motives of her own to work with a woman of Anne's standing and reputation. "Forgive me, Ketty," Anne said seriously. Ketty stopped, and looked questioningly at her. Anne smiled.

"I hadn't thought you might have wanted this position because you yourself were a unique sort of woman," said Anne. "And that was unfair of me. If I want to see a future where women can do what they like, where they can be adventuresses, and yes, carpenters and locksmiths! well, I must treat the women in my own life like the capable beings they are." Ketty blushed under the praise. "Thank you, Milady," she murmured. "That means the world to me. Now then. Shall we?" 

 


 

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