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One for all

Lillie Lainoff

394 pages
Farrar Straus Giroux - 2022 - États-Unis
Roman

Intérêt: **

 



Voici un roman qui sort de l’ordinaire: un récit de cape et d’épée situé dans la France du XVIIème siècle qui intègre des éléments essentiels de la vie de l’auteure, une Américaine du XXIème siècle; une héroïne handicapée experte en duels; un texte nourri de références aux Trois mousquetaires tout en étant très différent…

One for all raconte l’histoire de Tania de Batz, une jeune fille de Lupiac qui souffre d’un handicap peu connu: le « syndrome de tachycardie orthostatique posturale ». Chez les personnes qui en sont affectées, les changements de position provoquent une augmentation anormale de la fréquence cardiaque avec des conséquences comme de graves vertiges, une incapacité à monter un escalier, etc. Une maladie très handicapante, donc, mais évidemment inconnue à l’époque du roman. Pour la jeune Tania, elle est synonyme de rejet de la part des camarades de son âge. Sa mère n’a qu’une idée en tête: la fourguer à un mari qui la prendra en charge, quitte à dissimuler son état aux fiancés potentiels. Son seule véritable soutien est son père, un ancien mousquetaire qui a quitté le corps. Un père qui, depuis l’enfance, lui enseigne l’escrime. Tania y trouve un exutoire, un refuge, une raison d’être, une rare source de confiance en elle. Et son père est le seul à croire en elle, à l’inciter à être elle-même.

Dès lors, l’assassinat de celui-ci, qui menait quelques activités occultes, est un coup terrible pour Tania. Dans ses dernières volontés, son père demande que la jeune fille soit envoyée à Paris pour intégrer l’école tenue par Mme de Treville. Une école apparemment destinée à enseigner les bonnes manières aux demoiselles du beau monde, ce qui n’enchante guère Tania. Mais elle réalise très vite que derrière cette façade se cache un objectif tout différent: la formation de véritables agents secrets, des jeunes femmes capables à la fois de séduire n’importe quel homme pour lui soutirer ses secrets et de se battre à l’épée contre n’importe qui. De véritables femmes mousquetaires, petite troupe secrète pendant au féminin de la troupe publique masculine des mousquetaires du roi. Le tout sous la houlette du Premier ministre Mazarin avec un seul objectif: protéger le jeune roi Louis XIV, très menacé en cette période de Fronde (voir extrait ci-dessous).

Tania intègre donc ce groupe très exclusif: elle en est le quatrième membre, aux côtés de trois autres jeunes filles, Aria, Portia et Théa. Ce qui s’explique par le fait que son père était un ami d’enfance de Mme de Treville. Elle est soumise à une formation intensive incluant aussi bien l’apprentissage des danses de la Cour que l’escrime à haute dose. Très vite, ces mousquetaires de l’ombre tentent de déjouer un projet d’assassinat du roi. Ce qui motive d’autant plus Tania qu’elle comprend que les responsables du complot sont ceux-là mêmes qui ont tué son père.

Tout au long de sa formation et de ces aventures, Tania apprend petit à petit à surmonter son handicap. A force de volonté… et d’amitié: elle bénéficie du soutien sans faille de ses trois collègues qui l’ont immédiatement adoptée. Jusqu’à lui permettre de démontrer toute sa valeur personnelle et d’apporter sa pleine contribution aux efforts du groupe.


Le personnage de Tania et son évolution tiennent beaucoup de l’auteure du roman, Lillie Lainoff. Cette dernière souffre en effet du syndrome POTS (acronyme anglais). De plus, elle est une escrimeuse de haut niveau. Avant d’être atteinte par la maladie à l’âge de quatorze ans, explique-t-elle sur son site Internet, elle pratiquait l’escrime de compétition et sillonnait les Etats-Unis pour se rendre de tournoi en tournoi. Une activité qu’elle n’a jamais cessé d’exercer. Dès lors, il était évident pour elle que l'héroïne de son roman se devait « d’avoir le syndrome POTS et, comme pour moi, son expérience avec cette maladie chronique serait liée inextricablement avec son expérience d’escrimeuse ». Une façon de contrebalancer le fait que quand elle était adolescente, elle « ne se voyait jamais dans les pages » des livres qu’elle dévorait. Ce qui l’avait amenée à penser que « des filles atteintes de maladie chronique, handicapées, ne pouvaient pas être les personnages principaux » d’un roman, que « parce que j’étais malade, je ne serais jamais l’héroïne de ma propre histoire ».

Confronté à un tel projet - une auteure handicapée qui écrit un roman où une jeune fille qui lui ressemble surmonte tous les obstacles et s’impose au milieu des gens « normaux » - le lecteur pourrait redouter un texte larmoyant ou moralisateur. Mais Lillie Lainoff évite ces écueils. D’abord parce qu’elle écrit un véritable roman de cape et d’épée avec un scénario qui se tient, du suspense, des coups de théâtre, etc. (bon, il faut évidement accepter le postulat de départ selon lequel Mme de Treville prend le risque d’intégrer dans sa petite équipe de choc une jeune fille susceptible d’être prise de vertiges en pleine action). Ensuite, si elle ne cache pas le mal de vivre qui frappe par moment son héroïne, elle met surtout l’accent sur sa volonté implacable de s’en sortir avec l’aide de son entourage proche. Ce qui nous amène aux rapports entre One for all et Les trois mousquetaires.

Au niveau le plus superficiel, le lien est étroit. Le titre du livre vient de la devise prêtée aux mousquetaires. Tania vit à Lupiac, village natal de d’Artagnan, et son père est M. de Batz, nom du véritable d’Artagnan. Mme de Treville porte le même nom que le capitaine des mousquetaires de Dumas, l’une des camarades de Tania a été adoptée par un M. d’Herblay, le nom d’Aramis… En outre, l’arrivée de Tania dans le petit groupe des élèves espionnes renvoie évidemment à celle de d’Artagnan auprès d’Athos, Porthos et Aramis.

A y regarder de plus près, la filiation avec le roman de Dumas n’est pourtant pas si évidente. Le père de Tania a beau s’appeler de Batz, il n’est suggéré en rien qu’il puisse être d’Artagnan ou même un parent de ce dernier dont le nom n’apparaît jamais. Pareil pour Mme de Treville et le Tréville des Trois mousquetaires. Quant à Aria, Portia et Théa, elles ne s’identifient pas vraiment à Athos, Porthos et Aramis. Il semble en fait que Lillie Lainoff ait multiplié ces références tout simplement pour rendre hommage à Alexandre Dumas « qui a fourni la fondation » pour ce projet, comme elle le dit brièvement au milieu de nombreux autres remerciements à la fin du livre.

La « fondation » que l’auteure a trouvé dans Les trois mousquetaires est claire, en tout cas: c’est le thème de l’amitié indéfectible entre quatre mousquetaires, hommes chez Dumas, femmes chez elle, qui permet de surmonter tous les obstacles, toutes les épreuves. « Nous étions des sœurs d’armes. Les quatre Mousquetaires. Plus de secrets » (entre nous), dit Tania. Une fois de plus, c’est la magie du « Tous pour un, un pour tous » qui est à la base de ce roman intéressant et finalement assez touchant.

Note finale: le texte anglais comprend de nombreux mots et même phrases en français dans les dialogues entre les personnages, utilisés presque toujours à bon escient - ce qui est assez rare dans les romans anglo-saxons pour être souligné.


Extrait du chapitre dix

A hint of a smile graced Madame de Treville's hard mouth. "Beginning to catch on? I train mademoiselles, but not to become docile, subservient wives." She stood and stroked her fingers down the spine of a leather-bound book, expression unblunted. "I train them to become a new kind of Musketeer. One who fights for France with her wit and charm as well as her sword. »

"A spy," I breathed out.

"Far too simple a term. Under my tutelage, you'll transform into one of the most desirable young women to grace the Parisian social scene and one of the most skilled fencers to ever call themselves a Musketeer. You'll go to parties, receive the most highly sought invitations, entrance men to reveal their secrets. Distract them while your sisters in arms sneak into private offices and steal away evidence. You'll find enough information to keep them quiet. And if not ..." She drew up her skirts to reveal breeches like the ones Papa gave me years ago. A dueling sword on her left hip, a dagger on her right. "We are not without honor. Killing another in cold blood is despicable. So, you'll duel. And when you duel, you'll win. Not only will you have the skill, but you'll also have the element of surprise: Who will suspect a beautiful woman to be one of the finest fencers this city has ever seen? »

I shook my head. She crossed the room and bent so we were level. "You're a smart girl. Did you really believe your father would send you off to be married to someone you hardly knew?"

Oh, Papa. Even though I came to Paris on his order, came as a last attempt to discover the truth, there'd still been anger burning low within me. My resentment a jagged, unsharpened blade. And yet, all this time…

Madame de Treville's voice was supple, slow, a whisper of a memory. "When I was a girl, I wanted nothing more than to be a Musketeer. I insisted that your father train with me nearly every day - I had to be fantastic to have the slightest chance at earning a spot. We grew up together, fell in love with fencing at the same age... I'm sure our parents expected us to marry, despite my disinterest in everything marriage entailed. Thankfully, before they tried to force my hand, he met your mother - scandal followed, of course. Her father's disapproval... Anyway, the letter he sent was the first contact we'd had in decades, but his words brought it all back. His kindness for a young girl who wasn't what people told her she should be." She studied her papers, deep in thought. "I'm sure you can guess what happened next. None of my training mattered. The very thought of a woman in the Musketeers sent senior officials into hysterics. Now I've been given a chance, you see, to earn that respect. Not in the way I wanted, of course; it's too late for me. But not for you."

"I ..." She waited expectantly as I stammered. "I don't believe this. »

"Which part? That a woman could be a Musketeer? That she could do as much, if not more, for her country than her male counterparts? »

I didn't answer, couldn't answer that it was a combination of all these things- because how could I become the creature she spoke of? I wasn't beautiful, wasn't cunning, couldn't manipulate others to my own advantage. Sick girls did not have men falling at their feet. "You speak as if I'll be some sort of legend. A hero from a storybook," I whispered.

"You will be so much better." Insistent now, she gripped her desk as if she were crushing a throat. "You will be a siren. A gladiator. Beauty that lures evil to its side before stabbing it through the heart. »


 

 

 

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